À lire les propos de certains intervenants dans le débat sur la bataille de 1759, cet événement n’aurait pas eu grande importance. Ce fut un mauvais quart d’heure à passer, sans caractère décisif, une affaire entre deux armées étrangères (et non les habitants) dont les commandants, s’il fallait en avaler l’image diffusée par la Commission des champs de bataille nationaux, se sont même serré la main…
Le rapport que le major George Scott a rédigé le 19 septembre, au terme de son « tour » en bas de Québec, rappelle que 1759 a été constituée d'événements qu'on ne peut commémorer avec des bals et des majorettes. Pendant que Wolfe attaquait Québec le 13 septembre, ses forces spéciales ravageaient la Côte-du-Sud (dont les habitants masculins étaient mobilisés à Québec), détruisant les habitations, brûlant les récoles, pillant les propriétés privées. Son rapport se passe de commentaires :
« Samedi 1er septembre, le détachement s'est embarqué sous mon commandement à Pointe-Lévy.
Lundi le 3, nous sommes descendus à l'île Madame.
Jeudi le 6, j'ai laissé le capitaine Goreham et la moitié du détachement en face de l'île Madame en lui donnant instruction de débarquer à la rivière du Sud deux jours après mon départ, et j'ai franchi la Traverse (dans l'après-midi) avec le reste du détachement.
Vendredi le 7, j'ai jeté l'ancre à neuf heures du soir en face de Kamouraska.
Samedi le 8, j'ai envoyé une patrouille à terre, à une heure du matin, pour prendre un prisonnier et en tirer des renseignements, ce que nous avons réussi.
Dimanche le 9, j'ai commencé le débarquement de ma troupe à deux heures et demie du matin et, à deux heures de l'après-midi, elle était toute à terre, à environ trois milles à l'est de l'église de Kamouraska où nous avons eu une petite escarmouche avec quelques ennemis; il y a eu un ranger tué, un autre blessé, nous avons fait cinq prisonniers, tué un ennemi, blessé deux autres, et brûlé 56 maisons de cet endroit jusqu'à l'église.
Lundi le 10, nous avons brûlé 109 autres maisons à Kamouraska.
Mardi le 11, nous avons marché de l'église de Kamouraska à celle de Rivière-Ouelle et brûlé 121 maisons sur notre route. Chemin faisant, nous avons eu un soldat régulier blessé par un petit groupe d'ennemis placés en embuscade.
Mercredi le 12, du cap au Diable à l'embouchure de la rivière Ouelle, nous avons brûlé 55 maisons, nous avons ramené quelques bestiaux, et j'ai fait reposer mes hommes.
Jeudi le 13, nous avons pris un prisonnier, un ranger a été blessé, nous avons brûlé 216 maisons en remontant la rive est de la rivière Ouelle, et nous avons aussi brûlé une goélette et six chaloupes.
Vendredi le 14, dans la matinée, nous avons marché de Rivière-Ouelle à Sainte-Anne et, en chemin, nous avons brûlé 151 maisons, avons eu un ranger tué dans une embuscade et tué trois ennemis. Dans l'après-midi, nous avons marché de Sainte-Anne à Saint-Roch et brûlé 90 maisons, un sloop et une goélette.
Samedi le 15, nous sommes demeurés à Saint-Roch pour dévaster l'arrière-pays, en ramener des bestiaux et faire reposer les troupes. À quatre heures de l'après-midi, le capitaine Elphistone, commandant de l'Eurus, est venu à terre pour m'informer qu'il avait reçu l'ordre de nous ramener immédiatement à Québec, mais que je devais monter quatre ou cinq lieues plus haut, à cause d'un haut-fond qui s'étend sur six ou sept milles, à partir de Saint-Roch, et qui aurait rendu l'embarquement très difficile. Dans l'après-midi, nous avons brûlé une goélette et deux autres chaloupes.
