Faut-il se réjouir de l’omniprésence des femmes en médecine ? Les congés parentaux favorisent-ils un plus grand partage des tâches ? À l’aube de ses 40 ans, le Conseil du statut de la femme ne manque pas de sujets d’étude.
Québec — À cette époque, il n’y avait que 13 000 places en garderie. Il a fallu se battre pour que les femmes ne soient plus décrites dans les manuels scolaires comme de simples ménagères. Interrogée sur sa jeunesse, Laurette Champigny-Robillard, la première présidente du Conseil du statut de la femme, se rappelle très bien le jour où les femmes ont obtenu le droit de vote (le 25 avril 1940) parce que sa grand-mère « avait pleuré toute la journée ». « Le progrès a été spectaculaire, mais il faut faire attention, a-t-elle dit cette semaine. Le féminisme aura toujours sa raison d’être. »
Âgée aujourd’hui de 87 ans, Laurette Champigny-Robillard militait à la Fédération des femmes du Québec quand on lui a confié la présidence du tout nouveau Conseil du statut de la femme (CSF) en 1973, à la suite d’une proposition de l’organisme, et c’est Marie-Claire Kirkland, la seule femme députée d’alors, qui l’a créé par projet de loi. La militante-présidente n’avait pas de diplôme, était séparée et mère de cinq enfants.
Beaucoup de chemin a été parcouru depuis et, 40 ans plus tard, le Conseil du statut de la femme tenait cette semaine un « club des ex » avec quatre de ses anciennes présidentes : Marie Lavigne, Diane Lemieux, Diane Lavallée et Christiane Pelchat. De la place des femmes en médecine à celle des femmes en politique, les débats fusaient. Les souvenirs des unes et des autres ont notamment montré à quel point l’antiféminisme était un courant cyclique et persistant.
Marie Lavigne, qui dirigeait le CSF à l’époque de la tuerie de Polytechnique (1988-1995), a rappelé qu’un animateur avait dit alors que le tireur s’était trompé de cible et qu’il aurait dû aller au CSF. Ses bureaux, raconte-t-elle, avaient même dû faire l’objet d’une surveillance policière. Avec la montée des groupes antiféministes aux États-Unis, il y avait « une volonté de rejeter les structures gouvernementales pour femmes », se rappelle-t-elle. « On disait qu’il n’y avait plus de problèmes, que l’égalité était atteinte. »
Plus tard, Diane Lavallée (1998-2006) est revenue sur le phénomène grandissant du masculinisme. « On nous rendait responsables de tous les maux chez les hommes. J’étais traitée de “ fémi-nazie ” avec ma gang de “ vaginocrates ”». Histoire de montrer que le CSF n’avait rien contre les hommes, Mme Lavallée avait justement cherché à l’époque à associer des « compagnons de lutte » aux interventions du CSF.
Les travaux du Conseil du statut de la femme ont entre autres beaucoup consisté à documenter la situation des femmes au Québec et à prendre position dans différents débats publics. « Il faut documenter, appuyer nos infos, ce que l’on dit pour ne pas être déculottées sur la place publique », a souligné une autre « ex », Christiane Pelchat (2006-2011). « On est dans un moment de notre société où on jase beaucoup. On a beaucoup de commentateurs, a renchéri Diane Lemieux (1995-1998). Est-ce qu’on peut avoir des faits, des données ? »
Ailleurs au Canada, le CSF fait des envieux. Seulement quatre provinces ont de tels conseils (Terre-Neuve, la Nouvelle-Écosse, le Manitoba et l’Île-du-Prince-Édouard), et ces organismes comptent une poignée d’employés contre une quarantaine pour le CSF.
Lors d’une brève visite, la première ministre Pauline Marois est venue dire que l’organisme jouait un rôle essentiel, tout en reconnaissant que ses avis ne plaisaient pas toujours. « Même si on peut parfois ne pas être d’accord avec certaines prises de position du Conseil, je crois que vous devez continuer à les prendre. »
Sur la place des femmes en politique, les avis étaient partagés. Marie Lavigne, par exemple, s’est montrée favorable à l’instauration de mesures contraignantes pour atteindre la parité. Or l’actuelle présidente, Julie Miville-Dechêne, trouve cela « difficile » à justifier « alors qu’il y a cinq femmes premières ministres au Canada ».
