Depuis un peu plus d’un mois, des migrants fuient en grand nombre le discours anti-immigration du président américain Donald Trump, qui menace de suspendre en 2018 des visas temporaires. Cette mesure vise près de 320 000 personnes, dont les Haïtiens et des ressortissants de pays d’Amérique centrale comme le Honduras et le Salvador. Pour plusieurs, la solution est de se rendre au Canada. Cette option n’est pourtant pas de tout repos, comme le montre le parcours qu’ils doivent suivre, et ne donne aucune garantie de succès.
L’entrée légale
S’il tente d’entrer par le poste frontalier de Lacolle, un migrant en provenance des États-Unis sera immédiatement refoulé à la frontière parce qu’il n’a pas fait sa demande d’asile dans le « pays sûr » d’où il vient, en vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs.
1. L’entrée irrégulière
Comme plus de 8000 migrants l’ont fait depuis le début de l’été, la personne entre au Canada de façon irrégulière par le rang Roxham, à Saint-Bernard-de-Lacolle. Au moment de franchir la frontière, les agents des douanes et les policiers de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) l’informent qu’elle se place dans l’illégalité.
Une fois entrée, elle est fouillée; bagages, téléphones et ordinateurs compris. Puis, viennent quelques questions sommaires pour vérifier l’identité de la personne, ainsi que la somme d’argent qu’elle détient.
Elle est ensuite assise sous une tente pendant une trentaine de minutes. En forte affluence, près de 150 migrants y attendent leur transfert vers les camps. Des toilettes chimiques sont à leur disposition.
2. Les camps
Des camps ont été érigés ces dernières semaines par les Forces armées canadiennes près du poste-frontière de Lacolle. Les militaires montent des tentes sur un plancher de bois avec chauffage et lumière. Les services frontaliers y ont installé 1200 lits, des toilettes, des douches et servent de la nourriture et de l’eau. Ces jours-ci, un migrant reste trois à quatre jours sur place avant de parler à un agent des douanes. Celui-ci fait une prise d’empreintes, prend une photo et fait des vérifications de sécurité.
Ensuite, il lui donne un rendez-vous dans les bureaux montréalais de Citoyenneté et Immigration Canada au 1010, rue Saint-Antoine pour entreprendre ses démarches de demande d’asile.
3. Centre d’hébergement
Transféré en autobus à Montréal, le migrant est installé dans un centre d’hébergement temporaire. On en compte présentement 10 à Montréal, dont le Stade olympique et l’ancien hôpital Royal Victoria, un à Boucherville et à Laval, et deux à Cornwall, en Ontario. La personne y a un lit, des toilettes, une douche, trois repas par jour, des produits de première nécessité et une carte de transport.
La durée du séjour est d’un peu plus d’un mois, car une fois que la personne a touché un mois complet d’aide sociale, elle doit se trouver un logement.
4. Administration
Dans les jours suivant son arrivée à Montréal, sa priorité est d’aller au rendez-vous du 1010, rue Saint-Antoine qui lui a été donné à la frontière. Il y dépose sa demande d’asile et l’agent d’Immigration Canada fixe une date d’entrevue pour déterminer si sa requête est recevable. Pour une personne qui franchit la frontière en ce moment, les premières dates d’entrevue disponibles sont en décembre. En attendant, le migrant ne peut pas obtenir de permis de travail.
Le demandeur d’asile peut ensuite se rendre tout près au Centre de service spécialisé afin de faire une demande d’aide de dernier recours, communément appelée aide sociale. Le ministère provincial du Travail traite la demande et, si elle est acceptée, lui remet le premier chèque en environ 10 jours. Le montant de ce chèque reçu au centre d’hébergement est le même que pour n’importe quel autre bénéficiaire au Québec, soit 628 $ par mois pour une personne seule et 1189 $ pour une famille de deux adultes et deux enfants.
