«Le Québec est debout !» – Décodage du discours d’outre-tombe de Monsieur

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Un décodage utile, et le texte complet du message (historique) de Jacques Parizeau



Je l’ai réentendu en juin dernier, à la soirée hommage à Jacques Parizeau, Salut Monsieur !, lu par plusieurs voix fortes et fières. Je ne m’en souvenais presque plus. Il m’a retransporté, comme plusieurs, en octobre 1995.


Je ne peux pas dire que c’était un discours difficile à écrire. Il coulait de source. Il devait réitérer, le soir de la victoire, exactement ce que nous avions promis de faire. Surtout, il devait convaincre de notre calme détermination à faire exactement ce que nous voulions faire.


À vingt ans de distance, le discours mérite peut-être un décodage. Car ses messages sont nombreux, comme sont multiples les auditeurs qui y sont ciblés.


1. On part !


Au moment de la rédaction, le jeudi ou vendredi précédant le vote, puis de l’enregistrement, l’après-midi du lundi 30 octobre, on ne connaissait pas la marge de la victoire possible ou probable. Or c’était précisément l’enjeu. Quelle qu’ait été la marge de victoire, un voix, 1% ou 4%, le discours devait asseoir pour tous les publics la certitude que nous allions de l’avant avec la décision démocratique. Plusieurs passages martèlent ce thème.


Une décision simple et forte a été prise aujourd’hui. Le Québec deviendra souverain….


Chacun doit savoir ce soir que le gouvernement du Québec va procéder dans les jours qui viennent avec la même clarté, la même sereine détermination…


2. Pas de panique…


Nous voulions évidemment rassurer les Québécois sur la marche à suivre. Montrer que quelqu’un était aux commandes et que les choses allaient se dérouler dans le calme:


 Alors que se passera-t-il, au cours des prochains jours? La souveraineté du Québec ne sera pas proclamée tout de suite. Ça pourra prendre un an avant que l’Assemblée nationale fasse cette proclamation. Ça va nous donner tout le temps de bien préparer la transition : l’intégration des deux fonctions publiques, la définition de nouvelles politiques économiques et sociales avec nos nouveaux outils. Pas de précipitation, mais de la rigueur.


Entretemps, nous sommes encore une province du Canada. Rien ne change, demain, dans nos emplois, dans nos commerces. On va encore payer la TPS et envoyer nos impôts à Ottawa. On va encore recevoir les prestations de toutes sortes du gouvernement fédéral. À Québec, nous allons continuer de gérer nos affaires et, notamment, d’atteindre nos objectifs de réduction du déficit. Nos députés fédéraux vont encore nous représenter. Jusqu’à ce qu’on proclame la souveraineté du Québec, d’ici un an.


C’est là que les choses vont changer, qu’elles vont devenir plus simples. Mais d’ici là, tout le monde aura le temps de se préparer et de faire en sorte que la transition se fasse harmonieusement, sans perturber les services aux citoyens. Il n’y aura pas de bouleversement, pas de vide juridique.


3. …mais c’est irréversible


Il y a un fantôme dans le discours: celui de Jean Chrétien. Nous sommes convaincus qu’il refusera de reconnaître la décision démocratique des Québécois. Nous avons fait en sorte que le discours de M. Parizeau soit diffusé, en français et en anglais, le plus tôt possible après l’annonce d’une victoire du Oui, pour qu’il précède la réaction du premier ministre canadien.


Et nous lui envoyons ce message, en citant sa propre adresse à la nation des jours précédents :


Nous comprenons tous que le premier ministre du Canada, M. Jean Chrétien, a ce soir une lourde responsabilité. Plusieurs fois pendant la campagne, il a indiqué aux Québécois que le choix d’aujourd’hui était capital. À Québec le 18 octobre, il a déclaré que le référendum, et je cite, « est le choix définitif et sans retour d’un pays ». La semaine dernière, dans son adresse à la nation, il a indiqué qu’il s’agissait « d’une décision définitive et sans appel ».


