Ces dernières semaines, j’ai ressenti une drôle d’impression. Comme si la grande horloge du temps avait reculé d’un seul coup de cinquante ans ! J’en ai eu le frisson.
Vous vous souviendrez peut-être que la reprise de la session à Québec au début du mois coïncidait avec la tenue de consultations en commission parlementaire sur le projet de loi 77 modifiant la Loi québécoise sur l’immigration. En éditorial, devant l’annonce que la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CDCMM) s’apprêtait à déposer un mémoire demandant une révision des critères de sélection des immigrants pour « accorder une plus grande pondération » à une connaissance de base de l’anglais comme langue seconde et de réduire celle associée à la maîtrise de la langue française, je déplorais la dégradation de la situation depuis l’adoption de la Loi 101 en 1977.
Or dans les jours suivants, la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), le Conseil du patronat du Québec (CPQ) et mon ancienne association désormais connue sous le nom de Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ) allaient toutes emboîter le pas et déposer des mémoires au même effet. Et un ou deux jours plus tard, Le Devoir nous faisait part de la même unanimité des associations d’affaires sur un autre enjeu controversé, le pipeline Énergie-Est, sous le titre suivant, Le milieu des affaires se range derrière TransCanada.
Sur deux importants enjeux de société très controversés, non seulement les milieux d’affaires du Québec prenaient-ils position dans un sens qui risquait de les placer en porte-à-faux avec de larges pans de l’opinion québécoise, mais ils se plaçaient même en position de leadership, s’exposant au risque de perdre les appuis nécessaires à l’atteinte de leurs autres objectifs.
Il faut en effet comprendre que les entreprises ne peuvent se développer et prospérer que dans un climat favorable. Elles doivent donc gérer leurs relations avec leur environnement en conséquence, un exercice qui implique de leur part la sélection de leurs priorités et la capacité de renoncer à certains de leurs objectifs au bénéfice des plus importants ou d’en différer l’atteinte au bénéfice des plus pressés. Elles doivent également se doter de stratégies et de moyens pour les atteindre, et si vous commencez à comprendre qu’elles sont de ce fait engagées dans un processus politique, vous êtes sur la bonne voie.
Pour minimiser leurs coûts, éviter de se doter de structures trop lourdes et se réserver le maximum de flexibilité, les entreprises se joignent à des associations plus ou moins spécialisées qui leur offrent des services d’analyse et de lobbying tout en leur permettant de faire du réseautage, en principe à leur bénéfice. Mais les êtres humains et les relations interpersonnelles étant ce qu’ils sont, le réseautage bénéficie souvent bien davantage aux personnes impliquées qu’aux entreprises qui le financent. Le potentiel d’abus est grand, surtout dans les grandes entreprises.
Autre élément important, ces structures associatives ne sont pas démocratiques. Les positions qu’elles prennent sont largement influencées par ceux qui participent le plus à leurs activités, indépendamment des besoins ou des opinions des membres moins présents. On comprend dès lors que toute prise de position très tranchée doit être validée pour en déterminer la représentativité avant qu’on puisse y accorder foi. On comprend également tout le jeu auquel peuvent se livrer un gouvernement et une association pour obtenir de celle-ci une opinion qui aille dans le sens souhaité par le gouvernement.
Tous les dirigeants d’association savent que les commissions parlementaires sont « paquetées », et ils s’organisent en conséquence pour tirer le meilleur parti possible de la situation. On passe rapidement d’une petite faveur à une plus grosse, et la frontière de la compromission est vite atteinte. Sans éthique solide de part et d’autre, un dirigeant d’association et les politiciens qu’il côtoie peuvent rapidement se retrouver dans l’eau bouillante.
C’est donc pour tout cela que les prises de position récentes des associations sont si surprenantes et qu’elles nous ramènent cinquante ans en arrière. On ressent chez les dirigeants d’associations aujourd’hui la même inconscience des risques qu’ils font courir à moyen et long terme à leurs membres en prenant, sur des enjeux de société, des positions très tranchées qui peuvent générer de solides contrecoups politiques, que celle que manifestaient les dirigeants de ces mêmes associations au début des années 1970. Le rejet de ces positions par la population allait jouer un grand rôle dans l’élection du Parti Québécois en 1976.
L’impression qui se dégage du comportement des dirigeants d’aujourd’hui est qu’ils poursuivent davantage un agenda politique personnel qu’un agenda conforme à l’intérêt de leurs membres. Lorsque les deux coïncident, il n’y a pas de problème. Mais lorsque ce n’est pas le cas, ça saute aux yeux de tout observateur averti.
La possibilité de pressions de très haut ne peut pas être exclue. En 1992, lors du référendum de Charlottetown, le conseil d’administration de l’Association des manufacturiers du Québec avait décidé à l’unanimité de ne pas se prononcer en faveur ou contre, malgré les importantes pressions pour que nous nous prononcions en faveur. Les médias avaient immédiatement relayé l’information et le journal Les Affaires avait même été jusqu’à publier une caricature dans laquelle j’étais dépeint assis entre deux chaises.
Dans les heures suivantes, je recevais un appel téléphonique impératif de Guy St-Pierre, l’ancien ministre Libéral qui était alors président de SNC-Lavalin. Il me reprochait d’avoir influencé le vote et exigeait que nous en tenions un nouveau. Il était impensable que sur un enjeu aussi important la communauté canadienne des affaires ne soit pas unanimement en faveur, et le vote de notre CA empêchait cette unanimité. Sacrilège ! Le président de mon conseil d’administration, un ami personnel de Guy St-Pierre, était ensuite intervenu pour me dire que nous n’avions pas le choix et qu’il fallait reprendre le vote. Pour calmer le jeu, j’avais promis de ne faire aucune démarche auprès des membres du CA avant le second vote, et même de pas être présent lorsqu’il aurait lieu. À la grande colère des pouvoirs, le résultat du second vote fut identique au premier à une voix près, celle du président du CA.
Le rejet de l’Accord au niveau de l’ensemble du Canada m’évita de subir les foudres des pouvoirs, mais j’étais devenu suspect.
Dans une prochaine chronique, je vous raconterai comment la pétrolière ESSO s’est trouvée à jouer un rôle aussi surprenant qu’important dans l’adoption et la mise en œuvre de la Loi 101.
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6 commentaires
Marcel Haché Répondre
27 février 2016@ Richard Le Hir.
Sous ses nouvelles apparences, comme une nouvelle fraîcheur toute canadienne, fabriquée puis maintenant célébrée par Radio Canada, la gang de celui que vous appelez pee wee est en réalité une très vieille gang. Je me doute bien que vous vous en doutez bien… C’est la même vieille gang puante qui revient aux affaires et qui triomphe maintenant à Ottawa, après avoir déjà triomphé à Toronto, à Québec et à Montréal.
Maintenant que Toronto a présenté ses excuses historiques à la communauté franco-ontarienne, on peut compter sur le West Island pour qu’il redouble d’ardeur au Québec. Mais, de celui-là, ce ne sont pas des excuses que Nous recevrons.
Tous ceux-là au Québec dont c’est le métier de s’agenouiller s’agenouilleront donc un peu plus et un peu plus vite. Il n’a qu’à voir le manque de classe et surtout la rapidité avec laquelles la classe des affairistes s’est agenouillée dans les récentes affaires Rona, Pétrolia et Bombardier. C’est à qui s’exécutera et s’agenouillera le plus vite. À cet égard, Philippe Couillard est d’une rapidité stupéfiante, foudroyante même.
Le West Island triomphe ainsi sur toute la ligne, et il le sait. Il est maintenant d’autant plus arrogant que Radio Canada et Gesca en forment le noyau dur. Évidemment, ce noyau dur est composé des mollassons les plus mous parmi Nous. Tous les agenouillés profitent ainsi d’une sorte d’amicale de l’impunité : depuis très longtemps, en effet, les libéraux sont rompus aux méthodes les plus obscures, au besoin les plus basses, au besoin les plus sales, pour fabriquer et concocter au Québec de ces consensus de merde qu’il faut dénoncer, et que vous ne manquez pas de dénoncer.
En réalité, (la porte est ouverte n’est-ce pas ?) c’est encore la même gang de pas-bons qui s’activent joyeusement, et qui, prétextant que le Canada était « en guerre », s’étaient crus tellement fins de fournir des élections clés en main, et qui ont toujours-toujours fait du chantage à l’emploi. Car, ce qu’il y a dans le fameux A.D.N. des fameux « champions de l’économie », c’est beaucoup de magouille et beaucoup de chantage.
Les plus lucides d’entre nous remarqueront qu’une fois encore, pour plaire aux électorats francophobes de l’Ontario et de l’ouest canadien, la vieille gang à pee wee n’aura jamais aucune retenue chaque fois qu’il s’agira de fouetter du côté de Québec. Tel était d’ailleurs le père de pee wee il y a longtemps, qui n’a jamais compris, comme le fils ne comprendra jamais lui non plus, que le vieux avait fait bien plus à lui seul que tous les séparatistes réunis, pour faire détester le Québec dans le Canada. Le fils s’y appliquera lui aussi, avec le même aveuglement et le même zèle que son défunt père.
Les plus lucides remarqueront surtout qu’il ne sera jamais pardonné à P.K.P. de ne pas avoir rejoint le West Island. Rien n’est plus impardonnable, en effet, rien n’est plus intolérable que la vue d’un homme debout par ceux-là qui sont à genoux.
Vigile reste remarquablement debout. Merci d’être là.
Archives de Vigile Répondre
27 février 2016Brillante contribution d'un témoin de l'intérieur qui démontre les mécanismes de manipulation et de contrôle des groupes associatifs qui occupent l'espace médiatique et influencent ce qu'on appelle l'opinion. Les médias puisent abondamment dans cette propagande qu'ils relaient comme parole divine pour remplir leurs pages, intoxiquer l'opinion et satisfaire leurs commanditaires. Ensuite entrent en action les sondeurs qui mesurent l'efficacité de l'opération et produisent par la publication des résultats la plus value de cet engrenage qu'on appelle opinion. Ministres et prédicateurs puisent ensuite dans ce bouillon consanguin pour conforter l'invraisemblance de leurs position. Les porte paroles les plus flamboyants de ce organisations composent le vivier dans lequel croissent chroniqueurs et ministres de demain.
Chrystian Lauzon Répondre
26 février 2016M. Le Hir,
Si vous ne le saviez pas encore (j’en doute ;-)), je vais vous l’apprendre: aux yeux du Haut comme du Bas (analphabêtisme aidant à 47% du pauvre peuple québécois français privé d’éducation), aux yeux de la droite comme de la gauche politique, plutôt que d’être un indépendantiste de frime comme tous ces néolibéraux péquistes jouant dans les 2 camps de l’argent-utile-pour-son-petit-soi patrimonial, vous êtes un gros méchant ACTIVISTE. Un manufacturier artisan de l’indépendance du peuple par le peuple pour le peuple et les peuples.
Tel Chartrand, tel Bourgault, tel Michaud (Robin des banques), tel de Villiers, tel Sapir, tel Chomsky. Une perle rare vous dis-je, même sur Vigile : vous travaillez pour le « monde » et sa libération pour vrai, le Vrai. C’est cela l’indépendance et la souveraineté compris selon les exigences d’une Cause, dont l’argent n’est pas le but mais le moyen d’enrichir la collectivité d’une nation équitablement, vers un développement AUTOgéré pour le mieux-être des 99% en priorité. PKP peut être un « sauveur » en ce sens, parce que la nation québécoise française, son territoire et son État, ne sont plus qu’en mode respiratoire de survie terminale!
Et des proches comme des loins, sont vos ennemis parce qu’ils pensent exclusivement par et pour le privé. SORTIR LE PRIVÉ DE L’ÉTAT EST BEAUCOUP PLUS URGENT QUE TOUT RÉFÉRENDUM HARA-KIRI. Seul un peuple réuni sous l’urgence de (re)bâtir l’État libre et libérateur d’un Québec-République contrera la marche destructive néolibérale mondialiste dont les couillardiens saoudiens ne sont que des petits pions locaux s’enrichissant des miettes prédatoriales les faisant bouger dans le sens du profit avec une soumission de taupe, aveuglement total et totalitaire : de là, la haine viscérale des « indépendantistes » exprimée par Couillard… sur tous les plans.
