Il est facile quand on discute d'immigration, de réfugiés, de ceux venus de l'étranger pour étudier ou travailler, de trouver les mots qui inquiètent, de stimuler les réflexes qui font peur. C'est la spécialité des populistes de droite, et c'est sous ce couvert qu'hier, le ministre Jason Kenney a présenté son projet de loi sur les réfugiés. Il s'agit pourtant d'un recul démocratique.
La recette marche à tout coup: un ministre — de France, des États-Unis, du Canada... — clame que son pays est une passoire, et qu'il faut resserrer les lois d'immigration. Et l'écho populaire répond: il y a peut-être des clauses qui clochent mais au final, le gouvernement — Sarkozy, ou Bush, ou Harper — a donc raison de sévir! Car le plus important, c'est de mettre fin à cette arrivée massive de gens qui veulent profiter de notre système et peut-être même s'en prendre à nous.
Cette réaction, on l'a encore entendue hier dès le dépôt du projet de loi C-31 du ministre fédéral de l'Immigration Jason Kenney. Il faut dire que le ministre a su tirer toutes les ficelles. Il a dénoncé les faux demandeurs du statut de réfugié en provenance de la si démocratique Europe, donnant l'exemple de la Grande-Bretagne (en fait, les demandes viennent surtout de la Hongrie où la discrimination envers les Roms est effrayante); il a souligné la nécessité de bloquer la venue au pays de criminels (ah? On en trouve plus chez les réfugiés qu'ailleurs?); il a insisté sur les coûts que représentent les faux demandeurs d'asile...
Cibler ainsi les mauvaises têtes détourne l'attention de la toile de fond du projet de loi déposé, qui touche une foule de dispositions légales et que le gouvernement veut en vigueur pour l'automne. Ce qu'il faudrait pourtant retenir, c'est la grande latitude qui est ici donnée au politique, et le retrait de recours judiciaires pour les aspirants au statut de réfugié. Ce n'est pas bon signe.
D'autant qu'avec C-31, les conservateurs font fi de compromis négociés en bonne et due forme avec l'opposition en juin 2010 et qui restreignaient les pouvoirs que le gouvernement voulait alors se donner. Par exemple, l'ancienne loi prévoyait que la liste des pays sûrs (c.-à-d. peu susceptibles de produire des réfugiés) serait dressée avec des experts des droits de la personne. Dorénavant, c'est le ministre qui sévira. M. Kenney se défendait hier en disant qu'il s'agissait d'être efficace et que des critères sont prévus dans la loi. En fait, ceux-ci semblent bien malléables.
Par exemple, la loi dit que le ministre évaluera un pays à partir du pourcentage (qu'il va aussi déterminer) de demandes de réfugié rejetées par les instances canadiennes. Or, rappelait hier l'opposition néodémocrate, les conservateurs ont nommé de nombreux candidats défaits ou des donateurs du parti à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. S'agit-il vraiment d'une enceinte objective qui peut créer des critères objectifs?
Et pourquoi donc cette obsession d'ajouter des données biométriques aux visas d'études, de travailleurs, de touristes? Pourquoi enquiquiner les centaines de milliers de personnes qui viennent ici, contribuer à notre économie et à notre ouverture au monde? Parce que les États-Unis le font aussi? C'est l'argument du ministre Kenney, auquel il ajoute la nécessité de stopper ceux qui nous veulent du mal ou abuser de notre générosité.
Mais au rythme où vont les conservateurs, le Canada n'aura bientôt plus grand générosité à distribuer, mais de la méfiance généralisée et une société de droits de plus en plus réduits. Sous sa séduction populiste, ce projet de loi qui sera adopté à toute vapeur en est une autre inquiétante démonstration.
Réfugiés, étudiants, touristes
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