Nous sommes d’accord avec lui. Nous pouvons donc tourner la page, respecter le verdict démocratique et procéder au nouveau dialogue qui doit maintenant s’ouvrir entre le Canada et le Québec, dans l’intérêt de tous nos citoyens et dans l’intérêt de la stabilité.


Nous voulons donc souligner à grands traits qu’en reniant sa parole des jours derniers, Jean Chrétien renie ses propos. Nous voulions exposer son mensonge.


4. Augmenter la majorité du Oui


Mais puisque Jean Chrétien allait refuser de reconnaître un Oui (j’explique la chose en détails dans Octobre 1995: Tous les espoirs, tous les chagrins), il fallait construire, dès le lendemain du Oui, un rassemblement qui allait faire croître rapidement la majorité favorable au respect de la décision. C’est dans ce rassemblement que résidait l’irréversibilité de la décision.


Notre première tâche à tous, demain, sera de retirer nos étiquettes du OUI et du NON pour pouvoir nous rassembler derrière la décision démocratique des Québécois. Plusieurs personnalités influentes ont déjà indiqué leur volonté d’appeler au rassemblement. Il faut que ce soit vrai dans chaque quartier et dans chaque village. Dans chaque communauté culturelle et linguistique. Tous et toutes, quoique nous ayons voté, quoique nous ayons dit pendant cette campagne, nous sommes des Québécois, égaux en droit et nous avons tous à nous enorgueillir de la seule victoire qui compte : celle de la démocratie.


Dans cet esprit de rassemblement, le gouvernement va procéder, comme nous l’avons indiqué, à la nomination de nouveaux membres du comité d’orientation et de surveillance des négociations sur le partenariat avec le Canada. Deux ou trois de ces nouveaux membres seront choisis parmi ceux qui ont défendu le camp du NON ces dernières semaines.


Plus d’une centaine de personnes associées au camp fédéraliste avaient accepté que leurs noms apparaissent dans une publicité de ralliement — une opération menée de main de maître par l’ex-ministre et entrepreneur Rodrigue Biron.


Plusieurs personnalités de premier plan — du domaine municipal, économique, religieux — s’étaient aussi engagées auprès de nous à s’exprimer dans les médias dans les jours qui venaient, appelant au ralliement à la décision.


Surtout, les jeunes lecteurs n’ont pas, aujourd’hui, conscience de l’ascendant moral et politique que détenait encore en 1995 Claude Castonguay, l’ex-ministre libéral qui a introduit l’assurance-maladie au Québec. Il avait accepté d’annoncer publiquement qu’il fallait respecter le verdict, ce qu’il a confirmé depuis. Son apparition publique aurait eu à elle seule un effet d’entraînement considérable.


5. Mettre de la pression sur le camp québécois du Non


Nous voulions aussi augmenter le niveau de difficulté de Daniel Johnson, le chef libéral et président du comité du Non, dont quelques membres phare du caucus avaient affirmé en privé vouloir appeler au respect de la décision si c’était Oui. Deux passages lui sont consacrés:


Au sujet des membres fédéralistes du comité de surveillance des négos, M Parizeau dit: « Je serai heureux d’entendre les suggestions du chef de l’opposition à l’Assemblée nationale, M. Daniel Johnson, à ce sujet ».


Participer au processus, c’était accepter le verdict.


J’avais été très attentif, pendant la campagne, à toutes le déclarations de rassemblement en cas de victoire du Oui. Daniel Johnson, interrogé par les journalistes, avait été très avare de déclarations de cette nature. Mais j’en avais saisi une, que j’ai mise dans le discours:


Je veux aussi souligner la prestation énergique du leader du camp du NON, M. Daniel Johnson, qui a représenté il me semble avec aplomb sa vision de l’avenir du Québec, en soulignant toujours son attachement aux principes démocratiques qui nous gouvernent. Je l’ai entendu, surtout, ces dernières semaines, nous appeler à une nouvelle solidarité au lendemain du scrutin et je l’en félicite.


Johnson allait s’exprimer le soir même, évidemment. La question de savoir s’il allait respecter la décision démocratique était centrale. Lui tendre la main était une façon de… lui forcer la main.


