Dans la deuxième partie de son étude sur l’État profond US, Peter Dale Scott revient sur l’assassinat de Robert Kennedy, le Watergate et l’affaire Iran-Contra. Instrumentalisant ces événements, le complexe militaro-industriel s’est emparé progressivement du pouvoir dans un pays désormais placé en état d’urgence permanent. Selon l’historien canadien, la première revendication d’un mouvement comme Occupy Wall Street devrait être de réclamer l’abrogation du Patriot Act, qui légalise la résolution de la crise politique aux États-Unis par des moyens militaires.
L’accroissement des pouvoirs répressifs suite aux événements profonds
Tous les événements profonds évoqués précédemment ont conduit à l’attribution de toujours plus de pouvoirs répressifs à Washington. Par exemple, il est clair que la Commission Warren a utilisé l’assassinat de JFK pour accroître la surveillance des citoyens des États-Unis par la CIA. Comme je l’ai écrit dans mon livre Deep politics, ceci résultait « des recommandations controversées de la Commission Warren, imposant que les responsabilités du Secret Service en matière de surveillance intérieure soient élargies (WR 25-26). Paradoxalement, cette dernière a conclu qu’Oswald avait agi seul (WR 22) […], mais également que le Secret Service, le FBI et la CIA devaient coordonner plus étroitement la surveillance des groupes organisés (WR 463). En particulier, elle a recommandé au Secret Service de se doter d’une base de données informatisée compatible avec celle déjà élaborée par la CIA. » [1]
Ce schéma se répètera quatre ans plus tard avec l’assassinat de Robert Kennedy [surnommé RFK, ou Bobby]. Dans les 24 heures entre les tirs frappant Bobby et son décès, le Congrès adopta dans l’urgence une loi rédigée bien à l’avance (tout comme l’étaient la Résolution du golfe du Tonkin de 1964 et le Patriot Act de 2001) – une loi qui élargit de nouveau les pouvoirs secrets conférés au Secret Service au nom de la protection des candidats à la présidence. [2]
Il ne s’agissait pas d’un changement insignifiant ou bénin : de cette loi votée à la hâte sous Johnson ont découlé quelques-uns des pires excès de l’ère Nixon. [3]
Ce changement a également contribué au chaos et aux violences survenues lors de la Convention démocrate de Chicago en 1968. Des agents de surveillance des Renseignements militaires, détachés auprès du Secret Service, opéraient à l’intérieur et à l’extérieur de la salle des congrès. Certains d’entre eux équipèrent les « voyous de la Legion of Justice, dont la Chicago Red Squad [qui] brutalisa les groupes anti-guerre locaux ». [4]
Voilà comment les nouveaux pouvoirs secrets conférés après l’assassinat de RFK contribuèrent au catastrophique désordre de la Convention de Chicago, ce qui a véritablement détruit le vieux Parti Démocrate représentant les syndicats : les trois Présidents démocrates élus par la suite furent nettement plus conservateurs.
Si l’on aborde la question du Watergate et de l’Irangate, ces deux événements constituèrent dans une certaine mesure un recul et non une extension des pouvoirs répressifs exercés par Richard Nixon et par la Maison Blanche de Reagan. À un niveau superficiel, cela est vrai : ces deux événements ont entraîné des réformes législatives qui semblent contredire ma thèse de l’extension de la répression.
