La préparation du discours sur le budget est un exercice de relation publique essentiel pour le ministère des Finances depuis plusieurs décennies. Les documents budgétaires sont volumineux et seuls les analystes chevronnés peuvent reconnaître ce qui est fondamental dans la quantité énorme de données qu’ils contiennent. Les commentateurs qui s’y retrouvent ne semblent plus intéressés à en faire une analyse politique sérieuse.
La faiblesse des analyses budgétaires est illustrée par l’article de Mario Dumont (Le Québec va mieux, Journal de Montréal, 23 mars 2022) qui conclut après le dépôt du dernier budget que le Québec va mieux financièrement. Il ajoute même que ce sont les efforts des gouvernements libéraux précédents qui nous permettent d’avoir une certaine marge de manœuvre. Si c’était vrai, il faudrait quand même se souvenir que ce sont des élèves en difficultés, des malades sur les listes d’attente et des ainés frappés par la Covid dans leur résidence qui ont fait les frais de l’austérité budgétaire. Dans le même temps, les médecins de la pauvre province devenaient les mieux payés au Canada.
En réalité, les marges de manœuvre financières de nos gouvernements proviennent de leur capacité d’emprunter sur les marchés et d’assumer le service de la dette. Avec des ratios de dette très peu supérieurs à 50% du PIB depuis quelques décennies au Québec, et compte tenu que ce ratio ne se détériore que très lentement en période de déficit budgétaire, les variations annuelles du discours sur l’état des finances servent seulement à des fins politiques.
Avec les progrès sociaux de la Révolution tranquille, les déficits publics ont augmenté fortement jusqu’au milieu des années quatre-vingt. Les politiciens progressistes avaient mis en place des programmes qui devaient assurer la qualité de vie et l’égalité des chances pour l’ensemble des Québécois. On a alors réalisé qu’il fallait trouver les moyens de maintenir ces programmes sans augmenter davantage les impôts et sans les faire payer par les générations futures en s’endettant. On a misé sur des gestionnaires publics plus pragmatiques et le problème du déficit structurel a été réglé au Québec il y plus de vingt ans.
Pour la suite, on peut parler d’une contre-révolution par laquelle les dépenses en services publics sont constamment remises en question, la privatisation est un nouvel Eldorado et l’objectif de réduire les impôts est érigé en dogme. Les orientations budgétaires influencent directement la répartition des revenus entre les différentes catégories de citoyens. Autrefois, chaque budget était analysé dans ces termes, étant ainsi étiqueté comme progressif ou conservateur selon qu’il était favorable aux classes moyennes et pauvres ou aux mieux nantis. Aujourd’hui les politiciens ont réussi à effacer le politique, à nous mettre tous dans le même bateau. On a vécu au-dessus de nos moyens, il faut se serrer la ceinture, les baisses d’impôt vont profiter à tout le monde.
Lucien Bouchard avait amorcé l’attaque contre les services publics en orchestrant, avec l’appui des centrales syndicales, un programme excessif de départ anticipé à la retraite qui a privé d’un coup les réseaux publics de leurs employés les plus expérimentés et ouvert ainsi la voie à une plus grande place au privé. Les gouvernements libéraux de Charest et Couillard ont mené des politiques d’austérité en faisant croire qu’il y avait urgence à réduire la dette publique. Le Québec était pourtant en surplus budgétaire en 2006-2007 à l’aube de la récession. Cette récession a créé des déficits temporaires importants qui ont permis au gouvernement de tenir un discours apocalyptique. Pour empirer le portrait, le gouvernement à verser en récession des milliards de dollars au Fond des générations en présentant ces placements comme des dépenses, gonflant le déficit.
Les conséquences de la très stricte austérité ont commencé à apparaître dans la qualité des services publics ce qui a contribué à l’élection de la CAQ. François Legault n’est pas un progressiste mais il a dû changer le discours pour se démarquer des libéraux. L’arrivée subite de la pandémie, la catastrophe dans les résidences pour ainés et les urgences budgétaires ont forcé le gouvernement Legault à se montrer carrément optimiste. Il a inspiré Mario Dumont. Le Québec a un bon ratio de dettes, il peut se permettre toutes ces dépenses temporaires sans nuire à sa crédibilité financière. Et quand les politiciens découvrent la profondeur de la carte de crédit ils ne peuvent plus s’arrêter. Il y a eu des augmentations de dépenses récurrentes qui ont été décrétées, par exemple, des hausses de salaire. On va finir par payer pour revenir à l’équilibre, ça ne sera pas par des hausses d’impôt mais plutôt pas la réduction ou la privatisation des services publics.
L’évolution conservatrice des finances publiques s’inscrit dans le mouvement idéologique néolibéral qui s’est traduit par des écarts de revenus de plus en plus favorables aux classes plus fortunées. Les règlementations des affaires ont été considérablement assouplies, de mêmes que les lois sur la concurrence, et le pouvoir de négociations des conditions de travail a été grandement réduit. Ces changements expliquent aussi que la transmission des chocs inflationnistes dans l’énergie et l’alimentation se répercutent maintenant beaucoup plus rapidement qu’en 1975 sur l’ensemble des prix et le taux d’inflation, et il est probable que les salaires ne s’ajusteront pas aussi bien à l’inflation.
Heureusement l’économie du Québec est très forte en raison de la grande qualité de sa main-d’œuvre, de ses créateurs et de ses entrepreneurs, dont on voit la réussite dans des domaines très diversifiés, tandis que l’Ouest et l’Ontario bénéficient des profits oligopolistiques des secteurs de l’énergie et des banques canadiennes.
Si je dis que le Québec ne va pas mieux c’est que des facteurs externes l’empêche toujours de se doter des services publics qu’il souhaite. D’abord l’immigration massive des dernières décennies exerce une pression intenable sur la demande de services. Pire encore, les coupures dans les transferts sociaux du gouvernement fédéral rendent impossible le financement des services publics de grande qualité pour l’ensemble des Québécois, en accord avec les valeurs de solidarité de la population.
Dans le cas de l’immigration comme dans celui du déséquilibre fiscal, qui vient du fait que le Fédéral se sert en premier dans l’assiette fiscale du pays, c’est l’appartenance au Canada qui nous empêche de vivre selon nos priorités. Est-ce que les Solidaires comprendrons un jour que l’indépendance est un prérequis à la mise en place d’un projet de société proprement québécois?
On admire au Québec la volonté des Ukrainiens de conserver leur indépendance et le courage avec lequel ils la défendent. Les Québécois ne manquent pas courage. Ils ont de la difficulté à reconnaître la domination du pays par le Canada anglais qui s’est imposée progressivement depuis la Confédération et qui détruit tout espoir d’exister comme peuple. Sommes-nous encore un peuple? La réponse nous appartient.
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1 commentaire
Normand Bélair Répondre
31 mars 2022Bravo! Merci pour ce texte.
Et je cite un passage important:
D’abord l’immigration massive des dernières décennies exerce une pression intenable sur la demande de services. Pire encore, les coupures dans les transferts sociaux du gouvernement fédéral rendent impossible le financement des services publics de grande qualité pour l’ensemble des Québécois, en accord avec les valeurs de solidarité de la population.
ET
c’est l’appartenance au Canada qui nous empêche de vivre selon nos priorités. Est-ce que les Solidaires comprendrons un jour que l’indépendance est un prérequis à la mise en place d’un projet de société proprement québécois?
J'ai hâte d'entendre le seul parti, qui prône l'indépendance, parler en ces termes!