Le Kosovo et la géopolitique des Balkans

DUI - Référendum - Kosovo (17 février 2008), Soudan (janvier 2011)


La proclamation unilatérale de l’indépendance du Kosovo a été mise en scène par les médias atlantistes comme une victoire des peuples à disposer d’eux-mêmes. Rien de plus fallacieux, rappelle Pierre Hillard : cette décision n’a pas été prises par les intéressés, mais par l’Allemagne et les Etats-Unis. Au demeurant, le Kosovo « indépendant » n’est pas souverain et son activité économique légale se limite à héberger la plus moderne des bases militaires US implantée sur le continent européen, camp Bondsteel.



L’indépendance du Kosovo, le 17 février 2008, marque un tournant dans les Balkans. Une forêt de drapeaux albanais, états-uniens et anglais claquait dans les rues de la nouvelle capitale, Pristina. Ça et là, un « Danke Deutschland » (« merci l’Allemagne ») décorait les frontons de plusieurs bâtiments rappelant le rôle incontournable de Berlin dans la naissance du nouvel État. La reconnaissance de la dernière province de la fédération yougoslave semble clore le démantèlement de ce pays commencé au début de la décennie 1990. En fait, la destruction de cette fédération entre dans un vaste plan de recomposition territoriale et économique des Balkans en liaison avec la Mer noire et le Proche-Orient.
La Yougoslavie doit être détruite
La destruction de ce pays est due à l’Allemagne. En effet, dès les années 1970, les autorités politiques bavaroises sous la direction du ministre-président Franz-Josef Strauss ont organisé de multiples contacts avec les dirigeants slovènes et croates. Il s’agissait de détacher économiquement les États du Nord de la Yougoslavie afin de les intégrer à l’économie occidentale, en premier lieu l’Autriche et l’Allemagne. L’instrument qui a permis à Berlin d’entamer la désintégration de ce pays est passé par une « Communauté de travail » (Arbeitsgemeinschaft), Alpen-Adria [1]. Créée le 20 novembre 1978, cette Communauté regroupe différentes régions issues de différents pays. Outre la Bavière, on y retrouve des régions suisses, autrichiennes et italiennes. À cela, il faut y ajouter depuis la chute du Mur de Berlin les régions hongroises, mais aussi les provinces du Nord de l’ancienne Yougoslavie. Forte d’une superficie de 306 000 km2, cette entité territoriale se dégageant progressivement de l’autorité des différents États prend en charge des domaines comme l’aménagement du territoire, les transports ou encore l’agriculture. Cette dynamique se renforce d’autant plus en raison de l’action de l’Association des Régions Frontalières Européennes (l’ARFE), institut germano-européen, dont l’objectif déclaré est de transformer les frontières nationales en simples tracés administratifs [2].
Le prélude à la sécession de la Slovénie et de la Croatie commença en 1987 quand l’État yougoslave se trouva au bord de la faillite dans l’incapacité d’honorer ses dettes. Cette situation obligea le gouvernement du pays à se placer sous les fourches caudines du Fonds monétaire international (le FMI). Ce fut le commencement de la fin. En effet, le gouvernement allemand en profita pour arguer du fait que la Slovénie et la Croatie, régions plus riches par rapport à celles du Sud, avaient plus de chance d’entrer dans l’Union européenne (à l’époque la CEE). Ce chant de sirène eut l’effet escompté. En juin 1991, les deux républiques du Nord yougoslaves déclarèrent leur indépendance. Cette dernière fut reconnue expressément par le ministre des Affaires étrangères allemand, Hans-Dietrich Genscher en décembre de la même année. Sa détermination entraîna celle des autres pays européens allumant ainsi le brasier yougoslave. En fait, l’action déterminante de l’Allemagne en faveur du démembrement de l’État yougoslave fut précédée en juillet 1991 par Alpen-Adria qui, lors d’une session plénière le 3 juillet 1991, déclara : « Les membres de la communauté de travail d’Alpen-Adria suivent avec