Le crime de Jan Wong

Affaire Jan Wong et The Globe and Mail


Ça fait longtemps que je suis la carrière de Jan Wong. C'est elle qui avait écrit, au moment de la crise du verglas: " Pour mettre les choses en perspective, un million de personnes sont forcées de vivre pendant quelques jours dans le froid que les gens de Hongkong ou de Londres doivent supporter tout l'hiver ", pour ajouter que " pour beaucoup d'autres, le pire aura été la mort de leurs poissons tropicaux ". J'avais, à l'époque, écrit un texte pour critiquer son insensibilité. Le Globe and Mail s'était d'ailleurs excusé.
Quand j'ai lu son article dans le Globe de samedi dernier, où elle essayait d'expliquer le drame de Dawson par la loi 101, je me suis dit " Quelle imbécile ". Mais sans plus. Parce que je suis habitué aux excès de cette " loose cannon " du journalisme torontois.
Je ne me serais jamais imaginé qu'une niaiserie dans un journal puisse littéralement se transformer en affaire d'État. Cela ne méritait certainement pas ça. Mais si cette affaire a pris de telles proportions, c'est que cet incident a été un révélateur de ce que l'on pourrait appeler le mal canadien.
Il fallait certainement dénoncer cet article. Pas parce qu'il critiquait la loi 101. Elle est critiquable. Pas parce qu'il accusait le Québec d'intolérance. Le Québec est certainement intolérant, comme l'Ontario ou la Colombie-Britannique. Et il faut pouvoir parler de ces choses-là. Mais l'article de Jan Wong allait plus loin en associant les lois linguistiques à un événement horrible et traumatisant. Ce lien est odieux si on l'affirme sans le démontrer.
Or l'argumentaire était d'une rare pauvreté. Il reposait sur la comparaison de trois épisode violents, Poly, la tuerie de Valery Fabrikant, à Concordia, et Dawson. Pourquoi ces événements de violence arrivent seulement au Québec? Et pourquoi les assassins sont-ils issus des minorités? Réponse. La loi 101. Pour arriver à ce raisonnement, il fallait amalgamer trois événements très différents, sauf par le lieu où ils se sont produits, oublier les autres tueries, celle de l'Assemblée nationale, celles d'écoles secondaires ailleurs au Canada. Il fallait aussi oublier un détail majeur. Si le Québec est si oppressant, comment se fait-il que ces " victimes " violentes ne se retournent pas contre leurs oppresseurs francophones?
Bref, le crime de Jan Wong, c'est d'abord et avant tout un crime contre l'intelligence.
Mais ce crime contre l'intelligence a eu une résonance puissante au Québec, société minoritaire, qui a la couenne sensible, qui tolère très mal les critiques provenant de l'extérieur et qui a l'indignation facile. On peut rire des Anglais comme on veut, mais gare aux anglos qui osent insulter le Québec.
Ces réflexes d'hypersensibilité sont nourris par la dynamique politique qui est la nôtre. L'indignation face aux manifestations d'intolérance du Canada anglais fait partie du fonds de commerce du courant souverainiste. Cela force les fédéralistes à se précipiter pour être les premiers aux barricades. Jean Charest est intervenu rapidement pour dénoncer avec énergie l'article de Jan Wong, pour ne pas laisser le PQ occuper le terrain. Et Stephen Harper a fait de même pour couper l'herbe sous les pied du Bloc québécois. Et c'est ainsi qu'une bêtise est devenue une affaire d'État.
Derrière tout cela, il y a aussi une dynamique anglo-canadienne. Jan Wong a écrit ses sottises. Mais elles ont été publiées, et son journal les a plus ou moins défendues, au nom du droit de poser des questions. Bien sûr, le Globe peut et doit poser des questions. Et il n'a pas à épargner le Québec au nom d'une quelconque political correctness, comme on le fait pour les minorités visibles.
Mais si on veut poser des questions, il faut poser les bonnes, justifier leur pertinence, apporter des éléments de réponses. Poser des questions comme l'a fait Jan Wong, c'est exactement le même processus mental, fait de juxtapositions, d'amalgames et d'omissions, qui nourrit les théories du complot.
Ce dérapage va plus loin que l'erreur journalistique. Il révèle une attitude envers le Québec que l'on croyait disparue, du moins dans les lieux les plus éclairés de la culture anglo-canadienne. Dans l'article de Jan Wong, et dans l'éditorial qui la cautionne plus ou moins, on retrouve des stéréotypes et des généralisations qui puisent aux mêmes sources que le discours qui, pendant des générations, ont permis de justifier le mépris envers les Canadiens français. On y retrouve aussi la même mécanique intellectuelle, d'ignorance et de simplification qui nourrit l'intolérance.
C'est un peu normal qu'il y ait de l'intolérance dans une société plurinationale. Mais cette intolérance, il ne faut pas y céder. Il faut être capable de la déceler et de la combattre.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé