Les Québécois ont beau s’en régaler, les légumes en serre produits dans la Belle Province sont en train de perdre la bataille face à ceux de l’Ontario, une situation qui prive les consommateurs d’ici d’aliments plus frais, moins chers et moins polluants.
Depuis cinq ans, les producteurs québécois de légumes de serre ont vu leur part de marché fondre comme neige au soleil. Le nombre de fermes productrices a chuté drastiquement (-19 %) au Québec.
En termes de volume, le Québec ne produit plus que 3 % des légumes en serre au Canada alors que les Québécois représentent près du quart de la population. En 2010, la production québécoise s’élevait au double.
Les producteurs québécois pourraient toutefois faire meilleure figure s’ils bénéficiaient de tarifs d’électricité préférentiels (voir autre texte).
Cela leur permettrait d’accroître la quantité de légumes produits ici, ce qui rendrait inévitablement les aliments offerts dans nos épiceries plus frais, moins chers, en plus de diminuer la pollution liée à leur transport par camion, selon les observateurs rencontrés par le Journal.
«Il faut que ça change. Nos producteurs se font carrément tasser par ceux de l’Ontario. Notre gouvernement doit réagir», lance le président du Syndicat des producteurs en serre du Québec, Claude Mousseau.
Producteurs fragiles
La faillite l’an dernier du plus gros producteur de tomates en serre, Savoura, a démontré la fragilité des producteurs québécois dans une industrie dominée par des joueurs très bien structurés.
En Ontario, les producteurs de serre ont obtenu ces dernières années un accès privilégié au gaz naturel ainsi que des tarifs avantageux.
Les producteurs ontariens bénéficient également d’une aide gouvernementale importante par le biais du programme «Foodland» qui fait la promotion agressive des aliments locaux.
Le gouvernement de l’Ontario mise d’ailleurs beaucoup sur l’agriculture de serre pour augmenter les exportations de la province. Pas le Québec.
Par conséquent, l’aide gouvernementale ontarienne aux producteurs n’est pas plafonnée, mais augmente avec le volume de production.
« Cela devient très gênant »
Résultat: la production ontarienne en serre a explosé, 10 fois plus importante qu’au Québec. «Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas et cela devient très gênant. Le Québec regarde passer le train du développement agroalimentaire ontarien sans bouger. On recule plutôt qu’avancer», déplore le porte-parole du producteur des Serres Sagami et des Serres Lefort et consultant, André Michaud.
Les surplus d'Hydro-Québec et un tarif préférentiel pourraient pourtant tout changer
Alors qu’Hydro-Québec nage dans les surplus d’électricité, les producteurs de légumes de serre du Québec réclament un tarif préférentiel à la société d’État.
Ces dernières années, les producteurs du Québec ont réussi à chauffer leurs serres à meilleur prix grâce à la biomasse. Ce qui a réduit leur coût de chauffage considérablement, mais pas celui de l’éclairage.
Pour éclairer leurs serres, les producteurs maraîchers aimeraient obtenir le même genre de tarif qu’Hydro-Québec consent aux producteurs d’aluminium.
Actuellement, les producteurs de serre paient environ 5,5 cents du kilowattheure (kWh) pour éclairer leurs serres au Québec. Ils réclament un tarif de 4 cents du kilowattheure.
«Ça permettrait à plusieurs producteurs de devenir très compétitifs et d’investir massivement dans de nouveaux projets», croit le président du Syndicat des producteurs en serre du Québec, Claude Mousseau.
L’an dernier, lors de la faillite du producteur de tomates en serre Savoura, la propriétaire de l’entreprise avait évoqué les coûts élevés de l’électricité pour justifier l’échec financier de son entreprise.
Savoura, rachetée depuis par les Serres Sagami, produisait 40 % des tomates de serre au Québec.
300 M$ de projets
Avec des tarifs préférentiels sur l’éclairage, M. Mousseau estime que tout près de 300 millions $ de nouveaux projets d’investissements verraient le jour au Québec rapidement.