une grande inquiétude l’escalade de la violence en Yougoslavie menaçant la paix en Europe (…). Ils considèrent comme de leur devoir d’agir, dans le cadre de leurs possibilités, au fait que le droit à l’autodétermination des peuples de Yougoslavie soit reconnu et que les décisions émanant d’organes démocratiquement élus soient respectées. Ils soutiennent avant tout les efforts démocratiques et non-violents des États membres de Slovénie et de Croatie à réaliser leurs droits à l’autodétermination. Ils sont convaincus que ces républiques ont le droit de revendiquer l’indépendance, la liberté et la solidarité au sein de la Communauté de travail Alpen-Adria » [3]
L’éclatement de la Fédération yougoslave aboutit à l’émergence de multiples unités indépendantes. Les accords de Dayton, signés en 1995, ont fixés temporairement les frontières de ces nouvelles entités nées dans le sang. Cependant, l’affaire n’était pas close avec le cas kosovare. Cette province autonome serbe, véritable foyer de la civilisation de ce pays, s’est vue peuplée progressivement de musulmans en provenance d’Albanie. Réclamant une indépendance face à Belgrade, les représentants albanais du Kosovo ont reçu un soutien complet de la part de l’Union fédéraliste des communautés ethniques européennes (l’UFCE), institut européen mais en fait allemand promouvant une organisation ethnique de l’Europe. Bénéficiant de l’appui d’un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur allemand [4], l’UFCE a soutenu totalement les revendications kosovares [5]. Réunie sous l’appellation « Union des Kosovars », cette dernière a reçu un appui de Berlin tout en ayant son siège aux … États-Unis dans l’État de l’Illinois [6]. L’intervention militaire de l’OTAN, en mars 1999, fit plier la République yougoslave qui désormais se vit imposer une réorganisation de son espace géographique.
Les Balkans, zone de transit
La grande « faute » du président serbe Milosevic aux yeux des mondialistes est d’avoir refusée de rentrer dans l’organisation politique et financière prônée par la communauté euro-atlantique. En fait, la destruction de la Yougoslavie a permis une complète réorganisation de l’espace politique, économique et militaire. Sitôt la guerre de 1999 terminée, les États-Unis se sont lancés dans la construction d’une base militaire au Kosovo, la plus moderne et la plus importante d’Europe : Bondsteel. Pouvant abriter jusqu’à 7 000 soldats, cette base ultra-moderne est en mesure de surveiller l’ensemble du territoire balkanique, mais aussi la Mer noire et la Turquie. Premier employeur de Kosovars, cette présence états-unienne fidélise le tout nouveau gouvernement indépendant à Pristina. En termes plus clairs, le Kosovo est une annexe du territoire américain en Europe. Cette volonté états-unienne de s’impliquer dans cette zone s’explique en raison de l’importance cruciale de l’acheminement des hydrocarbures en provenance de la Mer Caspienne, plus exactement de Bakou. Parmi les nombreux oléoducs et gazoducs, nous pouvons relever le transbalkanique Burgas-Vlore, le BTC (Bakou, Tbilissi-Ceyhan), Blue Stream, Nabucco, … en concurrence avec le gazoduc russe, Southstream.
La politique états-unienne consiste à contrôler les Balkans, en passant par l’Asie centrale jusqu’au Proche-Orient. Cela passe obligatoirement par une balkanisation de toute cette zone selon la bonne vieille tradition « divisez pour mieux régner ». La parcellisation de l’Europe en raison de l’application des textes germano-européens se double de la volonté d’éclater les États du Proche-Orient en une multitude d’entités ethniques et religieuses. Cette ambition a été présentée officiellement par la revue militaire AFJ (Armed Forces Journal) en juin 2006 sous la plume de Ralph Peters, ancien officier du renseignement. En fait, ces travaux s’appuient largement sur ceux de l’islamologue britannique Bernard Lewis très proche des néo-conservateurs [7]. L’importance de sécuriser