6. Parler directement aux Canadiens


Enregistrer le discours en français avait été relativement simple. Je crois que Monsieur Parizeau y était arrivé dès la deuxième prise. Contrairement à ce que j’avais demandé, Télé-Québec n’avait envoyé qu’une caméra pour le tournage, ce qui obligeait à réussir en une longue prise.


Mais il était plus fatigué en anglais et ce fut plus laborieux. C’était pourtant essentiel. Nous savions que le chef du principal parti d’opposition, Preston Manning du Reform Party, allait appeler au respect de la décision démocratique. Nous savions que des éditorialistes et chroniqueur influents étaient aussi de cet avis dans le Rest of Canada. Il fallait donc alimenter directement en arguments ceux qui voulaient respecter le verdict (et ceux qui voulaient nous mettre à la porte) et faire en sorte que les anglo-canadiens apprennent de la bouche de M. Parizeau les engagements concrets pris à leur égard:


Le geste que les Québécois ont posé aujourd’hui n’est pas un geste contre le Canada ou contre les Canadiens. Bien sûr, nous ne pouvons pas nous mettre à votre place ce soir et ressentir l’émotion très forte qui est la vôtre. Mais j’aimerais dire, au nom de tous les Québécois, que nous avons de l’estime, de l’amitié et souvent des liens familiaux avec beaucoup de citoyens canadiens. Nous voulons préserver ces liens. […]

Et je veux vous rassurer tout de suite : lorsque le Québec proclamera sa souveraineté, cela signifiera qu’aucun dollar de vos taxes ou de vos impôts ne sera versé au Québec. Aucun chèque de péréquation ne sera versé au Québec. Au contraire, puisque nous aurons récupéré à Québec, tout l’impôt des Québécois, c’est nous qui enverrons des chèques au Canada pour assumer notre juste part du fardeau de la dette canadienne.[…]


Nous ne poserons aucun geste de nature à entraver l’actuelle libre circulation des biens, des personnes, des capitaux et des services entre le Québec et le Canada et nous ne voulons pas entraver la libre circulation entre les provinces maritimes et l’Ontario.


Nous avons résolu de garder le dollar canadien comme monnaie. Cette décision est définitive et irrévocable. Pas question que les Canadiens qui doivent traverser le Québec aient à convertir leur argent dans une nouvelle devise. D’ailleurs, nous n’avons nullement l’intention d’ériger des postes de douane aux frontières du Québec.[…]


En ce moment, des centaines de milliers d’emplois au Canada et au Québec dépendent de nos échanges commerciaux, qui totalisent 67 milliards $ par année. Notre responsabilité commune est de faire en sorte que notre espace économique conjoint soit aussi profitable demain qu’il l’est aujourd’hui.


7. Incarner la stabilité


Une partie du discours est destinée aux marchés financiers et aux milieux d’affaires canadiens. Force des institutions financières québécoise, maintien du dollar, respect de notre part du fardeau de la dette, lutte au déficit, appui au libre échange, à l’Alena, économie de marché, état de droit, tout y est.


Les mots responsabilité et stabilité reviennent plusieurs fois, pour montrer que le chemin le plus sur vers la stabilité est celui de la réalisation de la souveraineté alors que les scénarios que pourrait évoquer Jean Chrétien (élection fédérale rapide, référendum fédéral pour renverser la décision québécoise) seraient gage d’instabilité


Un passage important est celui où Monsieur Parizeau indique ce qui suit:


Ce qui peut aller beaucoup plus vite, par contre, ce sont les négociations avec le Canada. Le négociateur en chef du Québec, M. Lucien Bouchard, est disposé à commencer son travail dans les jours qui viennent. Le peuple du Québec nous a donné aujourd’hui le mandat de faire une offre formelle au Canada pour un nouveau partenariat économique et politique.


Cette offre, qui est contenue dans le projet de loi sur l’avenir du Québec et dans l’entente du 12 juin, nous avons l’intention de la déposer dans de brefs délais.


Nous allions formaliser cette offre — une simple redite de l’entente PQ-ADQ-Bloc — dès le conseil des ministres du surlendemain, le mercredi.