Il faut cependant bien distinguer, d’une part, la phase initiale du Watergate (l’effraction), et d’autre part les deux années de crise que cet acte malveillant a engendré. La crise du Watergate a montré un Président contraint à la démission par de nombreuses forces, impliquant à la fois des libéraux et des conservateurs. Mais les personnages clés de la première phase du Watergate – Howard Hunt, James W. McCord, G. Gordon Liddy et leurs alliés cubains – étaient tous très à droite de Nixon et de Kissinger. Et le résultat final de leurs machinations ne s’est matérialisé que lors de ce que l’on a appelé le Massacre d’Halloween en 1975, quand Henry Kissinger fut évincé de son poste de conseiller à la Sécurité nationale, et que le Vice-président Nelson Rockefeller s’est vu notifier qu’il serait écarté de la candidature républicaine en 1976. Cet important remaniement a été conçu par deux autres personnages ancrés très à droite : Donald Rumsfeld et Dick Cheney, qui faisaient alors partie de la Maison Blanche de Gerald Ford. [5]
Cette journée de 1975 a vu la défaite ultime de la faction dite « Rockefeller » – ou faction libérale – du Parti républicain. Celle-ci fut remplacée par la faction conservatrice dite « Goldwater-Casey », qui allait bientôt s’emparer de la candidature présidentielle puis de la fonction suprême pour le compte de Ronald Reagan. [6] Cette révolution de palais peu remarquée, comme d’autres intrigues survenues dans le milieu des années 1970, a contribué au bouleversement des États-Unis : ce pays est ainsi passé d’une économie capitaliste du bien-être, réduisant progressivement les disparités de revenus et de richesse, à une « ploutonomie » financiarisée où ces tendances ont été inversées. [7]
À travers l’Irangate (également appelé l’affaire Iran-Contra), nous constatons de nouveau une accumulation plus profonde de pouvoirs répressifs sous couvert de réformes libérales. À cette époque la presse, mais aussi des universitaires – dont je faisais partie – ont célébré la fin du soutien des contras au Nicaragua, ainsi que le succès du processus de paix de Contadora. En revanche, il a été généralement ignoré que, même si le lieutenant-colonel Oliver North avait été écarté du Projet Jugement dernier, les plans de ce programme préparant la surveillance, les détentions arbitraires ainsi que la militarisation des États-Unis ont continué à s’étendre après son départ. [8]
On ne remarqua pas non plus le fait que le Congrès des États-Unis, tout en réduisant son aide à une petite armée narco-financée liée à la CIA, développait alors en Afghanistan un soutien croissant à une bien plus grande coalition de forces paramilitaires alliées à l’Agence et financées par la drogue. [9] Alors que l’Irangate permit de révéler les 32 millions de dollars que l’Arabie saoudite avait fourni aux Contras (à la demande pressante du directeur de la CIA William Casey), rien ne fut révélé concernant les 500 millions de dollars (voire plus) que les Saoudiens, encore une fois sous l’insistance de Casey, avaient transmis à la même époque aux moudjahidines afghans. [10] En ce sens, le caractère dramatique que prit l’Irangate au Congrès peut être considéré comme une mise en scène trompeuse, détournant l’attention du public de l’engagement US beaucoup plus important en Afghanistan – une politique secrète qui a depuis évolué pour devenir la plus longue guerre de l’Histoire des États-Unis.
Il nous faut élargir notre vision de l’affaire Iran-Contra pour la concevoir comme l’affaire Iran-Afghanistan-Contra. Ce faisant, nous devrons admettre qu’au travers de cet événement profond complexe et mal compris, la CIA a retrouvé en Afghanistan la capacité paramilitaire que l’amiral Stansfield Turner avait tenté de lui retirer lorsqu’il était directeur de l’Agence sous Jimmy Carter. En résumé, ce fut une victoire pour une faction d’individus tels que Richard Blee, protecteur d’al-Mihdhar et défenseur en 2000 d’un accroissement des activités paramilitaires de la CIA en Afghanistan. [11]
Des recoupements de personnel entre les événements profonds successifs
Je n’oublierai jamais la une du New York Times du 18 juin 1972, au lendemain de l’effraction à l’hôtel Watergate. On y voyait les photos des cambrioleurs de cet immeuble, dont celle de Franck Sturgis (alias « Fiorini »). J’avais déjà écrit à son sujet environ deux ans plus tôt, dans le manuscrit de mon livre sur l’assassinat de JFK qui n’est jamais paru, La Conspiration de Dallas (The Dallas Conspiracy).