Le migrant a le choix de mener ces démarches seul ou de faire appel à un avocat dont le conseil peut être gratuit s’il est admissible à l’aide juridique. Enfin, il est aussi possible de se tourner vers des consultants en immigration, dont les services ne sont toutefois pas couverts par l’aide juridique.
5. Logement
Pour empocher son chèque d’aide sociale, la personne doit se trouver un logement. La recherche peut se faire avec l’aide d’organismes partenaires du ministère provincial de l’Immigration ou par ses propres moyens. Étant donné la précarité de leur statut, il est compliqué pour eux d’avoir un recours contre un propriétaire véreux. Passer par un organisme réduit les risques d’arnaque.
En vivant de l’aide sociale, il est difficile de s’équiper, surtout lorsqu’on a des enfants. Plusieurs organismes peuvent fournir du mobilier, des produits d’hygiène, de la nourriture ou même des billets de transport.
6. École
La Commission scolaire de Montréal offre gratuitement une place à l’école à tous les enfants de migrants, même ceux qui n’ont pas de statut. Un projet de loi en ce sens sera d’ailleurs débattu en septembre à l’Assemblée nationale.
Les parents doivent fournir l’adresse de leur logement, qui ne peut pas être un centre d’hébergement. Interrogée, la Commission scolaire de Montréal dit toutefois ne pas connaître le nombre d’enfants qu’il faudra intégrer dans les classes dès demain.
7. Demande d’Asile
Le migrant doit attendre jusqu’à l’automne ou à l’hiver pour avoir une entrevue avec un agent de l’immigration afin de déterminer si sa demande d’asile peut être accueillie. Or, quand l’affluence était plus faible, cet examen se faisait directement à la frontière.
- Si la demande n’est pas reçue, la personne doit retourner d’où elle vient, donc les États-Unis ou son pays d’origine si elle n’a pas de statut légal aux États-Unis. Elle peut néanmoins faire appel au programme d’Examen des risques avant renvoi, mais son taux de succès est de moins de 2 %, dit l’avocat en immigration Stéphane Handfield.
- Si la demande est jugée acceptable, une date d’audience est fixée dans les 60 jours, mais risque d’être reportée de quelques semaines, voire quelques mois. Selon Me Handfield, l’audience du demandeur d’asile n’aura pas lieu avant le printemps 2018.
8. Travail
Lorsque sa demande d’asile est jugée recevable, la personne peut faire une demande de permis de travail auprès de Citoyenneté et Immigration Canada. La durée de traitement de la demande diffère si elle est faite par internet ou par courrier. Dans ce dernier cas, qui est le plus courant pour les demandeurs d’asile, il faut attendre environ 110 jours, soit presque quatre mois.
9. Décision
Environ un an après son arrivée au Canada, la personne est entendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada qui doit déterminer s’il s’agit bien d’un réfugié au sens de la loi. Selon Immigration Canada, la Commission donne une réponse dans les quatre mois suivant l’audience.
- Si la demande d’asile est acceptée, la personne peut alors rester en sol canadien et entamer la procédure pour devenir résident permanent.
- Si la demande est rejetée, la personne doit retourner dans son pays d’origine ou faire appel devant la section d’appel des réfugiés. En cas d’échec, elle peut demander un contrôle judiciaire à la Cour fédérale du Canada. Au total, ces démarches peuvent ajouter 12 à 24 mois de procédures.
10. Retour au pays
Le taux actuel de succès des demandes d’asile est d’environ 50 %, mais il pourrait changer avec la vague récente de migrants, des Haïtiens pour la plupart, venus des États-Unis.
Pour l’avocat Guy Bertrand, ces demandeurs d’asile « ne pourront pas démontrer que s’ils devaient retourner en Haïti ils pourraient être exposés à la torture, à une menace à leur vie, ou à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités ».
Me Handfield craint de son côté que les décisions de retour au pays soient complexes pour la Commission de l’immigration. En effet, les enfants de migrants nés aux États-Unis pourraient devoir retourner dans ce pays alors que leurs parents devraient prendre le chemin d’Haïti.
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