Dans le passage sur Jean Chrétien, nous revenons sur la stabilité:


Nous pouvons donc tourner la page, respecter le verdict démocratique et procéder au nouveau dialogue qui doit maintenant s’ouvrir entre le Canada et le Québec, dans l’intérêt de tous nos citoyens et dans l’intérêt de la stabilité.


Nous voulions mettre clairement en contradiction notre volonté de négocier rapidement et le refus d’Ottawa de poser des gestes de bonne volonté envers nous, donc sa volonté de prolonger l’incertitude. Quel était « l’intérêt de tous nos citoyens », sinon que d’accepter le verdict et de négocier ?


8. S’engager pour les minorités


Très tôt, le discours s’adresse aux Anglo-québécois et aux autochtones, pour leur affirmer que leurs droits seront garantis dans la constitution d’un Québec souverain et ne pourront être modifiés sans leur consentement (ce qui est plus généreux que la constitution canadienne actuelle).


Même chose pour les immigrants et les réfugiés, en attente de citoyenneté. Et un message de solidarité aux francophones hors-Québec.


Bref, le discours était long, parce qu’il devait toucher tous les publics (y compris Paris, Londres et Washington, qui ont chacun leurs paragraphes) et qu’il serait de loin le texte le plus entendu, puis le plus lu et le plus commenté à la fois par les analystes, politiques, financiers, diplomatiques et autres.


La version intégrale du discours:


Discours de victoire du Oui, enregistré par Monsieur Parizeau le 30 octobre


Mes amis, le Québec est debout. Le peuple québécois, par son vote majoritaire aujourd’hui, vient d’affirmer au monde qu’il existe. Cette affirmation, sereine et démocratique, rien ni personne ne pourra maintenant l’effacer.


Une décision simple et forte a été prise aujourd’hui. Le Québec deviendra souverain. Qu’on lui prépare une place à la table des nations. Et parce que le Québec est maintenant debout, il peut d’abord tendre la main à son voisin canadien en lui offrant un nouveau contrat, un nouveau partenariat, fondé sur le principe de l’égalité entre les peuples.


Deux mots, désormais, doivent nous guider : responsabilité et solidarité. Il y en a un troisième dont je voudrais vous parler : le mot courage.


Car c’est ce qu’il a fallu, du courage, aux Québécoises et aux Québécois, pour surmonter les formidables obstacles mis sur leur route, en conservant leur identité francophone. Pendant 400 ans, grandir et accueillir tous les nouveaux arrivants, de chaque langue, race ou origine qu’ils soient. Bâtir ici une société moderne, dynamique, ouverte sur le monde.


Faire tout cela, alors même qu’on niait notre existence comme peuple et qu’on nous refusait les moyens de notre épanouissement. Cette année, il en a fallu, du courage aux femmes et aux hommes du Québec pour braver la peur, pour rejeter l’appel au renoncement et à une confortable résignation.


Aujourd’hui, chères Québécoises, chers Québécois, vous vous êtes dépassés. Vous avez inscrit votre nom sur la face du monde.


Vous l’avez fait de manière exemplaire, par un processus démocratique, transparent, équitable et éclairé. Avec passion, oui, mais sans agressivité. Avec ferveur, oui, mais avec un esprit pacifique et fraternel qui reflète parfaitement le genre de société que nous avons et que nous voulons : une société vivante et foisonnante, fondée sur la civilité, la stabilité et l’État de droit. Une société où les idées fusent et s’entrechoquent, mais qui rejette la violence et l’esprit revanchard. Une société qui respecte les droits individuels et ceux des minorités.


LE RASSEMBLEMENT ET LES DROITS


Chacun doit savoir ce soir que le gouvernement du Québec va procéder dans les jours qui viennent avec la même clarté, la même sereine détermination, la même ouverture que celles dont on fait preuve les Québécoises et les Québécois aujourd’hui. Notre première tâche à tous, demain, sera de retirer nos étiquettes du OUI et du NON pour pouvoir nous rassembler derrière la décision démocratique des Québécois. Plusieurs personnalités influentes ont déjà indiqué leur volonté d’appeler au rassemblement. Il faut que ce soit vrai dans chaque quartier et dans chaque village. Dans chaque communauté culturelle et linguistique. Tous et toutes, quoique nous ayons voté, quoique nous ayons dit pendant cette campagne, nous sommes des Québécois, égaux en droit et nous avons tous à nous enorgueillir de la seule victoire qui compte : celle de la démocratie.