Sturgis n’était pas n’importe qui : ancien employé contractuel de la CIA, il était également bien introduit dans le milieu des anciens propriétaires de casinos de La Havane, qui étaient tous liés à la pègre. [12] Mes premiers écrits sur l’affaire Kennedy se sont concentrés sur les liens entre Frank Sturgis et un camp d’entraînement de Cubains anticastristes près de la Nouvelle-Orléans, pour lequel Oswald avait montré de l’intérêt ; ils portaient aussi sur l’implication de Sturgis dans des faux récits primaires dépeignant Oswald comme faisant partie d’une conspiration communiste cubaine. [13]
En 1963, un certain nombre de Cubains membres de l’armée de Manuel Artime, qui était soutenue par la CIA en Amérique centrale, aidèrent Sturgis à propager ces récits primaires. En 1965, la base d’Artime au Costa Rica fut fermée, soi-disant à cause de son implication dans le trafic de drogue. [14] Dans les années 1980, certains de ces exilés cubains furent impliqués dans des activités de soutien des contras au travers du trafic de drogue. [15]
Le mentor politique du mouvement MRR (Movimiento de Recuperación Revolucionaria) de Manuel Artime était Howard Hunt, l’un des organisateurs de l’opération du Watergate ; en 1972, Artime payera la caution des cambrioleurs cubains du Watergate. Ramón Milián Rodríguez, un blanchisseur d’argent de la drogue, a affirmé avoir remis en liquide 200 000 dollars appartenant à Artime à certains des cambrioleurs cubains du Watergate ; plus tard, Rodríguez dirigea deux entreprises costaricaines de fruits de mer – Frigorificos et Ocean Hunter – qui blanchissaient l’argent de la drogue pour soutenir financièrement les Contras. [16]
Il a été avancé qu’Howard Hunt et James McCord avaient tous deux été impliqués dans les plans de Manuel Artime pour envahir Cuba en 1963. [17] Je ne crois pas qu’il relève du hasard si Artime, le protégé de Hunt, s’est lancé dans le trafic de drogue. Comme je l’ai expliqué ailleurs, Hunt gérait une connexion narcotique aux États-Unis depuis qu’il avait occupé en 1950 le poste de chef d’antenne de l’OPC (Bureau de Coordination Politique) à Mexico. [18]
Mais James McCord, qui sera plus tard le complice d’Howard Hunt et de G. Gordon Liddy dans la préparation et l’exécution du cambriolage du Watergate, ne s’était pas seulement distingué par ses activités anticastristes en 1963. Il faisait également partie du réseau de planification de crise des États-Unis, qui occupera plus tard une place centrale derrière l’Irangate et le 11-Septembre. McCord était membre d’une petite unité de réserve de l’US Air Force à Washington, qui était rattachée au Bureau de Préparation aux Crises (OEP pour Office of Emergency Preparedness). Cette unité était chargée « de dresser la liste des extrémistes et de mettre en place des plans d’urgence pour censurer les médias et le courrier postal aux États-Unis en période de conflit armé ». [19] Son unité faisait partie du Programme de sécurisation de l’information en temps de guerre (WISP pour Wartime Information Security Program) qui avait la responsabilité d’activer « les plans d’urgence pour imposer la censure de la presse, des courriers et de toutes les télécommunications (y compris les communications gouvernementales), ainsi que pour enfermer de façon préventive les civils représentant des “risques sécuritaires” en les plaçant dans des “camps” militaires ». [20] En d’autres termes, ce sont ces mêmes plans identifiés dans les années 1980 sous le nom de Projet Jugement dernier – les plans de la Continuité du gouvernement (COG pour Continuity of Government) sur lesquels Dick Cheney et Donald Rumsfeld ont travaillé conjointement pendant les 20 années précédant le 11-Septembre.
