La mobilisation citoyenne avait permis d’empêcher un accord de libre-échange multilatéral à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), notamment pour les produits agricoles. En réaction, l’Union européenne (UE) négocie des accords de libre-échange bilatéraux tous azimuts. C’est dans ce contexte que l’Assemblée nationale a choisi de ratifier l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA). Cette ratification vient sceller notre destin face à un accord mortifère, climaticide, qui était déjà appliqué provisoirement et partiellement depuis fin 2017.
Nous, paysannes et paysans, sommes en première ligne face au CETA.
Tout d’abord parce qu’en travaillant avec la nature, nous en connaissons mieux que personne les bienfaits… mais aussi les caprices. Le vote de ratification du CETA tombe au beau milieu d’un été marqué par le dérèglement climatique : averses de grêle phénoménales qui ont détruit le travail de centaines de paysannes et de paysans en région Auvergne-Rhône-Alpes, succession d’épisodes caniculaires partout en France, vents violents, aggravation des sécheresses et du manque de fourrage pour nourrir nos animaux...
Libéraliser le commerce, c’est donc une menace pour le climat, mais aussi pour notre souveraineté alimentaire et pour notre modèle agricole.
Or, si le CETA atteint son objectif, à savoir augmenter les flux commerciaux entre le Canada et l’Union européenne, il débouchera nécessairement sur une augmentation des transports maritimes et des émissions de gaz à effet de serre afférentes. Par ailleurs, les entreprises canadiennes les plus offensives ne sont pas les plus vertes : lors de la première année d’application provisoire du CETA, le gouvernement canadien s’est félicité de l’explosion de ses exportations d'aluminium vers l’UE (+206%), mais aussi de celles de produits chimiques (+78%) et d’hydrocarbures (+46%).
Libéraliser le commerce, c’est donc une menace pour le climat, mais aussi pour notre souveraineté alimentaire et pour notre modèle agricole. Cet accord vient conforter la soi-disant vocation exportatrice de notre agriculture, tant vantée par la Commission européenne. Celle-ci met en avant la protection de plusieurs de nos indications géographiques (IGP, AOP…) au Canada grâce au CETA, afin que les appellations comme le "comté" ou les "Pruneaux d’Agen" ne puissent pas être utilisées par des opérateurs canadiens sur leur sol. Or, la qualité et le succès de ces produits sont garantis par un cahier des charges sur un territoire donné.
Satisfaire les marchés à l’export ne peut que passer par l’augmentation des volumes produits, et donc l’affaiblissement des exigences de production, la diminution de la qualité et la suppression du lien au territoire. Avec 35 vaches sur notre ferme familiale, mon frère et moi parvenons actuellement à dégager un revenu grâce à la production de lait à comté. Demain, si le comté conquiert les marchés internationaux et que les exigences de notre cahier des charges baissent, resterons-nous à l’abri des multiples crises laitières qui fragilisent nos collègues en dehors de l’appellation ? Devrons-nous industrialiser notre production pour continuer à nous en sortir ?
La situation est encore plus inquiétante pour les éleveurs allaitants en France.
S’attaquer au secteur laitier canadien, c’est également remettre en cause un système de contingentement des volumes qui permet aux éleveurs laitiers canadiens d’être moins soumis aux aléas d’un marché mondialisé. Nous revendiquons une régulation des volumes au niveau européen, il est donc complètement incohérent pour nous d’aller détruire ce système au Canada !
La situation est encore plus inquiétante pour les éleveurs allaitants en France. Alors que plus d’un quart d’éleveurs de vaches à viande a disparu depuis 2005 sans même que le CETA n’ait pu produire un effet, qu’arrivera-t-il demain lorsque les 65 000 tonnes de viande bovine canadienne à droits de douane réduits inonderont nos marchés ? Produites dans des feedlots, c’est-à-dire des fermes-usines de plusieurs milliers de bovins qui ne pâturent jamais, ces viandes symbolisent la mise en concurrence acharnée entre deux modèles agricoles (pour l’instant) opposés… et entre des normes sanitaires, qui restent (pour l’instant) plus protectrices de la santé des consommateurs du côté européen.
En effet, contrairement à ce qu’ont affirmé le gouvernement et la majorité présidentielle pendant des semaines, rien n’interdit l’alimentation des bovins élevés au Canada avec des farines de sang de bovin ou des farines de viande de porc et de volailles. Pour rappel, l’interdiction européenne date… des dernières crises de la vache folle, qui ont eu un impact sanitaire et économique inégalé. De même, le Canada autorise l’utilisation des antibiotiques pour accélérer la croissance des bovins, ce qui reste rigoureusement interdit en Europe, en raison des nombreux risques d’antibiorésistance.
Le CETA serait-il une nouvelle attaque contre le principe de précaution et le droit des peuples à décider de leur alimentation ? Le contenu de l’accord semble le confirmer. Auparavant, les accords de libre-échange se contentaient de baisser les droits de douane et laissaient ainsi les États constater les distorsions de concurrence qui en découlaient : les accords de libre-échange ne créaient ainsi qu’une incitation, via la mise en concurrence, à la recherche de compétitivité et à l’harmonisation par le bas des standards sociaux, environnementaux et sanitaires. Le CETA (et la plupart des accords de libre-échange qui le suivront) va plus loin, puisqu’il comporte des clauses qui permettront au Canada et à la Commission européenne de s’entendre pour "harmoniser" leurs normes. En guise de geste de bonne foi pendant les négociations sur le TAFTA et le CETA, la Commission européenne avait par exemple décidé d’autoriser le lavage des carcasses de bovins à l’acide lactique ; une pratique jusque-là interdite en Europe mais autorisée sur le continent nord-américain.
Avec la mise en place de tribunaux arbitraux, le CETA va encore plus loin puisqu’il permettra aux entreprises canadiennes d’attaquer en justice tout État européen ou collectivité ayant pris une décision contraire à ses intérêts économiques.
Le CETA représente donc un des premiers de ces nouveaux accords de libre-échange à l’ampleur démultipliée et mouvante. Or, la Commission européenne prépare également des accords de libre-échange avec le Mercosur, l’Australie ou encore la Nouvelle-Zélande, qui risquent fort de bafouer tout autant le droit des citoyen.ne.s à décider de leur alimentation et le droit des paysannes et des paysans à vivre de leur métier. Contrairement à d’autres, nous nous opposons à tous les accords de libre-échange : par cohérence et par solidarité, nous ne pouvons pas non plus accepter que l’Union européenne négocie des accords similaires avec des pays africains ou asiatiques, où les paysannes et les paysans ne pourront pas faire face aux prix des produits européens subventionnés par la PAC.
Plutôt que par la mise en concurrence des agricultures, notre avenir ne peut passer que par la relocalisation de nos productions sur nos territoires, au plus près des besoins et des attentes des citoyennes et des citoyens. Pour cela, nous avons besoin de politiques publiques fortes qui tiennent compte des attentes des mangeurs et des mangeuses : d’une Politique Agricole Commune mise au service de l’export et de l’industrialisation, nous devons passer à une Politique Agricole et Alimentaire Commune qui favorise une agriculture paysanne, diversifiée et relocalisée au service des territoires et des citoyennes et des citoyens.