Dans cet esprit de rassemblement, le gouvernement va procéder, comme nous l’avons indiqué, à la nomination de nouveaux membres du comité d’orientation et de surveillance des négociations sur le partenariat avec le Canada. Deux ou trois de ces nouveaux membres seront choisis parmi ceux qui ont défendu le camp du NON ces dernières semaines. Je serai heureux d’entendre les suggestions du chef de l’opposition à l’Assemblée nationale, M. Daniel Johnson, à ce sujet. Nous avons l’intention aussi, dans divers forums, notamment économiques, d’appeler à la solidarité des représentants patronaux et syndicaux pour mettre en œuvre nos choix de société : au premier chef, une stratégie nationale de création d’emploi.


Je veux m’adresser spécifiquement aux membres de la communauté anglophone du Québec pour leur réitérer notre attachement à leur présence parmi nous et notre engagement à respecter et à défendre leurs droits et à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir, dans la nouvelle Constitution québécoise, la préservation de l’identité de leur communauté et de leurs institutions. Une fois inscrits dans la Constitution, ces droits ne pourront être modifiés sans leur accord.


Les immigrants, les résidents permanents et les réfugiés qui se trouvent aujourd’hui sur le territoire québécois s’interrogent sur leur avenir. Je veux qu’ils sachent qu’ils n’ont rien à craindre d’aucun changement dans leur statut ou leur situation actuelle. Tous ceux qui sont en attente de citoyenneté canadienne pourront, sans délai supplémentaire, faire valoir leur droit à la citoyenneté québécoise au moment de la proclamation de la souveraineté. Nous les invitons à partager avec les Québécoises et les Québécois le défi exaltant de construire ici un pays nouveau.


Les 68 000 autochtones regroupés dans 11 nations au Québec, dont nous reconnaissons l’existence en tant que nations distinctes depuis maintenant dix ans, doivent savoir aussi que nous comptons respecter leurs droits actuels et faire en sorte qu’ils jouissent à nos côtés d’un niveau d’autonomie gouvernementale équivalent ou supérieur à ce qui existe ailleurs sur le continent. La nouvelle Constitution du Québec souverain enchâssera leurs droits et ceux-ci ne pourront être modifiés sans leur accord.


LE PROCESSUS D’ACCESSION A LA SOUVERAINETE


Aujourd’hui, donc, les Québécois ont décidé de devenir souverains. Alors que se passera-t-il, au cours des prochains jours? La souveraineté du Québec ne sera pas proclamée tout de suite. Ça pourra prendre un an avant que l’Assemblée nationale fasse cette proclamation. Ça va nous donner tout le temps de bien préparer la transition : l’intégration des deux fonctions publiques, la définition de nouvelles politiques économiques et sociales avec nos nouveaux outils. Pas de précipitation, mais de la rigueur.


À la fin de ce processus, le Québec va pouvoir voter toutes ses lois et les adapter à ses priorités et à ses valeurs; percevoir tous ses impôts et gérer son budget avec le même objectif déterminé de réduction du déficit, et avec la possibilité de faire ses propres choix fiscaux et sociaux; signer tous ses traités avec ses voisins et le reste du monde.


Entretemps, nous sommes encore une province du Canada. Rien ne change, demain, dans nos emplois, dans nos commerces. On va encore payer la TPS et envoyer nos impôts à Ottawa. On va encore recevoir les prestations de toutes sortes du gouvernement fédéral. À Québec, nous allons continuer de gérer nos affaires et, notamment, d’atteindre nos objectifs de réduction du déficit. Nos députés fédéraux vont encore nous représenter. Jusqu’à ce qu’on proclame la souveraineté du Québec, d’ici un an.


C’est là que les choses vont changer, qu’elles vont devenir plus simples. Mais d’ici là, tout le monde aura le temps de se préparer et de faire en sorte que la transition se fasse harmonieusement, sans perturber les services aux citoyens. Il n’y aura pas de bouleversement, pas de vide juridique.


