Le 21 janvier 2018, voilà exactement 70 ans que Maurice Duplessis, alors premier ministre, a fait adopter le fleurdelisé comme drapeau officiel du Québec. En 1948, c'était tout un geste d'émancipation considérant qu'à l'époque, le drapeau du Québec était le Red Ensign canadien. En se défaisant d'un symbole colonial britannique au profit d'un drapeau, les Québécois manifestaient alors toute leur spécificité et ce, bien avant que les Canadiens ne décident d'en faire autant, puisqu'il a fallu attendre jusqu'en 1965 pour que la fédération abandonne à son tour le Red Ensign pour l'unifolié.
Encore aujourd'hui, le drapeau québécois est l'incarnation de la spécificité québécoise face à la volonté uniformisatrice canadienne et pas uniquement parce que les souverainistes l'agitent dans leurs rassemblements. Bien au-delà de cela, le fleurdelisé a une importance profonde pour les Québécois, qui s'identifient comme québécois avant d'être canadiens aux deux tiers environ. Le Québec est sans l'ombre d'un doute la province canadienne dont le drapeau est le plus connu à l'intérieur comme à l'extérieur de son territoire. Un de mes enseignants, qui a travaillé quelques années en Ontario, me racontait sa surprise lorsqu'il donnait des cours et qu'il s'apercevait que l'écrasante majorité de ses élèves était tout simplement incapable de reconnaître le drapeau ontarien. Toutefois, ils identifiaient avec facilité le drapeau canadien, celui qu'ils considéraient comme leur drapeau.
Il n'y a pas de doute à y avoir, ce phénomène marque une différence très marquée entre le Québec et le Canada anglais : si le Rest of Canada (ROC) s'identifie d'abord et avant tout au Canada et à son drapeau, c'est loin d'être le cas au Québec. Le même principe se transpose également en politique : les Québécois sont plus préoccupés par la politique provinciale que par la politique fédérale, tout le contraire du ROC. En effet, au Québec, les élections provinciales ont continuellement des taux de participation plus élevés que les élections fédérales. C'est également la province avec le plus de journalistes affectés à son parlement de tout le Canada, car les Québécois sont plus intéressés par ce qui se passe à l'Assemblée nationale qu'à la Chambre des communes.
Le même principe se transpose également en politique : les Québécois sont plus préoccupés par la politique provinciale que par la politique fédérale, tout le contraire du ROC.
Outre le simple intérêt plus grand pour le gouvernement provincial, le seul où les Québécois ont suffisamment de poids politique pour faire leurs propres choix en fonction de leurs intérêts, l'échiquier politique québécois en dit aussi beaucoup. Alors que dans le ROC, quasiment tous les partis provinciaux sont des colonies des grands partis fédéraux, c'est-à-dire le Parti libéral, le Parti conservateur et le Nouveau parti démocratique, le Québec est étranger avec cette façon de faire depuis des décennies. Depuis l'Union nationale de Duplessis, le première formation politique non-affiliée à un parti fédéral à prendre le pouvoir, la scène politique québécoise n'a plus rien à voir avec ce qui se passe au niveau canadien. De tous les partis actuellement à l'Assemblée nationale, seul le PLQ a des racines fédérales, mais même lui les a coupées en 1965 pour devenir indépendant du PLC. La CAQ, l'ADQ avant elle, Québec Solidaire et, bien évidemment, le Parti québécois, sont tous des partis n'étant nullement inféodés à des partis fédéraux, représentant bien les aspirations des Québécois, distinctes de celles des Canadiens.
C'est clair comme de l'eau de roche, les Québécois forment bel et bien une nation différente du Canada, une nation avec sa culture, ses priorités, ses symboles, ses partis politiques et une myriade d'autres attributs qui lui sont propres. Malgré un siècle et demi de tentatives fédérales de créer une véritable « unité canadienne » (lire : de canadianiser de force le Québec), il faut constater que l'expérience est un échec en territoire québécois. Bourassa avait raison : « quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, le Québec est, aujourd'hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d'assumer son destin et son développement. » Il reste à voir si les Québécois monteront la dernière marche, une marche haute, mais ô combien libératrice, celle de l'indépendance, la seule qui leur permettra enfin de façonner pleinement leur destin.