«Il y a des producteurs qui n’attendent que cela pour pouvoir investir massivement dans leurs installations», assure-t-il.
Création d’emplois
En plus de créer des retombées économiques significatives partout au Québec, les investissements créeraient des milliers d’emplois, avance M. Mousseau.
«Ça changerait tout», estime le propriétaire des Serres Demers de Saint-Nicolas, Jacques Demers.
Ce dernier calcule qu’avec un tel tarif d’électricité, les économies générées lui permettraient d’investir jusqu’à 30 millions $ dans des nouveaux projets.
«On pourrait facilement se lancer dans la production de concombres et de poivrons. On regarderait également pour produire des fraises en serre à l’année», calcule-t-il.
Pour le propriétaire des Serres Demers, le gouvernement doit agir rapidement pour aider l’industrie à devenir plus compétitive.
«Ça prend une volonté politique évidente et cela doit passer par un électrochoc. Il faut agir», signale celui qui produit des légumes de serre depuis 25 ans au Québec.
M. Demers croit que l’industrie québécoise doit se regrouper pour optimiser ses forces de vente et de marketing.
«Il n’y a pas de vision à long terme en agriculture»
Le gouvernement du Québec manque de vision en n’offrant pas davantage d’aide financière aux producteurs de serre, estime le président-directeur général de l’Association des détaillants en alimentation du Québec, Florent Gravel.
«Personne ne semble capable de fournir un plan de match. C’est très désolant ce qui se passe actuellement au Québec dans la production de légumes de serre. Il n’y a pas de vision à long terme de l’agriculture», a fait valoir M. Gravel qui représente quelque 8000 détaillants en alimentation au Québec.
Ce dernier déplore que le Québec en fasse peu pour la production de légumes en serre et le secteur agroalimentaire alors que les vannes semblent ouvertes du côté ontarien. «De toute évidence, il y a quelque chose que l’Ontario a compris que le Québec ne comprend toujours pas», a-t-il indiqué.
Des gros sous
M. Gravel croit que le problème doit être considéré de façon sérieuse en raison des retombées économiques significatives engendrées par les achats locaux d’aliments.
La semaine dernière, le Conseil du patronat a d’ailleurs lancé une campagne pour inciter les consommateurs québécois à se tourner vers l’achat local.
Chaque année, les Québécois dépensent tout près de 25 milliards $ pour se nourrir dans des commerces alimentaires de détail au Québec.
Or, selon le CPQ, près de la moitié des aliments achetés qui se retrouvent dans le frigo des Québécois proviennent de l’extérieur.
Si chaque citoyen remplaçait 20 $ d’achats hebdomadaires de produits importés par une somme équivalente de produits québécois, cela représenterait un gain économique de 8 milliards $ pour le Québec, a calculé le CPQ.
Ce qui résulterait par ailleurs par la création de 100 000 nouveaux emplois.
3 avantages à produire les légumes chez nous
1. Plus frais
- Disponibles plus rapidement sur les tablettes
2. Moins chers
- Le prix d'achat est directement lié au coût de transport
3. Moins polluant
- Distances de transport plus courtes réduisent les gaz à effet de serre
Ce que le Québec produit en serre
- Tomates: 62 %
- Concombres: 14 %
- Laitues: 5 %
- Fines herbes: 5 %
- Autres: 4 %
- Horticultures ornementales: 10 %
Source : Syndicat des producteurs de serre du Québec
Légumes de serre en chiffres
Nombre de fermes
- Québec: 195
- Ontario: 230
Hectares cultivés/an
- Québec: 94
- Ontario: 975
Tonnes cultivées/an
- Québec: 20 495
- Ontario: 420 341
Nombre d’emplois
- Québec: 1496
- Ontario: 6174
Production de légumes de serre au Canada
- Ontario: 71 %
- Colombie-Britannique: 21 %
- Alberta: 4 %
- Québec: 3 %
- Autres: 1 %
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