L’OFFRE DE PARTENARIAT AVEC LE CANADA


Ce qui peut aller beaucoup plus vite, par contre, ce sont les négociations avec le Canada. Le négociateur en chef du Québec, M. Lucien Bouchard, est disposé à commencer son travail dans les jours qui viennent. Le peuple du Québec nous a donné aujourd’hui le mandat de faire une offre formelle au Canada pour un nouveau partenariat économique et politique.


Cette offre, qui est contenue dans le projet de loi sur l’avenir du Québec et dans l’entente du 12 juin, nous avons l’intention de la déposer dans de brefs délais.


Mais j’aimerais dire aux citoyens du Canada qui nous écoutent ce soir que le geste que les Québécois ont posé aujourd’hui n’est pas un geste contre le Canada ou contre les Canadiens. Bien sûr, nous ne pouvons pas nous mettre à votre place ce soir et ressentir l’émotion très forte qui est la vôtre. Mais j’aimerais dire, au nom de tous les Québécois, que nous avons de l’estime, de l’amitié et souvent des liens familiaux avec beaucoup de citoyens canadiens. Nous voulons préserver ces liens. Nous avons une affinité particulière avec les communautés francophones du Canada et nous avons envers elles un devoir imprescriptible de solidarité. Nous croyons à l’existence du peuple canadien, à sa force et à son destin en Amérique.


Nous croyons qu’à compter de ce soir, nous pouvons arrêter de gaspiller nos énergies dans des querelles qui nous divisent, mais concentrer nos efforts sur les éléments où nos intérêts convergent.


Je vous invite à saisir l’occasion qui nous est donnée de forger un nouveau partenariat entre deux peuples. Et je veux vous rassurer tout de suite : lorsque le Québec proclamera sa souveraineté, cela signifiera qu’aucun dollar de vos taxes ou de vos impôts ne sera versé au Québec. Aucun chèque de péréquation ne sera versé au Québec. Au contraire, puisque nous aurons récupéré à Québec, tout l’impôt des Québécois, c’est nous qui enverrons des chèques au Canada pour assumer notre juste part du fardeau de la dette canadienne.


Mais nous devons nous entendre sur un certain nombre de choses. Nous ne poserons aucun geste de nature à entraver l’actuelle libre circulation des biens, des personnes, des capitaux et des services entre le Québec et le Canada et nous ne voulons pas entraver la libre circulation entre les provinces maritimes et l’Ontario.


Nous avons résolu de garder le dollar canadien comme monnaie. Cette décision est définitive et irrévocable. Pas question que les Canadiens qui doivent traverser le Québec aient à convertir leur argent dans une nouvelle devise. D’ailleurs, nous n’avons nullement l’intention d’ériger des postes de douane aux frontières du Québec. Puisque les pays européens n’ont plus de postes de douane, pourquoi y en aurait-il ici? En ce moment, des centaines de milliers d’emplois au Canada et au Québec dépendent de nos échanges commerciaux, qui totalisent 67 milliards $ par année. Notre responsabilité commune est de faire en sorte que notre espace économique conjoint soit aussi profitable demain qu’il l’est aujourd’hui.


LE QUEBEC DANS LE MONDE


Le peuple du Québec prend la mesure, ce soir, de sa force politique. Il doit être conscient, aussi, de sa force économique. Parmi les 185 pays des Nations Unies, le Québec sera, dès le jour de sa souveraineté, la 16e puissance économique. Nous avons construit ici une économie diversifiée fondée sur l’entrepreneurship et le libre marché, sur un niveau de scolarité élevé et sur des institutions financières nombreuses et solides. Nous exportons, en gros, la moitié de tout ce que nous produisons – ce qui explique en partie que le Québec soit, en Amérique du Nord, l’endroit où la population est de loin la plus bilingue.


Notre poids dans l’économie de l’Amérique n’est pas négligeable. Nous sommes le huitième partenaire économique des États-Unis et à Washington comme à New York, chacun sait que, sans le Québec, il n’y aurait pas eu d’accord de libre-échange canado-américain, donc pas d’accord de l’ALENA non plus.


