Par Martin Jolicoeur
Véritable patate chaude pour les politiciens, la polémique entourant toute la question des accommodements raisonnables est devenue aussi une préoccupation pour les entrepreneurs québécois.
Des semaines de débats acrimonieux sur le sujet ont refroidi l'enthousiasme des grandes entreprises qui ont des programmes établis d'accès à l'égalité, lesquelles se montrent maintenant réticentes à partager leurs succès.
Après la demande d'une salle de prière à l'École de technologie supérieure de Montréal, le remplacement de vitrines au YMCA d'Outremont, des congés religieux payés accordés à des employés de confession juive et musulmane à la Commission scolaire de Montréal... qui voudrait devenir le prochain " cas " qui pourrait se retrouver à la une des médias ?
" Une attitude semblable est décevante et nuit à la diffusion des bonnes pratiques de gestion. Mais dans le contexte actuel, cela ne me surprend pas ", affirme Denise Perron, présidente du Groupe Aequitas, qui travaille depuis 25 ans dans le domaine de l'équité et de la diversité de la main-d'oeuvre.
" Un proverbe japonais dit que le clou qui dépasse attire le marteau. Eh bien, c'est effectivement ce qui se passe : celles qui sont le plus avancées sur ces questions sont montrées du doigt et passent pour des écervelées. Pourtant, toutes étaient de bonne volonté au départ. "
La Société des transports de Montréal (STM), Pratt & Whitney Canada et bien d'autres, d'ordinaires parmi les premières à célébrer leurs efforts de gestion de la diversité, ont une à une gentiment décliné l'invitation qui leur était faite d'expliquer les accommodements consentis à certains de leurs employés.
Un débat politique qui, selon les organismes d'aide aux personnes immigrantes de la région de Montréal, aurait eu des effets pervers immédiats. Faut-il engager le candidat le plus qualifié ou celui qui risque de susciter " le moins de problèmes " en raison de son appartenance religieuse ? Plusieurs employeurs auraient fait leur nid, affirment-ils.
" C'est plus difficile que jamais, confirme Khadjia Mounbid, responsable des services d'employabilité d'Alternatives, à Montréal, et dont 85 % de la clientèle est arabophone. En quelques mois, dit-elle, tous les progrès gagnés depuis 2001 se sont effondrés. "
" Les employeurs ont affreusement peur, observe Noureddine Belhoucine, directeur général de la Maison internationale de la Rive-Sud. Ils ont peur qu'en engageant une personne immigrante, ils feront automatiquement face à des demandes particulières, à la limite de l'insensé et qui les mèneront devant la Cour suprême. "
Même lecture du côté de Nora Solervicens, directrice générale de L'Hirondelle, organisme qui offre des services d'accueil et d'intégration des immigrants. " Le débat n'a pas favorisé le rapprochement et certainement pas à dissiper les préjugés, lesquels reposent sur l'ignorance. "
À la Fédération des travailleurs québécois (FTQ), on affirme même avoir eu vent de manifestations d'intolérance entre employés qui n'avaient pas lieu auparavant.
" C'est comme si le débat médiatique avait dédouané pour certains le droit de manifester de l'intolérance ", affirme Pierre Laliberté, conseiller politique à la FTQ.
De quoi parle-t-on ?
Le débat est-il basé sur des appréhensions ou sur la réalité ? En fait, les données réelles sur le sujet se font rares.
Patronat et syndicat ne sont encore qu'au début d'une réflexion sur l'" accommodement raisonnable ", une expression éminemment juridique, que d'aucuns peinent à définir justement. (Voir, à ce sujet, le texte de la page 6.)
" On dispose de très peu d'information sur le sujet ", confirme Robert Sylvestre, agent d'information à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui met beaucoup d'espoir du côté d'une recension auprès des institutions scolaires.
" On ne sait pas réellement quelles sont les demandes qui sont faites aux entreprises, lesquelles sont acceptées ou refusées, ni quel effet toute cette question soulève à l'intérieur des organisations. "
Et il risque malheureusement d'en être demeurer ainsi, aussi longtemps que les entreprises choisiront, à cause de la peur, de cacher les accommodements accordés à leurs employés derrière les portes closes de leur département des ressources humaines.
Encadré(s) :
Accommodements religieux : une affaire de chrétiens d'abord
Martin Jolicoeur
Une minorité de plaintes de musulmans et juifs
Les demandes d'accommodements pour des motifs religieux seraient surtout le lot de... chrétiens. Bien avant, constate-t-on, celles formulées par les juifs ou les musulmans.
C'est du moins ce que montre une étude portant sur les plaintes déposées à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, entre 2000 et 2005, et dont LES AFFAIRES a pris connaissance.
Selon cette étude, la Commission n'a reçu que 85 plaintes pour des motifs religieux en cinq ans. Et du nombre, 30 seulement étaient relatives au refus d'un organisme ou d'une entreprise de se plier à une demande d'accommodement raisonnable.
Contre toute attente, sur ces 30 plaintes, plus de la moitié (16) ont été déposées par des groupes chrétiens, comme les protestants (qui comprennent les protestants, les adventistes du septième jour, les pentecôtistes, les unitairiens, etc.), les Témoins de Jéhovah et les catholiques.
Du nombre, seulement une plainte a été déposée en cinq ans par un croyant catholique, alors que les Jéhovah en ont déposé cinq et les protestants, dix. Durant ces mêmes cinq années, l'étude démontre également que seulement huit plaintes ont été déposées à la Commission par des Québécois de confessions musulmane et six par des personnes juives.
" Cela vient détruire complètement le mythe selon lequel les demandes d'accommodement pour motif religieux riment avec minorités ethniques ou culturelles ", affirme Robert Sylvestre, porte-parole de la Commission.
D'autant plus, apprend-on, qu'une part des plaintes attribuées à des croyants musulmans ou juifs ne serait pas le fait d'individus issus de l'immigration récente, mais de Québécois dits de souche.
De fait, affirme Robert Vyncke, président du Groupe Conseil Continuum, spécialisée dans la gestion de la diversité dans les organisation, les demandes les plus importantes proviennent de Québécois " de souche ", récemment convertis à une nouvelle religion. " Ce sont chez ces croyants, de souche québécoise, qu'on remarque souvent le plus d'intransigeance dans les organisations. "
Musulmans et juifs parmi les moins pratiquants
Autre constat surprenant : ce sont chez les membres des groupes présentes sous la catégorie " autre religion ", qui inclut notamment les juifs et les musulmans, qui seraient les moins portés vers la pratique religieuse, selon une autre étude fournie par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse.
Seuls 7 % d'entre eux assisteraient à un office religieux hebdomadaire. Vingt-sept pour cent ne le font jamais. À titre de comparaison, 20 % des catholiques du Québec assisteraient à un office religieux toutes les semaines et seulement 6 % n'y assisteraient jamais.
Les groupes les plus pratiquants se trouveraient parmi les protestants conservateurs, où 58 % déclarent assister à un office religieux toute les semaines et seulement 8 %, ne jamais y assister.
martin.jolicoeur@transcontinental.ca
Malaise dans les entreprises
Le débat ébranle les entreprises
Beaucoup de nervosité autour des accommodements raisonnables
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