Dimanche le 16, nous avons marché jusqu'à la limite est de la paroisse de Cap-Saint-Ignace et brûlé 140 maisons, nous avons eu un ranger blessé dans une petite escarmouche avec l'ennemi et nous avons capturé six femmes et cinq enfants. Le vent d'ouest soufflait si fort ce jour-là qu'il empêcha le capitaine Elphistone de s'approcher de nous avec ses transports.
Lundi le 17, la marée empêchant les vaisseaux de venir nous prendre à bord tôt le matin, nous avons brûlé 60 maisons de plus, [de notre campement jusqu'à trois milles de l'église de Cap-Saint-Ignace ?]. À onze heures du matin, j'ai commencé à faire embarquer mes troupes et, à cinq heures de l'après-midi, nous étions tous à bord.
En somme, nous avons marché sur une distance de cinquante-deux milles et, sur le parcours, nous avons brûlé 998 bons bâtiments, deux sloops, deux goélettes, dix chaloupes, plusieurs bateaux plats et petites embarcations, nous avons capturé quinze prisonniers, dont six femmes et cinq enfants, et fait cinq victimes chez l'ennemi; il y a eu un blessé parmi nos réguliers et, chez les rangers, deux morts et quatre blessés*».
C'est donc pour tuer le temps que 60 maisons de Cap-Saint-Ignace ont été brûlées le 17 septembre 1759, 4 jours après la bataille des Plaines.
Faut-il aussi reconstituer cette virée sinistre? Il faudrait au moins une neuvaine.
_______________
*Source: Gaston Deschênes, L'Année des Anglais, Sillery, Septentrion, 1998, p. 145-146.
Le « p’tit tour » de George Scott en septembre 1759
Tribune libre
Gaston Deschênes32 articles
Historien
[http://openlibrary.org/a/OL184953A/Gaston-Desche%CC%82nes->http://openlibrary.org/a/OL184953A/Gaston-Desche%CC%82nes]
[Gaston Deschênes reçoit le Prix Monique Miville-Deschênes de la Culture->http://lepeuplecotesud.canoe.ca/webapp/sitepag...
Cliquer ici pour plus d'information
Historien
[http://openlibrary.org/a/OL184953A/Gaston-Desche%CC%82nes->http://openlibrary.org/a/OL184953A/Gaston-Desche%CC%82nes]
[Gaston Deschênes reçoit le Prix Monique Miville-Deschênes de la Culture->http://lepeuplecotesud.canoe.ca/webapp/sitepages/content.asp?contentid=99138&id=815&classif=Nouvelles]
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
3 commentaires
Archives de Vigile Répondre
10 février 2009Monsieur Deschênes,
Ce que vous nous révélez complète magnifiquement (si j'ose dire)
l'ouvrage de Normand Rousseau intitulé "L'Histoire Criminelle des
Anglo-Saxons".
Claude Jodoin Ing.
Archives de Vigile Répondre
10 février 2009Je crois qu'on devrait utiliser ce genre de texte comme outil de maintenance de la mémoire collective autant auprès du peuple que des élus et aussi auprès du Canada anglais qui nous doivent respect sous plusieurs égards dans leur conquête.
C'est ce même genre de texte qu'on devrait lire sur les places publiques cet été suivi d'un moment de silence au lieu de festoyer sur les Plaines.... Ce serait une prise de conscience énorme dans la population qui repartirait avec un sentiment autre que celui d'avoir assisté à un spectacle burlesque...
Archives de Vigile Répondre
9 février 2009Merci de documenter ainsi la « commémoration » de ce qui a préparé et suivi la Bataille des Plaines d'Abraham du 13 septembre 1759
Un dossier pourrait rassembler tous ces textes historiques particuliers entourant cette bataille et la Conquête, dont certains parlant de la capitulation de Québec...
Si ce n'est déjà fait...
Histoire de rassembler dans un même corpus la documentation d'une vraie commémoration...