Chacun sait aussi que le Québec a la volonté et la capacité d’honorer toutes ses obligations financières et toutes ses responsabilités politiques et économiques. Le Québec a fermement l’intention de demeurer un partenaire actif et constructif au sein de l’Organisation mondiale du commerce et au sein de l’ALENA. Nous saluons au passage la volonté d’Ottawa exprimée il y a deux semaines par le ministre canadien des Finances, M. Paul Martin, d’appuyer la présence québécoise au sein de L’ALENA. Nous saluons aussi la volonté exprimée en décembre dernier à Miami par le président américain, M. Bill Clinton, et les autres chefs d’État des Amériques, de forger d’ici dix ans une zone de libre-échange qui embrassera tous les pays des Amériques. Nous entendons donner notre appui à cette grande initiative.


Nos partenaires de la francophonie, et au premier chef, la grande nation française, doivent s’attendre à une vigueur nouvelle de la participation du Québec à nos projets communs. Notre place en Europe sera aussi plus tangible, et, pour des raisons historiques et personnelles, je m’en voudrais de ne pas souligner à l’intention du peuple et des autorités britanniques l’attachement que nous conservons à des pratiques et à des institutions qu’ils nous ont léguées et que nous avons su adapter à notre héritage français, à nos besoins et à notre culture.


Pour terminer, vous me permettrez de remercier tous ceux qui ont investit leur intelligence et leur foi, leur énergie et leur ingéniosité, leur jeunesse et leur expérience pour faire de ce jour, une journée historique.


Ils sont des millions, et leurs noms s’échelonnent sur le calendrier des siècles, notamment celui des 30 dernières années. Il y en a un qui nous vient tout de suite à l’esprit, et ô combien nous voudrions l’avoir à nos côtés aujourd’hui : M. René Lévesque.


J’aurai l’occasion, tout à l’heure, de m’adresser aux partisans du OUI, mais j’aimerais souligner tout de suite l’extraordinaire contribution de deux Québécois venus d’horizons différents pour contribuer de façon décisive au rassemblement d’aujourd’hui; M. Lucien Bouchard, le chef du Bloc québécois, et M. Mario Dumont, le chef de l’Action démocratique du Québec.


Je veux aussi souligner la prestation énergique du leader du camp du NON, M. Daniel Johnson, qui a représenté il me semble avec aplomb sa vision de l’avenir du Québec, en soulignant toujours son attachement aux principes démocratiques qui nous gouvernent. Je l’ai entendu, surtout, ces dernières semaines, nous appeler à une nouvelle solidarité au lendemain du scrutin et je l’en félicite.


Nous comprenons tous que le premier ministre du Canada, M. Jean Chrétien, a ce soir une lourde responsabilité. Plusieurs fois pendant la campagne, il a indiqué aux Québécois que le choix d’aujourd’hui était capital. À Québec le 18 octobre, il a déclaré que le référendum, et je cite, « est le choix définitif et sans retour d’un pays ». La semaine dernière, dans son adresse à la nation, il a indiqué qu’il s’agissait « d’une décision définitive et sans appel ».


Nous sommes d’accord avec lui. Nous pouvons donc tourner la page, respecter le verdict démocratique et procéder au nouveau dialogue qui doit maintenant s’ouvrir entre le Canada et le Québec, dans l’intérêt de tous nos citoyens et dans l’intérêt de la stabilité.


Le Québec qui commence aujourd’hui doit mobiliser nos énergies, faire appel à nos imaginations. Quel qu’ait été notre vote, nous voulons, nous pouvons lancer une nouvelle révolution tranquille. Nous voulons, nous pouvons nous retrousser les manches, bâtir un avenir meilleur. Et, tous, nous voudrons et nous pourrons, dans quelques années, dire à un de nos enfants ou de nos petits enfants : « Regarde, ce Québec renouvelé, plus responsable et plus juste, plus pacifique et plus prospère, j’ai contribué à le faire naître, j’en suis fier et je te le donne! ».


Merci.


De longs extraits ont été lus lors de la soirée Salut Monsieur !



Squared

Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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