Le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, vient de lancer un pavé dans la mare au sujet de la présence militaire canadienne en Afghanistan. Il invite le gouvernement conservateur à "modifier rapidement et profondément la mission canadienne" dans ce pays, faute de quoi son parti n'hésitera pas à "défaire le gouvernement" en introduisant au Parlement une motion de défiance. L'affaire est sérieuse. Au lieu de stigmatiser les opposants à la mission, le premier ministre Stephen Harper serait tout avisé de répondre adéquatement aux questions et aux angoisses des Canadiens à propos de notre présence en Afghanistan.
Au Canada, peu de politiciens sont capables d'articuler une question de politique étrangère. Gilles Duceppe ne fait pas exception. Ni dans son discours à Québec, lundi, ni à la télévision de Radio-Canada, mardi, le chef bloquiste n'a été en mesure d'expliciter précisément ce qu'il entendait par "modifier rapidement et profondément la mission canadienne" en Afghanistan. Il a plutôt demandé de rééquilibrer les moyens militaires et humanitaires déployés par le Canada dans ce pays.
Cette position soulève une difficulté centrale. Le Canada n'est pas seul dans cette affaire. Il doit travailler avec ses alliés de l'OTAN. Or, modifier rapidement et en profondeur notre engagement est une option à haut risque, et pour le Canada, et pour l'OTAN. Les quelque 2000 soldats canadiens déployés dans le sud du pays sont nécessaires à la lutte contre les talibans et les membres d'Al Qaeda. L'OTAN y tient, et toute modification brutale affaiblirait le dispositif actuel. Le milliard et demi de dollars d'aide économique et humanitaire alloué depuis 2002 et jusqu'en 2011 aura un impact sur le développement de l'Afghanistan.
Engagement adéquat
Notre engagement est adéquat et nous n'avons pas à en rougir. Ce qui fait problème, c'est la nature de notre posture militaire. Le Canada a décidé de jouer dans la cour des grands, de montrer ses muscles. Les militaires canadiens en ont assez de parader en Casques bleus. Ils veulent se battre dans de vraies guerres, aux côtés de leurs amis Américains et Britanniques. On peut les comprendre. Les politiciens les conservateurs et certains libéraux leur ont emboîté le pas sans avoir auparavant engagé le nécessaire travail pédagogique auprès de l'opinion publique. Les libéraux de Paul Martin ont adopté l'option musclée en catimini et les conservateurs de Stephen Harper l'ont fait entériner à toute vapeur par un Parlement contraint et intimidé. Aujourd'hui, ces politiciens récoltent ce qu'ils ont semé: une révolte grandissante chez les députés et la population.
Aider les Afghans?
Si le Bloc québécois met à exécution sa menace de renverser le gouvernement, Stephen Harper n'aura que lui-même à blâmer. Le Canada est sans aucun doute le seul pays occidental présent en Afghanistan où le gouvernement est incapable de transmettre à la population un message clair sur la nature de notre intervention là-bas. Le premier ministre n'a rien de plus intelligent à dire que de reprendre les clichés bushiens du genre "on ne va pas tout abandonner et s'enfuir" (we will not cut and run). Le ministre des Affaires étrangères est invisible et son collègue à la Défense nationale n'a ni l'envergure intellectuelle ni l'intérêt pour les débats. Il reste la ministre de la Coopération internationale, Josée Verner, dont le discours sur l'Afghanistan, honnête et sincère, n'en reste pas moins très limité. Tous, ainsi que les militaires sur le terrain, en sont réduits à répéter les trois lignes fournies par leur direction des affaires publiques pour justifier notre présence: il est hors de question de retourner les femmes dans la noirceur; l'OTAN aide les petites filles à se rendre à l'école; on construit la démocratie.
Tout cela, bien entendu, n'est pas faux. Mais ce n'est pas toute la vérité. Et la vérité, aucun politicien n'est assez courageux pour la dire et l'expliquer. Je la résume en vous citant les propos candides et directs du général Tommy Franks, commandant en chef américain pendant les opérations en Afghanistan et en Irak, publiés dans la dernière livraison de The National Interest. "Les médias nous donnent sans cesse l'impression que l'objectif global de notre présence en Afghanistan était de donner à ce pays un type de gouvernement pur, net et représentatif. C'est là un objectif souhaitable, mais qui n'est que secondaire. Et qu'est-ce qui nous a poussé à aller en Afghanistan en tout premier lieu? La réponse est sans équivoque: nous voulions assurer la sécurité des États-Unis", dit-il. Soyons clairs, poursuit-il, "les opérations militaires ont été entreprises pour empêcher ce pays et l'Irak d'être des sanctuaires afin de permettre à des terroristes de planifier leurs prochaines attaques. Il faut que cela reste ainsi. C'est cela l'impératif de notre mission () ce n'est pas l'établissement de la démocratie à n'importe quel prix."
La défense d'une cause doit couvrir l'ensemble de ses aspects. Le gouvernement conservateur a failli à sa tâche en ne mettant l'accent que sur la protection de la veuve et l'orphelin. Il lui faut de toute urgence avoir l'honnêteté de parler franc aux Canadiens, sinon l'espace sera occupé par ceux qui, légitimement, remettent en question notre participation à cette opération.
L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et au CÉRIUM de l'Université de Montréal.
Le pavé de Gilles Duceppe
Proche-Orient : mensonges, désastre et cynisme
Jocelyn Coulon59 articles
L’auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et au CERIUM de l’Université de Montréal.
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