Vous avez bien lu. Plus que quelques jours et le cannabis récréatif sera illégal au Québec. On devine que le désarroi ne pourrait être plus complet chez vous, amateurs de la substance, qui viviez pourtant jusque-là dans une harmonie presque sans nuages avec vos congénères abstinents.
Depuis toujours, vous aviez souligné dans une joie partagée et innocente les célébrations les plus diverses sur les plaines d’Abraham en les agrémentant d’une touche de cannabis entre amis ? Terminé. Proscrit. Décision de Labeaume : le pot est hors-la-loi partout à Québec et, si la tendance se maintient, il le sera dans toutes nos villes.
Vous cohabitiez pacifiquement avec toutes ces bonnes gens qui partagent votre immeuble à appartements, et ce, jusqu’à vous en faire des amis que l’effluve du joint (dont vous tâtiez à l’occasion) ne dérangeait guère ? Malheureusement, cette nouvelle clause à votre bail interdira désormais votre pratique malsaine. Prohibé à partir du premier du mois.
Vous consommez un brownie au pot à la maison et commettez la folle erreur d’aller marcher paisiblement dans votre quartier à Saguenay ? Illégal ! Car non seulement interdit-on là-bas l’usage de la marijuana dans les lieux publics, mais aussi le simple fait d’avoir les facultés affaiblies par l’herbe maudite en dehors de sa propriété privée.
Après le 17 octobre, vous revenez de magasiner à la Société québécoise du cannabis (SQDC) et êtes intercepté pour un léger excès de vitesse ? Alerté par la subtile odeur flottant dans le véhicule et tellement impatient d’essayer le spectaculaire Dräger Drug Test 5000 (le nouveau matériel détecteur de drogues approuvé à 6000 $ dont nos forces policières vont se doter !), l’agent teste illico votre salive, et le résultat sera positif ! Vous avez beau jurer que l’usage remonte à 10 heures plus tôt et que l’effet s’est depuis longtemps dissipé, rien n’y fait et l’agent dispose déjà d’un motif pour vous coller un constat pour conduite avec les facultés affaiblies. Sachez qu’on ne badine plus avec le cannabis depuis que c’est légalisé!
On va se le dire : le cannabis n’a jamais été aussi stigmatisé que depuis le moment où on a annoncé sa légalisation. Ce climat d’émulation de la moralité, de concours de la vertu publique, de surenchère de regardez-comme-je-suis-un-parent-modèle-soucieux-de-nos-jeunes a franchi la ligne où, de prudent, on entre dans le territoire du ridicule.
Ah, mais diront les autorités pour justifier leur posture, c’est un nouveau paradigme, on pénètre dans l’inconnu, etc.
L’expérience positive des neuf États américains ayant légalisé le cannabis ne compte donc pour rien ?
Les centaines de coffee shops opérant depuis plus de quarante ans aux Pays-Bas, région dont le taux d’usage demeure parmi les plus bas d’Europe, ça ne signifie pas quelque chose ?
À part le Manitoba, toutes les provinces du Canada permettent la culture personnelle d’au maximum quatre plants. Le Québec l’interdit. On a beau chercher les motifs à ce curieux choix, on n’en trouve pas et on ne peut s’empêcher de se dire que c’est pour gonfler les ventes des succursales de la SQDC.
Toutes les provinces du pays permettront la vente à 18 ou 19 ans. Et voilà qu’en dépit de tout bon sens et des messages clairs envoyés par à peu près tous les directeurs de l’Association de la santé publique du Québec, qui insistent pour souligner l’opportunité de fixer l’âge légal à 18 ans, notre nouveau premier ministre semble résolu à différer celui-ci à 21 ans. Tirant des conclusions d’un syllogisme déficient qui ne peut être nourri que par un manque gênant d’information du phénomène, M. Legault craint de voir banalisée une substance que les jeunes de 18 à 21 ans fréquentent depuis toujours et qu’ils devront vraisemblablement continuer d’acheter du crime organisé. Qu’on déploie des ressources et budgets sans précédent à l’éducation et à la prévention chez nos jeunes afin de neutraliser la banalisation, ça ne compte pas.
Alors que tout dans la légalisation crie « encadrement de la substance », on hérite d’un nouveau chef qui n’entend que « promotion de la substance ».
Décourageant.
Est-on à ce point distinct comme société qu’on ne puisse dissiper nos peurs paniques en s’informant du résultat des expériences menées ailleurs ?