Ce dont ils profitent le plus, ces privé-légistes, c’est de l’État-contribuable dont ils démembrent le corps social et la faculté représentative du Bien collectif, et ce, jusqu’à la vacuité totale : le décentrement des pouvoirs d’État, DE l'État en propre, vers ceux exclusifs d’une classe affairiste néolibérale du privé, État aux pouvoirs de fait décadrés, décentrés, anonymisés et obscurantisés; État devenant fantôme comme illusion de démocratie et d’appareil judiciaire où «état policier fédéralisant » remplace « justice pour vrai pour tous » - pensons à l’élection démocratique et majoritaire d’une juge à titre de bâtonnière, Me Lu Chan Khuong, élection démocratique défaite, volée par salissage personnalisé (même tactique systématique fédéralo-libérale que contre PKP, Jutra, Breton, Michaud, ...) par le pouvoir médiatisé du privé, sous la meute servile d’anciens ou pseudos indépendantistes-péquistes, tels Lucien Bouchard et Bernard Landry associés. Décevant pas à peu près!
Pour reprendre avec plus de réalisme l’expression de Pierre Cloutier « on ne fera pas l’indépendance sans le milieu des affaires » : l’indépendance pour le peuple ne se fera pas par le milieu des affairistes (néolibéralistes), ces derniers suivront uniquement l’odeur qui leur est naturelle, celle de l’argent, la richesse monétaire que Jean-Jacques Nantel s’évertue à leur montrer, images, cartes géographiques, chiffres et statistiques à l’appui dessinés à gros traits et flèches de direction précises et colorées. L’Institut sur la souveraineté, c’est d’abord pour eux, ces affairistes, sur le versant d’une conscience économique "indépendantiste" à éveiller, embrouillée par un fédéralisme faillitteur canadian se défoulant sur un Québec-dépotoir croissant.
Si une thérapie existait pour injecter le sens de l’argent au service de l’humain (et de ses indépendances sur tous les plans) plutôt que l’inverse, les peuples n’auraient pas à lutter pour être respectés dans leurs droits fondamentaux et leur liberté de développement via un État représentatif du Bien collectif pour « vrai », s’axant enfin vers la promotion de la paix en ne subissant plus les guerres alimentés par le Haut dans le Bas, que pour les profits $$$$ du Haut et l’appauvrissement et la misère du Bas.
Vivement l'éveil des affairistes de l'indépendance pour l'enrichissement collectif: la seule Vraie affaire à faire pour Nous et notre État-nation!
Archives de Vigile Répondre
26 février 2016L'histoire se répète.
« Depuis 1763, nous n’avons plus d’histoire, sinon celle, par réfraction, que nos conquérants veulent bien nous laisser vivre, pour nous calmer. Cette tâche leur est d’autant plus facile que nous sécrétons nos propres bourreaux. » • Dion, Léon
Archives de Vigile Répondre
26 février 2016Le milieu québécois des affaires à plat ventre dans sa propre cour se fait plus que jamais servile, p'tit chien, soumis aux pouvoirs financiers et au service du suprématisme anglo rocanadian. Quelle honte ! À vomir.
Jean Lespérance Répondre
26 février 2016Merci de souligner ce recul en arrière. Mais il faut savoir que lorsqu'on recule en arrière, il y a danger. Danger de voir se reproduire ce qui est arrivé dans le passé. Je vais vous raconter une anecdote. Mon père travaillait chez Bailey Meter sur la rue Ste-Catherine dans l'ouest de la ville au coin de Claremont. Or un jour, il reçoit un ordre de son patron parce qu'il écrivait en français sur les bons de commande d'Ultramar à Lévis. La compagnie exigeait qu'il écrive en anglais. Quand on travaille dans le "shipping" ou l'expédition, il y a très peu d'écriture, ce que mon père pouvait écrire se résumait à très, très peu et pourtant certains anglophones s'en trouvaient offusqués. Mon père rebelle par nature me dit: je vais refuser, ils n'ont pas le droit de faire ça. Vous faites bien lui dis-je, refusez, ils ne peuvent pas vous congédier pour ça. Cette compagnie refusait d'accorder le congé de la St-Jean-Baptiste par surcroît. J'ai dit à mon père, ça va se régler et vite. J'ai fait part de ce qui se passait à des jeunes que je soupçonnais de faire partie du FLQ, la réaction ne s'est pas fait attendre. Bailey Meter a reçu des menaces d'attaques à la bombe et tout est rentré dans l'ordre. Le congé de la St-Jean-Baptiste a été accordé et on a donné la permission à mon père d'écrire en français sur des bons de commandes.
La compagnie par la suite a toujours respecté mon père. Quand on ne respecte pas les ouvriers, parfois les patrons en payent le prix fort. Qui sème le vent, récolte la tempête.