l’acheminement du pétrole et du gaz entre le Proche-Orient et les Balkans explique aussi la volonté de mettre sur pied une eurorégion de la Mer noire. Ce concept a été particulièrement développé lors de multiples réunions entre le très influent Bruce Jackson, proche des milieux néo-conservateurs, et les instances européistes. Comme le rappelle avec clarté le représentant états-unien : « La Mer noire est la nouvelle interface entre la communauté euro-atlantique et le grand Moyen-Orient » [8]. Par conséquent, on comprend plus aisément toute l’importance d’une indépendance du Kosovo qui, par l’intermédiaire de sa base US, sera pour Washington un véritable porte-avion quadrillant l’ensemble de cette zone.
Les événements précipitant le Kosovo vers l’indépendance avaient été annoncés lors des colloques réunissant les députés du Parlement européen et ceux du Congrès des États-Unis. En effet, dans le cadre du Transatlantic Legislators Dialogue (TLD), une réunion du 18 au 21 avril 2006 à Vienne annonçait déjà la couleur. Comme le présente le rapport final du TLD : « La délégation américaine se concentre sur la question du Kosovo et indique que la semi-indépendance du Kosovo n’est pas le bon choix. C’est l’autodétermination qui devrait être appliquée, et que la Serbie doit devenir un pays normal, pleinement intégré dans la communauté internationale ». Cette même délégation états-unienne précise « qu’il y a, bien entendu, un problème plus vaste : chaque langue, chaque dialecte doit-il disposer d’un drapeau et d’un pays indépendant ? » [9]. En tout cas, c’est un peu tard pour y penser.
La reconnaissance de la souveraineté du Kosovo par les principales puissances occidentales est un véritable tournant dans les relations internationales. En effet, suite à la guerre de 1999, la résolution 1244 du Conseil de sécurité affirmait reconnaître l’intégrité du territoire serbe, Kosovo inclus, ce dernier bénéficiant d’une forte autonomie. La violation flagrante de cette résolution laisse le droit international en miettes. A quoi bon rédiger des résolutions qui seront piétinées ? Qui plus est, la reconnaissance de ce nouvel État ouvre largement la boîte de Pandore. Que répondre aux autres régions en Europe et partout dans le monde souhaitant obtenir leur indépendance ? Dans l’esprit du mondialisme, ennemi des États-nations, l’émergence de cet État préfigure une chute de dominos en série destructeurs de l’intégrité territoriale de nombreux pays. On aurait voulu faire exprès que l’on ne s’y serait pas mieux pris. Mais justement, il faut croire que les Al Capone du mondialisme l’on fait en toute connaissance de cause. En ce début de XXIè siècle, aucun pouvoir humain n’est en mesure d’arrêter la construction de la Tour de Babel.
Pierre Hillard
Docteur en science politique. Dernier ouvrage publié : La marche irrésistible du nouvel ordre mondial
Les articles de cet auteur
1] Pierre Hillard, [Minorités et régionalismes, Paris, éditions François-Xavier de Guibert, 4è édition, p. 242 et suivantes.
[2] Ibid., p. 235.
[3] Ibid.,
[4] Ibid., pp. 184, 336 et 373.
[5] Ibid., p. 152.
[6] Ibid., p. 374 (la liste totale de ces mouvements indépendantistes est présentée à partir de la 2è édition).
7] Sur l’origine de ce document, lire [L’Effroyable imposture 2, par Thierry Meyssan, éditions Alphée, 2007, pp. 217-224.
8] Pierre Hillard, [La marche irrésistible du nouvel ordre mondial, Paris, Editions François-Xavier de Guibert, novembre 2007, p. 61.
[9] Ibid., p. 65.

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Pierre Hillard est professeur de relations internationales à l’école supérieure de commerce extérieur de Paris. Historien de formation, diplômé de science politique et d’études stratégiques, spécialiste de l’Allemagne, des affaires européennes et de la question des minorités, il centre son étude sur le partenariat transatlantique et la gouvernance mondiale.





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