La « conférence de presse » donnée aujourd’hui (11 mars) par le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, et le général Philip Breedlove, commandant en chef des forces US en Europe et des forces de l’OTAN, au SHAPE, le commandement des forces en Europe, basé à Mons, était assez pauvre sur le plan des informations fournies à la presse. Elle illustre ce qui fait une des faiblesses de l’Alliance aujourd’hui : beaucoup de bruit, de démonstration de force, de suppositions mais peu d’actions et d’informations précises… Mais elle avait surtout une vertu, plus interne et plus politique, rassurer les « 28 » sur l’unité civile et militaire et de l’Alliance !
Un langage abaissé d’un demi-ton sur la présence russe en Ukraine
« Le cessez-le-feu existe mais il est fragile » souligne le secrétaire général de l’Alliance, J. Stoltenberg. On assiste à « un retrait d’armes lourdes. Mais cela reste peu clair quant à leur destination. Il faut que ce retrait soit complet et vérifiable. » Les observateurs (de l’OSCE) doivent avoir « un plein accès au site, voir leur liberté de mouvement et leur sécurité garanties pour pouvoir faire le travail ». La présence russe existe toujours dans l’Est de l’Ukraine, le secrétaire général de l’OTAN l’atteste, « nous voyons des équipements, des entraînements. La Russie est toujours encore en Ukraine ». Mais pour les informations précises, il faudra repasser. Le secrétaire général se montre très évasif devant les questions des journalistes. Le général Breedlove ne dit pas mieux… Il reconnait même qu’il existe des avis différents parmi les services de renseignements (des Etats membres de l’Alliance) sur l’évaluation de la situation sur le terrain.
Une « propagande dangereuse » !
Terminées donc les évaluations de « présence massive par dizaines de milliers de soldats Russes aux frontières », les colonnes de chars russes, l’invasion possible par la Transnistrie, etc. Des déclarations exagérées (*), qui trouvaient généralement un démenti, dans les rangs même de l’OTAN. Quand on vérifiait les informations, auprès de sources occidentales dignes de foi, les chiffres étaient souvent revues à la baisse, divisées par 2 ou 3. La dernière intervention du chef militaire de l’OTAN, parlant de Washington, mercredi dernier, a fait monter la moutarde au nez de la chancelière Angela Merkel. Comme le détaille le Spiegel notamment, Berlin n’hésite pas à accuser le général – classé parmi les faucons à Washington (**), de « propagande dangereuse ».
Un général sur la sellette
Le commandant en chef de l’OTAN a senti le vent du boulet politique. Et il est donc devenu plus flou. L’objectif de la conférence de presse, aujourd’hui, avait surtout une vertu interne à l’Alliance : montrer le secrétaire général aux côtés de son commandant en chef et rassurer les Alliés que le dispositif militaire reste sous contrôle civil — ce qui a semblé particulièrement absent ces derniers mois à l’Alliance —. Deuxièmement, préciser une bonne entente entre les deux. Ce qui n’était pas exactement visible. Certes il y a eu les mots convenus : « Phil, je vous félicite beaucoup pour l’excellent travail que vous faites. Et je m’attends à poursuivre notre bonne et étroite coopération » (I very much commend you for the excellent work you are doing and I’m looking forward to continuing our close and good cooperation)…
Le militaire reste soumis au civil… enfin un peu
Mais la gestuelle des corps était tout aussi intéressante. Le commandant en chef de l’OTAN, quand le secrétaire général parlait, se dandinait tout d’abord, puis croisant les mains, humble, à côté de son pupitre, docile comme pourrait être un élève écoutant la leçon de son professeur. A plusieurs reprises, il n’a pas ajouté vraiment de propos à ce qu’avait dit le secrétaire général, ne souhaitant pas, apparemment, envenimer la situation. En revanche, Jens Stoltenberg a, à peine, regardé son chef d’Etat major. Le secrétaire général lui a, certes serré la main à la fin de l’entretien. Mais, durant toute la conférence, on a senti peu de chaleur, de complicité entre les deux éléments de l’Alliance, le politique et le militaire. En langage politique, cela s’appelle un camouflet…
Commentaire : Le syndrome de l’éprouvette irakienne
Le manque de crédibilité à force d’exagération
A force d’avoir crié au loup, d’avoir manipulé les chiffres, d’avoir pris certaines informations et pas d’autres — comme il l’a avoué aujourd’hui en confirmant qu’il y avait des avis divergents dans l’analyse du renseignement au sein de l’Alliance —, le général Breedlove a, en effet, commis une erreur grave en matière de communication stratégique. Il a donné à l’adversaire (la Russie) une carte de choix dans la « guerre » de communication qui oppose aujourd’hui « l’Ouest » et « l’Est », pour proclamer que « tout » ce que disent les Occidentaux est de la propagande.
La confusion des rôles
A force d’exagération, le commandant en chef de l’OTAN a ainsi été pris à son propre piège et mis en jeu la crédibilité de l’Alliance comme son unité. Un peu comme l’avait fait, durablement, l’épisode de l’éprouvette sur les armes chimiques irakiennes. Or, il y a une réalité en Ukraine : celle de l’agression russe, de la fourniture d’un soutien quasi-continu aux forces séparatistes – que ce soit au niveau matériel, du renseignement, des hommes et des instructeurs. Il ne faut pas l’oublier… Et il n’y a pas besoin d’exagérer les informations, de les tordre, juste d’avoir les informations exactes. Plus grave pour un haut gradé, il a opéré une confusion de rôles entre celui de responsable militaire et celui du « politique ».
La volonté d’en découdre
De façon plus générale, malgré un langage consensuel de part et d’autre de l’Atlantique, en faveur d’un processus de paix et de dialogue en Ukraine, on sent chez certains militaires, et certains responsables US ou européens, comme un regret à voir la situation s’apaiser en Ukraine. D’où cette tentation permanente de jeter de l’huile sur le feu… Depuis le début de la crise, l’Alliance atlantique a, indéniablement, retrouvé une nouvelle jeunesse et sa vertu première, assurer la défense du territoire européen face à la Russie. Les exercices répétés, la vertu retrouvée de la « bataille de terrain », des forces terrestres, des divisions blindées, en témoignent… Voir la crise ukrainienne revenir à un « conflit » gelé comme il y en a en Transnistrie (Moldavie), en Abkhazie ou en Ossétie (Géorgie) serait la pire des solutions pour les « faucons » qui n’ont qu’une envie : voir revenir la situation comme auparavant, avec un adversaire bien campé, la méchante Russie, face aux gentils, représentés par les Américains et leurs alliés. La réalité est, un peu plus, compliquée…
Journaliste. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Ouest-France et Lettre de l’expansion. Editeur du blog. Auditeur de la 65e session de l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense nationale).
(*) Faucons dont fait partie la responsable des affaires européennes au Département d’État US, Victoria Nuland , qui s’était illustré par le célèbre « fuck the UE » (lire : Quand Victoria « fuck » l’Europe. Ou l’Amitié vache) et tout récemment par des déclarations faisant état de milliers et milliers de morts russes.
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