Le Québec doit revoir sa stratégie industrielle à l'égard du cannabis

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La bataille de la marijuana se fait contre l'industrie canadienne : le Québec doit réagir !

Le véritable enjeu de la guerre du pot n'est pas de contrer le marché noir. C'est de s'approprier la part qui nous revient du développement de l'industrie canadienne. D'ailleurs, mieux nous réussirons sur ce plan, plus il sera facile de s'attaquer aux autres enjeux. Malheureusement, sur le plan industriel, le Québec a plutôt mal fait ses devoirs jusqu'ici.


Inorganisation, intendance et insouciance populaire


Depuis que la légalisation du cannabis est devenue une réalité, notre retard n'a cessé de croître. Alors que les Américains et l'agrobusiness canadien sont parvenus à prendre rapidement d'assaut le marché avec des entreprises à grande échelle, nos producteurs ont été lents à s'organiser.


Aujourd'hui, la composition de l'industrie légale en sol canadien est telle que nos entreprises s'apparentent à une équipe junior encore incomplète jouant contre des équipes de la ligue nationale. Et comme si cela n'était pas déjà problématique en soi, nos meilleurs joueurs sont déjà ciblés, sinon déjà signés, comme prospects pour nos rivaux.


Notre écosystème agrofinancier n'est pas le seul responsable de ce retard. Nos élus ont aussi tardé à réagir. Le dossier ne s'est réellement activé que dans la dernière année et le gouvernement s'est contenté depuis de se comporter en bon intendant provincial. Il a concentré le gros de ses efforts pour prévenir les effets potentiellement néfastes de cette consommation sur la santé et la sécurité publique. Malgré un retard évident de nos producteurs, il a préféré ne pas intervenir, laissant ainsi le champ libre à la domination des producteurs canadiens et américains. Après maintes hésitations, il s'est rallié à la même décision que l'Ontario, soit de confier l'approvisionnement et la commercialisation à la SAQ.


Pendant ce temps, nos ténors économiques, universitaires et syndicaux se sont contentés de regarder le train passer.

Pendant ce temps, nos ténors économiques, universitaires et syndicaux se sont contentés de regarder le train passer. Les médias ont fait leurs choux gras des décisions gouvernementales et des querelles politiques en découlant. Au lieu de nous rallier à l'importance de développer et contrôler cette importante source de richesse, on a opté pour en faire un débat sur les vertus et les péchés de cette consommation et pour dénoncer de manière passive l'enrichissement d'une minorité et la participation incestueuse de nos élites à ce Klondike des temps modernes.


Des conséquences fâcheuses


Aujourd'hui, à écouter les dirigeants des entreprises canadiennes et américaines du cannabis parler du Québec, on comprend vite que ce n'est pas en fonction d'une terre abritant une concurrence respectée. Le Québec est important pour eux parce que nous représentons le deuxième plus gros marché au Canada et que nous leur offrons la possibilité de neutraliser le développement de nos entreprises via un accès direct — avant nous par surcroît — à notre électricité au rabais, à nos travailleurs qualifiés et nos serriculteurs les plus compétents.


Évidemment, cette perte de souveraineté industrielle n'est pas sans conséquence. À cause de cela, le Québec s'expose à perdre des milliards à confier à d'autres que nous le développement d'une capacité de production et de transformation qui auraient pu fournir notre marché et ceux de l'extérieur. Nous nous exposons à subir sans recours des vagues de délocalisation de nos activités. Au mieux, nos divers paliers gouvernementaux devront faire des concessions importantes pour maintenir les emplois et obtenir des investissements futurs.


Une autre conséquence fâcheuse de notre stratégie actuelle, c'est de devoir compter sur la SAQ et sa chaîne de valeur tronquée. Alors que l'Ontario et l'Ouest sont en mesure de profiter de leurs grandes entreprises productrices, dont certaines approchent ou surpassent déjà la capitalisation boursière de Bombardier, la SAQ ne pourra faire mieux que d'offrir des contrats d'approvisionnement sur appel d'offres à nos producteurs sans les rendre concurrentiels.


En aval, notre situation ne se présente guère mieux. Faut-il le rappeler, la SAQ ne brille pas par son efficacité. Et voilà qu'on lui demande de livrer simultanément bataille à de gros producteurs, aux géants du détail, au marché gris transfrontalier et à des plateformes électroniques au noir dont les cryptomonnaies et les modes de distribution seront difficilement traçables dans les années à venir.


Et comme si cela n'était pas déjà une mission impossible en soi, il faut être naïfs pour ne pas réaliser que d'ici quelques années le glas sonnera sur la SAQ alors que les nouvelles ententes de libre-échange mettront assurément fin aux monopoles étatiques de ce genre.


En somme, c'est dire que le Québec pourrait se retrouver dans les années à venir avec un imposant marché du cannabis dont la richesse lui échappera en grande partie.


Que faire?


Si nous voulons éviter qu'un tel scénario se produise, deux conditions doivent se matérialiser rapidement. Premièrement, nous devons court-circuiter le développement actuel de nos entreprises à la faveur d'une structure industrielle ayant la taille, l'expertise, le financement, le niveau d'intégration et de performance requis pour rivaliser avec les meilleurs de l'industrie.


Deuxièmement, il est primordial que cette nouvelle structure acquière une légitimité irréprochable et supérieure à celle de ses concurrents en regard des intérêts de la population québécoise. Cela suppose deux choses. D'abord, les prix ne devront pas être gonflés par des taxes exagérées, une rémunération excessive des dirigeants et des employés ainsi que des charges financières découlant d'une consolidation industrielle débridée. Ensuite, il est primordial que la richesse créée par ce secteur enrichisse le Québec et qu'elle soit répartie équitablement parmi la population.


Bien qu'une société d'État intégrée ne soit plus aujourd'hui une avenue désirable ou même envisageable, d'autres véhicules permettant à l'État et à la population d'être les principaux récipiendaires de la richesse générée par ce marché sont possibles.


Personnellement, j'ai tendance à croire qu'un consortium industriel financé et géré par la Caisse, comme dans le cas du REM, pourrait se révéler une solution pour doter rapidement le Québec d'un véritable leadership industriel et de joueurs capables d'assurer pleinement la croissance et la pérennité de notre industrie.


À l'inverse, si nous persistons avec la stratégie actuelle, j'ai bien peur que l'ajout du cannabis à notre pharmacopée légale se révèle non seulement un échec sur le plan industriel, mais que ce soit une opération beaucoup plus coûteuse et plus prohibitive que prévu. Tout comme je crains que, par manque de vision et de confiance, l'on perde une autre belle occasion de bâtir notre économie pour le futur.