Au Moyen Âge, le fou du roi ne se contentait pas de multiplier les pitreries pour divertir son auguste patron. La très grande liberté d'expression dont il jouissait lui permettait aussi de dire ses quatre vérités à un monarque qui s'égarait. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, son rôle premier en était un de garde-fou.
Dans la saga de la commission d'enquête sur la corruption dans l'industrie de la construction, Jean-Marc Fournier s'est malheureusement contenté de faire le pitre en renonçant à sa fonction de garde-fou.
En sa qualité de ministre de la Justice et de jurisconsulte du gouvernement, il avait le devoir de mettre le premier ministre Charest en garde contre les dangers de l'utilisation de la magistrature à des fins politiques.
Au bout du compte, c'est la juge Charbonneau qui a dû rappeler M. Charest à l'ordre. S'il croyait qu'elle se contenterait de pouvoirs distillés au compte-gouttes et risquer de compromettre la crédibilité de sa commission pour lui éviter de perdre la face, il s'est manifestement trompé sur la personne.
Le poste de fou du roi exigeait un certain courage. Un monarque courroucé pouvait toujours l'expédier au gibet. Les méthodes modernes sont un peu plus civilisées, mais Monique Jérôme-Forget a pris un risque qui l'honore en s'opposant à la hausse des subventions aux écoles juives, tout comme Philippe Couillard en torpillant le projet d'implantation du CHUM à Outremont.
Malgré le cynisme ambiant, il peut être politiquement rentable d'avoir des principes. Thomas Mulcair a été expulsé du cabinet Charest pour avoir refusé la vente du mont Orford, mais cela lui a valu l'estime de la population et il aura sans doute une carrière plus longue que s'il avait docilement obtempéré aux ordres.
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M. Fournier n'est pas fait de ce bois. Il remplit les commandes sans discuter. Il avait plaidé l'ignorance lors du fiasco du projet de l'Îlot Voyageur. Cette fois-ci, il s'est associé en toute connaissance de cause aux manigances de son patron pour tenter de neutraliser la commission. Le mot utilisé par le leader parlementaire de l'opposition, Stéphane Bédard, était dur, mais tout à fait justifié: le ministre de la Justice s'est conduit comme un véritable «pantin».
Chacun a son seuil de tolérance au ridicule. À ceux qui ont trouvé qu'il avait eu l'air particulièrement fou au congrès du PLQ, quand il a défendu mordicus une position que son chef a abandonnée quinze minutes plus tard, il a répliqué avec humour qu'on ne l'avait jamais vu essayer de monter un meuble IKEA.
L'autodérision peut être très utile en politique, mais elle ne remplace pas le sens de l'État et la dignité. Ceux qui voyaient en M. Fournier un candidat possible à la succession de M. Charest feraient mieux de chercher ailleurs.
Le résultat de ce gâchis est que le gouvernement ne retirera aucun dividende politique pour s'être enfin rendu au voeu de la population. Aux yeux de l'opinion publique, il n'aura pas agi, mais simplement cédé aux pressions, confirmant du coup les soupçons de tous ceux qui croient depuis le début qu'il a des squelettes plein son placard.
Certes, la mémoire est une faculté qui oublie, et la qualité des deux adjoints qu'a recrutés la juge Charbonneau a fait une excellente impression, mais le gouvernement vient quand même de perdre un autre mois à tourner autour du pot. Quand on recueille seulement 20 % des intentions de vote à l'aube d'une année électorale, le temps nous est compté.
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Trop occupé à gratter ses bobos, le PQ a été incapable de profiter de la situation. Il est maintenant trop tard. Tant que M. Charest refusait de créer une commission d'enquête, Pauline Marois pouvait toujours en faire la promesse, mais maintenant que c'est fait...
Pour peu qu'il ait une chance raisonnable de l'emporter, M. Charest voudra sûrement déclencher des élections avant que la commission Charbonneau ne commence à donner des résultats qui pourraient être embarrassants, mais l'instabilité de l'économie mondiale pourrait devenir un incitatif encore plus pressant.
Il est le premier à savoir que le hasard — l'écroulement d'un viaduc — qui avait poussé son gouvernement à lancer un formidable programme de réfection des infrastructures routières juste avant l'écroulement des marchés financiers ne se reproduira pas. Quant au Plan Nord, il ne sera d'aucune utilité si le prix des matières premières s'effondre.
Un clignotant rouge s'est allumé cette semaine quand le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, a reporté d'au moins un an l'atteinte de l'équilibre budgétaire à Ottawa parce que les revenus escomptés ne seront pas au rendez-vous.
M. Charest se souvient trop bien de la façon dont le gouvernement Chrétien avait pelleté son déficit dans la cour des provinces en sabrant les paiements de transfert. M. Flaherty n'a rien annoncé de tel, mais les mêmes causes ont la fâcheuse tendance à produire les mêmes résultats.
Le pantin
Dans la saga de la commission d'enquête sur la corruption dans l'industrie de la construction, Jean-Marc Fournier s'est malheureusement contenté de faire le pitre en renonçant à sa fonction de garde-fou.
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