Les prix «citron»
Accommodements raisonnables, avortement, droits des conjoints de fait, beaucoup de vieux enjeux féministes sont toujours dans l’actualité, a-t-on remarqué. Et certains reviennent. La jeune féministe Marianne Prairie, qui animait la rencontre, a rappelé que le CSF avait créé des prix « citron » pour les pubs sexistes au début des années 1980 (les prix Déméritas). Une dizaine d’années plus tard, ces prix étaient abolis parce qu’on jugeait que la situation s’était beaucoup améliorée. Or, a suggéré Mme Prairie, il serait peut-être pertinent de les ramener.
Julie Miville-Dechêne veut d’ailleurs profiter de cet anniversaire pour relancer le concours, sur Internet cette fois. Selon elle, on est passé du sexisme « des femmes aux fourneaux » à celui des femmes comme unique « objet de séduction ».
Actuellement, le CSF prépare des avis sur la place des femmes dans l’industrie de la construction, les crimes d’honneur et l’intégration des femmes maghrébines dans le marché du travail. Or de nouveaux enjeux ont été abordés cette semaine.
Par exemple, Diane Lemieux s’est demandé s’il fallait vraiment se réjouir de l’omniprésence des femmes dans les facultés de médecine. « Actuellement, il y a plus de femmes en médecine, on serait autour de 60-70 %. Moi, je pense que c’est un problème. De la même manière qu’il n’y a pas assez d’hommes enseignants dans les milieux primaires. On a besoin de l’équilibre. On est quelques-unes à avoir des enfants ici. Moi, j’ai un jeune garçon ; il n’a pas eu un seul prof masculin, cet enfant-là. »
Julie Miville-Dechêne estime que Mme Lemieux « avait raison de sonner l’alarme » même si elle croit qu’il est un peu « tôt » pour dire si cela peut faire l’objet d’un avis.
Elle aimerait par ailleurs documenter l’impact du congé parental sur le partage des tâches au sein des familles. « Les études montrent que la plupart des jeunes hommes prennent leurs cinq semaines en même temps que leurs conjointes. S’ils sont les deux à la maison en même temps, qui s’occupe des choses ? Ça, c’est intéressant. Est-ce qu’on devrait viser une plus longue période ? »
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40 ans de militantisme
1973 : Création du Conseil du statut de la femme sous Robert Bourassa.
1974 : La présidente Laurette Champigny-Robillard met sur pied le centre de documentation du Conseil, qui produira un nombre incalculable de recherches sur la situation des femmes.
1979 : Création de La Gazette des femmes, un magazine féministe gratuit.
1980 : Instauration des prix Déméritas attribués aux publicités les plus sexistes. Le premier de ces prix est remis à un fabricant de produits nettoyants.
1985 : Préoccupé par les choix professionnels des jeunes femmes, le Conseil lance un guide sur les carrières non traditionnelles dans le réseau scolaire.
1992 : Le Conseil s’inscrit en faux contre les analyses alarmistes sur le déclin démographique et le vieillissement de la population.
1993 : Dans la foulée du massacre de Polytechnique, le Conseil publie sa Stratégie globale contre la violence faite aux femmes.
1994 : Compressions. Le budget du Conseil doit diminuer de 14,5 %. La distribution gratuite de la Gazette est interrompue et on abolit la ligne téléphonique Service Action-Femmes.
1996 : Le Conseil intervient dans le débat entourant le projet de loi sur l’équité salariale.
1998 : Le colloque « Marcher sur des œufs » aborde de front des questions délicates. On s’interroge entre autres sur l’impact qu’a pu avoir le féminisme sur la dévalorisation du rôle maternel.
2001 : L’organisme intervient dans les débats sur le virage ambulatoire et la Zone de libre-échange dans les Amériques (ZLEA).
2007 : L’intervention de la présidente Christiane Pelchat amène le gouvernement à inclure dans le préambule de la Charte des droits le principe de l’égalité homme-femme.
2011 : Après 10 ans de réflexion, le Conseil se prononce pour l’abolition de la prostitution dans un avis remarqué.
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Photo : Renaud Philippe Le Devoir
De gauche à droite, Marie Lavigne, Diane Lemieux, Diane Lavallée, Christine Pelchat et Julie Miville-Dechêne
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