Un dénominateur commun aux événements profonds structurels : le Projet Jugement dernier et la COG
La participation de James McCord à un système de planification d’urgence chargé des télécommunications suggère un dénominateur commun derrière pratiquement tous les événements profonds que nous étudions. Oliver North – qui dans l’organisation de l’Iran-Contra était l’homme de confiance du tandem Reagan-Bush au sein du Bureau de Préparation aux Crises (OEP) – a également été impliqué dans ce genre de planifications ; et il avait accès au réseau national top secret de communication du Projet Jugement dernier. Le réseau de North, connu sous le nom de Flashboard, « excluait les autres fonctionnaires dont les points de vue étaient opposés […] [et] disposait de son propre réseau informatique mondial axé sur l’antiterrorisme, […] par lequel ses membres pouvaient communiquer exclusivement entre eux ainsi qu’avec leurs collaborateurs à l’étranger. » [21]
Flashboard a été utilisé par Oliver North et ses supérieurs au cours d’opérations particulièrement sensibles, qui devaient être dissimulées aux autres éléments – suspicieux ou hostiles – de l’administration de Washington. Ces opérations incluaient des livraisons illégales d’armes à l’Iran ainsi que d’autres activités, dont certaines demeurent inconnues, qui auraient peut-être ciblé la Suède d’Olof Palme. [22] Flashboard, le réseau d’urgence des années 1980 aux États-Unis, était entre 1984 et 1986 le nom du réseau opérationnel de crise de la COG [Continuité du gouvernement]. Ce dernier a été secrètement planifié pendant 20 ans par une équipe comprenant Dick Cheney et Donald Rumsfeld, pour un coût total de plusieurs milliards de dollars. Le 11-Septembre, ce même réseau a de nouveau été activé par les deux hommes qui l’avaient planifié depuis tant d’années. [23]
On retrouve cependant des traces du Projet Jugement dernier en 1963, lorsque Jack Crichton, chef de la 488e unité de réserve des Renseignements militaires, y participa en sa qualité de chef du renseignement pour la Protection civile de Dallas, opérant depuis le Centre des Opérations d’Urgence souterrain. Comme Russ Baker le relate, « étant donné qu’il devait permettre d’assurer la “continuité du gouvernement” en cas d’attaque, [le centre] avait été entièrement équipé de matériels de communication ». [24] Un discours prononcé lors de l’inauguration du centre en 1961 fournit de plus amples détails :
« Ce Centre des Opérations d’Urgence fait partie du Plan national visant à relier les agences gouvernementales fédérales, provinciales et locales au moyen d’un réseau de communication, à partir duquel les opérations de sauvetage pourront être dirigées en cas d’urgence locale ou nationale. Il constitue une partie essentielle du Plan opérationnel de survie aussi bien au niveau fédéral, provincial que local. » [25]
Autrement dit, Jack Crichton, tout comme James McCord, Oliver North, Donald Rumsfeld et Dick Cheney après lui, faisait également partie de ce qui fut appelé dans les années 1980 le Projet Jugement dernier. Mais en 1988, l’objectif de ce programme fut considérablement élargi : il ne s’agissait plus seulement de se préparer à une attaque nucléaire, mais de planifier la suspension effective de la Constitution des États-Unis en cas d’urgence nationale de toute forme. [26] Ce changement survenu en 1988 a permis la mise en œuvre de la COG le 11 septembre 2001. Jusqu’alors, le Projet Jugement dernier s’était développé au point de devenir ce que le Washington Post a appelé « un gouvernement de l’ombre qui a évolué sur la base de “plans de continuité des opérations” préparés de longue date ». [27]
Il est clair que le Bureau de la Préparation aux Crises (l’OEP, connu entre 1961 et 1968 sous le nom de Bureau pour la Planification d’Urgence) nous apporte un dénominateur commun pour identifier des personnes clés derrière pratiquement tous les événements structurels analysés dans cet article. La route sera encore longue avant de pouvoir établir si l’OEP lui-même (en plus des individus ici mentionnés) fut à l’origine de l’un de ces événements. Néanmoins, je crois que les réseaux alternatifs de communication internes à l’OEP (qui seront ensuite intégrés au Projet 908) ont joué un rôle significatif dans au moins trois événements profonds : l’assassinat de JFK, l’Irangate et le 11-Septembre.
Ceci est facilement démontrable dans le cas du 11-Septembre, où il est admis que les plans de Continuité du gouvernement du Projet Jugement dernier ont été mis en œuvre par Dick Cheney le 11 septembre 2001, visiblement avant même que le dernier des quatre avions détournés ne se soit écrasé. [28] La Commission d’enquête sur le 11-Septembre a été incapable de retrouver les registres qui retraçaient les décisions clés prises par Cheney ce jour-là, ce qui suggère qu’elles ont pu avoir été élaborées sur le « téléphone sécurisé » situé dans le tunnel menant au bunker présidentiel – avec un tel niveau de classification que la Commission d’enquête sur le 11-Septembre n’a jamais pu obtenir les enregistrements téléphoniques. [29] Il s’agissait vraisemblablement d’un téléphone du programme de la COG.
