Le dossier du REM ramène dans l’actualité les préoccupations quant au pouvoir politique démesuré de la Caisse de dépôt et placement du Québec. La toute-puissance de la Caisse est toujours présente mais la dernière fois ou elle s’était manifestée aussi clairement c’était à la suite de ses pertes astronomiques en 2008.
La semaine dernière deux firmes d’architectes ont abandonné leur lucratif contrat relatif à la conception du REM vers l’est de Montréal et il semble qu’il fallait un geste aussi exceptionnel pour ébranler la détermination de la Caisse de dépôt dans son projet de REM aérien. Jusque-là, la Caisse tentait d’imposer à la Ville de Montréal et au Gouvernement du Québec un projet qui allait défigurer le centre-ville. Est-ce vraiment nécessaire que le REM se rende jusqu’au centre-ville, déjà bien desservi par les autobus et le métro, et possiblement par de nouvelles lignes? On peut lire à ce sujet l’excellent article de Loïc Tassé dans le Journal de Montréal du 23 février.
Des firmes d’ingénierie auraient aussi dû démissionner lors de la conception initiale du REM mais la Caisse a facilement obtenu un appui massif pour son projet qui représente une mine d’or pour tout le milieu de la construction. Dès le début la Caisse a proposé un tracé optimal de son point de vue, en desservant des secteurs qui présentaient les meilleures perspectives de rendement sans risque. On a fait miroiter aux municipalités desservies des augmentations de valeur marchande et des entrées de taxe importantes alors que le REM ne génère pas globalement plus d’activité économique, après sa construction, et que les hausses de valeur marchande près du trajet seront compensées par des pertes de valeur marchande ailleurs dans la région de Montréal. En présentant son propre tracé la Caisse a éliminé les débats démocratiques qui demandent du temps mais qui auraient pu être gérés et résolus par un gouvernement québécois responsable. On peut imaginer le soulagement de notre premier ministre si la Caisse de dépôt prenait en charge la conception et la réalisation du tramway de Québec.
La Caisse s’attend à ce que les prévisions de rendement du REM se réalisent quels que soient les coûts imprévus du projet. Les tarifs de transport pourront être ajustés à la hausse et les gouvernements seront amenés à contribuer pour que les tarifs demeurent abordables pour la classe moyenne. La précipitation et la négligence de la Caisse, ont mené à des décisions discutables et généré des problèmes depuis le début du projet, allant d’un léger effondrement de terrain la semaine dernière à un choix douteux du fournisseur des wagons. Le plus troublant c’est l’annonce il y a quelques mois d’un problème imprévu avec le tunnel existant sous la montagne. Ce problème entraînera des coûts directs de plusieurs centaines de millions de dollars, sans compter les coûts indirects et les pertes de revenus liés aux délais dans la mise en opération du train. Est-ce que les ingénieurs qui avaient inspecté le tunnel étaient incompétents ou bien la Caisse a-t-elle voulu améliorer d’un milliard de dollars le calcul de rentabilité du projet présenté?
Dans un contrat avec une firme privée il y a toujours des clauses qui assurent que la firme devra payer pour les dépassements dans les coûts et les échéanciers dont elle est elle-même responsable. Avec la Caisse de telles clauses ne seraient pas payantes pour le Québec parce que la Caisse est un organisme public et que ce sont les Québécois qui vont payer les pots cassés de toute façon. Cependant ces clauses sont là surtout pour obliger les entreprises à proposer un projet réalisable et à le gérer avec efficacité. La Caisse n’a pas de telles incitations à la performance.
Alors que le bilan de la première phase demeure incertain, on presse les autorités publiques d’accepter une deuxième phase plus coûteuse et plus complexe. Encore une fois Québec ferme les yeux sur les erreurs de la Caisse et, avant la démission surprise des architectes, il s’apprêtait à la laisser aller, les yeux fermés.
La mollesse du gouvernement envers la Caisse à la suite des erreurs de gestion catastrophiques de 2007-2008, qui ont conduit à des pertes de 40 milliards de dollars, a aussi confirmé la position dominante de la Caisse face au gouvernement.
Au cours des années précédant la crise, la Caisse n’a pas respecté ses propres politiques de placement ni ses paramètres de contrôle du risque. Aucune enquête n’a été réalisée pour identifier les gestionnaires responsables des principales pertes parce les mauvaises décisions avaient toutes été approuvées par les hauts dirigeants de la Caisse qui en comprenaient tous les risques.
On a bien organisé une Commission parlementaire à Québec mais pratiquement tous les invités étaient des hauts dirigeants de la Caisse. Ces hauts dirigeants avaient passé des mois en comité spécial pour préparer un discours cohérent et uniforme en vue de cette apparition en Commission. On n’y a entendu aucun dissident s’opposer au discours officiel de la Caisse.
On a dit à l’époque que le mal était fait et qu’il ne fallait pas perdre son temps à trouver des coupables alors que le monde de la finance avait subi une tempête parfaite. Pourtant ailleurs dans le monde plusieurs dirigeants d’institutions financières ont été condamnés pour des fautes semblables dans ce même contexte. La conséquence de ne pas bien comprendre ce qui s’est passé et de ne pas punir les coupables c’est que les problèmes fondamentaux ne sont jamais réglés.
La Caisse de dépôt et placement est une institution d’une grande importance pour le Québec. Elle gère des sommes immenses et en tire des rendements aussi bons que ceux des grandes institutions comparables, au profit des Québécois. Toutefois, ses énormes moyens lui donnent au Québec un pouvoir économique et politique qui doit être contrôlé. Contrairement à la plupart des entreprises, la Caisse n’a pas à se créer et conserver une clientèle. La presque totalité de ses fonds lui sont versés automatiquement en vertu de décisions du gouvernement du Québec et c’est ce qu’il fallait faire pour se donner une institution d’envergure.
Même si la Caisse a droit une grande autonomie, elle est une création de gouvernement du Québec et il doit s’assurer qu’elle remplit sa mission de la meilleure façon possible. En pratique, la Caisse jouit d’une telle autorité que les gouvernements hésitent à se mêler de ses affaires.
À la Caisse de dépôt comme ailleurs en finances, un problème fondamental est que des bonis liés à la performance et souvent supérieurs au salaire de base sont payés lorsque les rendements sont bons mais qu’il n’y a pas de boni négatif ou de pénalité lorsque les rendements sont négatifs. Ce système biaisé fait que les gestionnaires de portefeuille prennent des risques importants pour produire des rendements et des bonis élevés, sachant qu’au pire ils auront occasionnellement à vivre une année ou deux sans boni. Ce comportement collectif a tendance à générer des rendements spéculatifs élevés sur plusieurs années, suivies de courtes périodes de rendement très négatifs. Dans le secteur privé les dirigeants des institutions ont la responsabilité de contrôler les gestionnaires de fonds et d’éviter les catastrophes, en faisant appliquer des règles de gestion raisonnables, et ils peuvent être congédiés en cas d’échec. À la Caisse de dépôt les dirigeants ne se sentent pas menacer et participent allègrement à la course effrénée aux rendements.
C’est le statut de la Caisse et son pouvoir exagéré qui évitent aux dirigeants de devoir rendre des comptes et qui les incitent à gérer sans trop de rigueur et accumuler les erreurs. Ces erreurs devraient convaincre le gouvernement de revoir en profondeur la gouvernance de la Caisse.
Le poids imposant de la Caisse au Québec ne représente pas un problème pour sa gestion de fonds. C’est dans son implication politique et économique au Québec que le pouvoir de la Caisse apparaît antidémocratique. La solution pourrait être de retirer à la Caisse son mandat de développement économique du Québec. Dans sa gestion de fonds elle pourrait être autorisée à placer deux ou trois fois plus que ne le justifie le poids économique du Québec dans le monde, en raison de sa bonne connaissance du marché local. Cependant sans le mandat de développement économique la Caisse ne pourrait pas prendre des participations majeures dans les entreprises québécoises, décider de la survie d’un siège social ou s’impliquer directement dans le développement d’infrastructures publiques comme elle le fait dans le REM.
Les décisions significatives pour le développement économique et social seraient laissées comme il se doit à des politiciens élus et à des dirigeants de sociétés d’État directement imputables à un ministre. De plus, c’est le mandat de développement économique qui attire les magouilleurs dans les plus hauts postes de direction de la Caisse.
L’envergure de la Caisse et sa masse critique comme gestionnaire mondial de fonds n’en seraient pas affectées, elle aurait simplement à ajuster sa répartition d’actifs en conséquence. En principe elle pourrait accroître ses rendements en se concentrant sur la gestion optimale de ses fonds. Elle aurait sûrement à acheter davantage d’obligations du Québec alors que le gouvernement reprendrait certaines de ses activités d’investissement et c’est de cette façon que la Caisse continuerait à contribuer au développement économique du Québec.
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