On ne sait pas vraiment si le « téléphone sécurisé » dans le tunnel de la Maison Blanche appartenait au Secret Service ou si, comme l’on pourrait s’y attendre, il faisait partie du réseau sécurisé de l’Agence de Communication de la Maison Blanche (WHCA pour White House Communications Agency). Dans cette dernière hypothèse, nous aurions un lien frappant entre le 11-Septembre et l’assassinat de JFK. En effet, sur son site web, la WHCA affirme que l’agence fut « un élément clé dans la documentation concernant l’assassinat du Président Kennedy. » [30] Cependant, il n’est pas évident de comprendre pour qui cette documentation fut compilée, car la Commission Warren n’a pas pu obtenir l’accès aux registres et aux transcriptions de la WHCA. [31]
Le Secret Service avait installé une radio portative de la WHCA dans le véhicule de tête du cortège présidentiel. [32] Celui-ci utilisait aussi la radio de la police pour rester en contact avec la voiture-pilote, dans laquelle se trouvait George Lumpkin, le directeur adjoint du Département de la Police de Dallas (DPD) appartenant à la 488e unité de réserve des Renseignements militaires. [33] Les enregistrements des communications WHCA du convoi n’ont jamais été fournis à la Commission Warren, ni à la Commission de la Chambre des Représentants sur les Assassinats [HSCA pour House Select Committee on Assassinations] ou au Comité d’étude des archives sur les assassinats [ARRB pour Assassination Records Review Board]. [34] Ainsi, nous ne pouvons pas déterminer si ces enregistrements pourraient expliquer certaines des anomalies constatées sur les deux canaux du Département de la Police de Dallas. Par exemple, ils auraient pu faire la lumière sur cet appel de source inconnue enregistré par la police de Dallas. Il signala un suspect ayant exactement la même taille et le même poids – erronés – que ceux notés dans les dossiers du FBI et de la CIA concernant Oswald. [35]
Aujourd’hui encore, en 2011, nous vivons sous l’état d’urgence proclamé après le 11-Septembre par le Président Bush. Du moins, certaines dispositions de la COG sont toujours en vigueur, et elles ont même été renforcées par Bush à travers la Directive présidentielle 51 (PD-51) de mai 2007. Commentant cette PD-51, le Washington Post écrivait à l’époque :
« Après les attentats de 2001, Bush nomma environ 100 hauts fonctionnaires civils, dont Cheney, pour qu’ils se relaient secrètement pendant plusieurs semaines, ou plusieurs mois, sur des sites de la COG situés en dehors de Washington, afin d’assurer la survie de la nation. Ils constituent ainsi un gouvernement de l’ombre qui a évolué sur la base de ‘plans pour la continuité des opérations’ préparés de longue date. » [36]
Il est vraisemblable que ce « gouvernement de l’ombre » ait finalisé des projets de la COG qui étaient prévus depuis longtemps, comme par exemple la surveillance sans mandat, notamment grâce au Patriot Act. Les dispositions controversées de cette législation avaient déjà été mises en œuvre par Cheney et par d’autres fonctionnaires, et ce bien avant que le projet de loi ne soit arrivé au Congrès le 12 octobre 2001. [37] D’autres projets de la COG qui furent mis en œuvre comprenaient la militarisation de la surveillance intérieure sous la direction du NORTHCOM, ainsi que le projet du Département de la Sécurité intérieure appelé Endgame – un plan décennal d’extension des camps de détention pour un coût s’élevant à 400 millions de dollars pour le seul exercice fiscal 2007. [38]
Par conséquent, j’ai une recommandation à faire pour le mouvement Occupy, qui se révolte légitimement contre les excès ploutocratiques dont Wall Street s’est rendu coupable ces trois dernières décennies. Cette recommandation consiste à appeler à mettre fin à l’état d’urgence resté en vigueur depuis 2001. En vertu de celui-ci, depuis 2008, une brigade de combat de l’armée US a été positionnée de manière permanente aux États-Unis, en partie pour se tenir prête « à contribuer au contrôle des foules et des troubles sociaux ». [39]
Les amoureux de la démocratie doivent tout faire pour éviter que la crise politique qui se développe actuellement aux États-Unis ne soit résolue par des moyens militaires.
En conclusion, je dirais que, depuis un demi-siècle, la politique états-unienne a été contrainte et altérée par la non-résolution de l’assassinat de Kennedy. D’après un mémo du 25 novembre 1963, rédigé par le Procureur général adjoint Nicholas Katzenbach, il était alors important de convaincre l’opinion publique qu’« Oswald était l’assassin » et qu’« il n’avait pas de complices ». [40] Évidemment, cette priorité est devenue encore plus importante après que ces propositions discutables eurent été adoptées à la fois par la Commission Warren, les institutions états-uniennes et la presse dominante.
Cette dissimulation de la vérité est depuis restée une priorité bien embarrassante pour les administrations qui se sont succédé, y compris pour celle qui est en place actuellement. Par exemple, nous pouvons citer ce fonctionnaire du Département d’État d’Obama, Todd Leventhal, dont la fonction officielle – jusqu’à une date récente – était de défendre la thèse du fou solitaire contre les soi-disant « conspirationnistes ». [41]
Si Oswald n’était pas un assassin solitaire, alors il ne serait pas surprenant qu’il existe un lien entre ceux qui ont falsifié les rapports le concernant et ceux qui ont déformé la politique des États-Unis dans les événements profonds ultérieurs, à commencer par le Watergate.
Depuis les événements profonds de 1963, la légitimité du système politique des États-Unis a été enfermée dans un mensonge, que les événements profonds ultérieurs ont contribué à protéger. [42]
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Peter Dale Scott
Traduction
_ Maxime Chaix
_ Sven Martin
[1] Peter Dale Scott, Deep Politics and the Death of JFK, p.280.
[2] Public Law 90-331 (18 U.S.C. 3056) ; analysé dans Peter Dale Scott, Paul L. Hoch et Russell Stetler, The Assassinations : Dallas and Beyond (Random House, New York, 1976), pp.443-46.
[3] Les agents des Renseignements militaires étaient détachés auprès du Secret Service et à l’époque, leur nombre s’agrandissait nettement. Le Washington Star expliqua plus tard que « la forte montée en puissance de la collecte d’information [à l’armée] […] n’a commencé qu’après le meurtre par balles du révérend Martin Luther King » (Washington Star, 6 décembre 1970 ; réimprimé dans Federal Data Banks Hearings, p.1728).
[4] George O’Toole, The Private Sector (Norton, New York, 1978), p.145, cité dans Scott, Deep Politics and the Death of JFK, pp.278-79.
[5] Scott, La Route vers le Nouveau Désordre Mondial, pp.89-91.
[6] Ibidem, pp.90-92.
[7] Ibidem, pp.87-101.
[8] Peter Dale Scott, « Northwards without North », Social Justice (été 1989). Réactualisé sous le titre « North, Iran-Contra, and the Doomsday Project : The Original Congressional Cover Up of Continuity-of-Government Planning », Asia-Pacific Journal : Japan Focus, 21 février 2011.
[9] Scott, La Route vers le Nouveau Désordre Mondial, p.190.
[10] Jonathan Marshall, Peter Dale Scott et Jane Hunter, The Iran-Contra Connection, p.13 (les Contras) ; Richard Coll, Ghost Wars, pp.93-102 (les moudjahidines).
[11] Steve Coll, Ghost Wars, pp.457-59, pp.534-36.
[12] Selon un témoignage de Vernon Walters, le directeur adjoint de la CIA, seuls « Hunt et McCord avaient été des employés à plein temps de la CIA. Les autres [incluant Sturgis] étaient des employés contractuels pour des durées variables » (Auditions sur le Watergate, p.3427). Cf. Marshall, Scott et Hunter, The Iran-Contra Connection, p.45 (propriétaires de casinos).
[13] Peter Dale Scott, « From Dallas to Watergate », Ramparts, décembre 1973 ; réimprimé dans Peter Dale Scott, Paul L. Hoch et Russell Stetler, The Assassinations : Dallas and Beyond, p.356, p.363.
[14] Peter Dale Scott, Crime and Cover-Up, p.20.
[15] Peter Dale Scott et Jonathan Marshall, Cocaine Politics, pp.25-32, etc.
[16] Alexander Cockburn et Jeffrey St. Clair, Whiteout : The CIA, Drugs, and the Press (Verso, Londres, 1998), pp.308-09 ; Martha Honey, Hostile Acts : U.S. Policy in Costa Rica in the 1980s (University Press of Florida, Gainesville, FL, 1994), p.368 (Frigorificos).
[17] Tad Szulc, Compulsive Spy : The Strange Career of E. Howard Hunt (Viking, New York, 1974), pp.96-97.
[18] Scott, American War Machine, pp.51-54. Howard Hunt a contribué à mettre sur pieds ce qui devint la Ligue Anticommuniste Mondiale [WACL pour World Anti-Communist League] liée au trafic de drogue. La base d’Artime au Costa Rica était située sur des terres appartenant à des membres de la branche locale de la WACL (Scott et Marshall, Cocaine Politics, p.87, p.220).
[19] Woodward et Bernstein, All the President’s Men (Simon and Schuster, New York, 1974), p.23.
[20] Jim Hougan, Secret Agenda (Random House, New York, 1984), p.16, citant la Directive 5230.7 du Département de la Défense, 25 juin 1965, amendée le 21 mai 1971.
[21] Peter Dale Scott, « North, Iran-Contra, and the Doomsday Project : The Original Congressional Cover Up of Continuity-of-Government Planning », Asia-Pacific Journal : Japan Focus, 21 février 2011. Cf. Peter Dale Scott, « Northwards Without North : Bush, Counterterrorism, and the Continuation of Secret Power », Social Justice (San Francisco), XVI, 2 (été 1989), pp.1-30 ; Peter Dale Scott, « The Terrorism Task Force », Covert Action Information Bulletin, N°33 (hiver 1990), pp.12-15.
[22] Peter Dale Scott et Jonathan Marshall, Cocaine Politics : Drugs, Armies, and the CIA in Central America (University of California Press, Berkeley, 1998), pp.140-41, p.242 (Iran, etc.) ; Ola Tunander, The Secret War against Sweden : US and British submarine deception in the 1980s, p.309 (Suède).
[23] Scott, La Route vers le Nouveau Désordre Mondial, pp.257-262.
[24] Russ Baker, Family of Secrets, p.121.
[25] « Statement by Col. John W. Mayo, Chairman of City-County Civil Defense and Disaster Commission at the Dedication of the Emergency Operating Center at Fair Park », 24 mai 1961, consultable ici. Quinze centimètres de dossiers administratifs de la Protection civile sont préservés aux archives municipales de Dallas ; un guide est consultable en ligne. J’espère qu’un chercheur qui y trouverait de l’intérêt les consultera.
[26] Scott, La Route vers le Nouveau Désordre Mondial, pp.257-262.
[27] « Bush Changes Continuity Plan », Washington Post, 10 mai 2007.
[28] 9/11 Report [Rapport final de la Commission sur le 11-Septembre], p.38, p.326, p.555n9 ; Peter Dale Scott, La Route vers le Nouveau Désordre Mondial, pp.307-08.
[29] Ibidem, 226-30. Une note de bas de page dans le Rapport final de la Commission sur le 11-Septembre (p.555n9) déclare : « La crise du 11-Septembre a mis à l’épreuve les plans ainsi que les capacités du gouvernement des États-Unis à assurer la continuité du gouvernement constitutionnel et la continuité des opérations gouvernementales. Nous n’avons pas enquêté sur ce sujet, excepté lorsque cela fut nécessaire afin de comprendre les activités et les communications des principaux responsables [aux commandes] lors du 11-Septembre. Le président, le vice-président et les principaux membres de la Commission furent briefés sur la nature générale et la mise en œuvre de ces plans de continuité [du gouvernement]. » Les autres notes de bas de page confirment qu’aucune information venant des dossiers de la COG n’a été utilisée pour documenter le rapport final. Ces dossiers auraient pu, au minimum, résoudre le mystère de l’appel téléphonique manquant qui autorisa la mise en œuvre de la COG et qui, en conséquence, détermina que Bush devait encore être maintenu à l’écart de Washington. Je suspecte que ces dossiers pourraient nous en révéler bien plus à ce sujet.
[30] « White House Communications Agency », Signal Corps Regimental History, consultable ici.
[31] Grâce au Secret Service, les membres de la Commission Warren étaient au courant de la présence de la WHCA à Dallas (17 WH p.598, p.619, p.630, etc.).
[32] Témoignage du fonctionnaire du Secret Service Winston Lawson, 17 WH p.630 (radio de la WHCA).
[33] Pamela McElwain-Brown, « The Presidential Lincoln Continental SS-100-X », Dealey Plaza Echo, Volume 3, N°2, p.23 (radio de la police) ; Scott, Deep Politics and the Death of JFK, pp.272-75 (Lumpkin).
[34] Dans les années 1990, la WHCA fournit au Comité d’étude des archives sur les assassinats [ARRB pour Assassination Records Review Board] des témoignages concernant les communications entre Dallas et Washington le 22 novembre [1963] (NARA #172-10001-10002 à NARA #172-10000-10008). L’ARRB tenta également d’obtenir de la WHCA les bandes originales non altérées de conversations depuis l’Air Force One durant le voyage retour de Dallas, le 22 novembre 1963. (Des versions montées et condensées de ces bandes ont été accessibles depuis les années 1970 à la bibliothèque Lyndon Baines Johnson à Austin, Texas.) Cette tentative fut infructueuse : « Les demandes écrites et orales du Comité d’études à l’Agence de Communication de la Maison Blanche n’ont pas porté leur fruits. La WHCA ne fut pas en mesure de produire une seule archive éclairant la provenance des bandes montées. » Voir Assassinations Records Review Board : Final Report, chapitre 6, partie 1, p.116, consultable ici. En novembre 2011, l’Associated Press rapporta que la copie personnelle des enregistrements de l’Air Force One du général Chester Clifton était mise en vente, à un prix de départ de 500 000 dollars (AP, 15 novembre 2011, source).
[35] Voir Scott, War Conspiracy (2008), pp.347-48, pp.385-87.
[36] « Bush Changes Continuity Plan », Washington Post, 10 mai 2007.
[37] Dick Cheney, In My Time : A Personal and Political Memoir (Threshold Editions, New York, 2011), p.348 : « Afin de renforcer les défenses du pays après le 11-Septembre, l’une de nos premières mesures fut d’assurer le vote du Patriot Act, que le Président promulgua le octobre 2001 », consultable ici ; « Questions and Answers about Beginning of Domestic Spying Program », consultable ici.
[38] Scott, La Route vers le Nouveau Désordre Mondial, pp.323-332 ; Peter Dale Scott, « La continuité du gouvernement états-unien : l’état d’urgence supplante-t-il la Constitution ? », www.mondialisation.ca, 6 décembre 2010.
[39] « Brigade homeland tours start Oct. 1 », Army Times, 30 septembre 2008. Durant les années 1960, dans le plan d’urgence de l’armée nommé Garden Plot, il existait jusqu’en 1971 deux brigades (soit 4800 soldats) prêtes à intervenir pour mater toute rébellion.
[40] « Memorandum for Mr. Moyers » du 25 novembre 1963, FBI 62-109060, Section 18, p.29, consultable ici. Cf. Nicholas Katzenbach, Some of It Was Fun (W.W. Norton, New York, 2008), pp.131-36.
[41] Le titre officiel de Leventhal est « Directeur de l’équipe de contre-désinformation, Département d’État des États-Unis » (source). En 2010, le Département d’État « lança une campagne officielle pour tourner en ridicule les théories du complot. La page web intitulée “Théories du complot et désinformation” insiste sur l’idée que seul Lee Harvey Oswald tua John F. Kennedy, et que le Pentagone n’a pas été frappé par un missile de croisière le 11-Septembre » Daily Record [Écosse], 2 août 2010, (source). Ce site est encore consultable ici, (« Les théories du complot prospèrent dans le royaume du mythe, où l’imagination débridée est sans limite, où les peurs l’emportent sur les faits, et où les preuves sont ignorées. ») Le site attaque encore les théories alternatives sur le 11-Septembre, mais une page concernant l’assassinat de Kennedy a été désactivée. Cf. Robin Ramsay, « Government vs Conspiracy Theorists : The official war on “sick think” », Fortean Times, avril 2010 ; « The State Department vs “Sick Think” : The JFK assassination, 9/11 and the Tory MP spiked with LSD » Fortean Times, juillet 2010 ; William Kelly, « Todd Leventhal : The Minister of Diz at Dealey Plaza », CTKA, 2010.
[42] Au sujet de la sensibilité de Nixon concernant l’assassinat de Kennedy, et comment cette sensibilité le mena dans certaines des intrigues généralement connues sous le nom de Watergate, voir par exemple Scott, Hoch et Stetler, The Assassinations, pp.374-78 ; Peter Dale Scott, Crime and Cover-up (Open Archive Press, Santa Barbara, CA, 1993), p.33, pp.64-66.
Histoire de l’État profond aux USA (2/2)
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