La rumeur courait depuis plus de deux ans, mais voilà que le gouvernement Trudeau vient de la confirmer : il enverra bel et bien un contingent canadien soutenir la mission de paix de l’ONU au Mali. Les détails devront cependant encore attendre. Ottawa n’a pas su préciser le nombre de soldats qui y seront envoyés ni la date exacte de leur déploiement.
Une mission de paix au Mali était dans les cartons du gouvernement libéral depuis longtemps. Mais l’annonce officielle se faisait attendre. Le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, est venu la confirmer lundi : deux hélicoptères Chinook et quatre hélicoptères Griffon armés seront dépêchés au Mali pour y soutenir la mission onusienne de maintien de la paix. Un « certain nombre » de soldats seront déployés, a indiqué le ministre, sans préciser combien. La Défense envisage d’en envoyer environ 250. Mais le chiffre officiel devra attendre que l’armée canadienne mène une première mission de reconnaissance. Le gouvernement mise sur un déploiement vers la fin de l’été. Là encore, il faudra patienter avant que soit confirmé le début officiel de la mission, qui durera un an.
Le chef d’état-major de la Défense, le général Jonathan Vance, a martelé en entrevue avec Le Devoir que l’envoi d’hélicoptères répondait précisément aux besoins de l’ONU au Mali. Une information corroborée par l’expert en la matière David Perry, de l’Institut canadien des affaires mondiales, qui explique que ce genre d’effectif est plus difficile à recruter pour les Nations unies que des soldats envoyés sur le terrain.
À ceux qui trouvent que le nombre de troupes prévu est timide, le général Vance rétorque que c’est le nombre d’hélicoptères qui importe. Les Chinook pourront transporter personnel et matériel, tandis que les Griffon leur fourniront une escorte armée. Le contingent de soldats au sol restera dans la base militaire et ne fera pas de patrouilles, a dit le général. Ce dernier n’a pas su préciser combien de soldats québécois seront dépêchés dans le pays francophone d’Afrique de l’Ouest. Les Chinook sont tous à la base ontarienne de Petawawa, mais les Griffon sont répartis parmi plusieurs bases militaires, dont celles de Bagotville, Valcartier et Saint-Hubert.
Simples relations publiques
L’opposition conservatrice a accusé le gouvernement de faire cette annonce à l’improviste, pour faire oublier les problèmes du premier ministre lors de son récent voyage en Inde. La mission est mal ficelée, selon le député James Bezan, qui déplore qu’on ne sache pas quelles seront les règles d’engagement des troupes canadiennes ni si celles-ci relèveront de l’ONU ou d’un commandement canadien.
« Soyons clairs : il s’agit ici de l’ambition politique égoïste de Justin Trudeau, qui veut gagner un siège au conseil de sécurité de l’ONU. Et il se sert de nos soldats comme des pions politiques pour ses propres gains personnels », a-t-il accusé.
Or, les Nations Unies et la communauté internationale risquent d’être déçues de l’annonce canadienne, qui ne compte pas un nombre élevé de soldats ni de composante diplomatique, note Jocelyn Coulon. « C’est en deçà de ce qui avait été promis », a fait valoir le chercheur au CERIUM et ancien conseiller de l’ex-ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion. « C’est un pas dans la direction de mettre en oeuvre le slogan libéral de 2015 : “Le Canada est de retour sur la scène internationale”. Mais c’est un petit pas. »
Les libéraux avaient promis il y a deux ans de dépêcher jusqu’à 600 soldats et 150 policiers dans des opérations de paix de l’ONU. L’automne dernier, le gouvernement a gardé le même chiffre, mais a précisé que ses troupes seraient déployées au sein de diverses missions plutôt qu’une seule d’envergure. Le Mali est le second déploiement annoncé par Justin Trudeau, après celui d’une mission aérienne tactique en Ouganda, où Ottawa enverra un ou deux avions de transport pendant un an à compter du mois d’août. Le processus décisionnel est « très lent », a déploré M. Coulon.
Le néodémocrate Guy Caron voit d’un bon oeil une participation canadienne à une mission de paix comme celle du Mali, mais il juge aussi que l’annonce libérale « tombe à court de ce qu’ils avaient promis il y a deux ans » puisque le gouvernement n’a même pas précisé les détails de sa mission.
L’ancien ministre libéral des Affaires étrangères Lloyd Axworthy estime néanmoins que l’engagement canadien « démontre aux pays africains que le Canada est sérieusement engagé envers leur sécurité et l’amélioration de leurs gouvernements », a-t-il dit à la CBC.
Le spectre du Rwanda
L’opposition conservatrice craint en outre de voir une récidive de la mission de paix au Rwanda, qui avait hanté l’armée canadienne et son général Roméo Dallaire, car celui-ci n’avait pas pu intervenir puisqu’il relevait du commandement de l’ONU, qui avait refusé tout geste autre que pour la légitime défense.
La mission onusienne MINUSMA au Mali est l’une des plus dangereuses; 162 Casques bleus y sont décédés.
Jocelyn Coulon rejette cependant la comparaison avec le Rwanda. L’ONU s’est transformée depuis 20 ans, explique-t-il. « On a changé la façon de faire, on a renforcé les protections des Casques bleus. » David Perry est du même avis, mais note que la communauté de la défense est préoccupée de savoir de qui relèveront les forces canadiennes. Le général Vance leur rétorque qu’il « ne cède jamais le commandement et le contrôle canadien ».
Quant aux risques que comporte une mission au Mali, le chef d’état-major note que seuls 9 des 162 victimes étaient des soldats occidentaux et que, de ce nombre, quatre étaient liés à des incidents impliquant des hélicoptères, tous causés par des problèmes mécaniques. « Ce n’est pas un environnement où les hélicoptères sont ciblés ni où se trouvent des armes sophistiquées pour les cibler », a indiqué le général. Jocelyn Coulon souligne en outre que la quasi-totalité des victimes au Mali étaient des membres d’armées mal entraînées, du Sénégal ou du Burkina Faso.
« Nous sommes très au fait des complexités et des difficultés de la situation au Mali », a pour sa part affirmé la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland. « Notre gouvernement fera tout ce qui est en son pouvoir pour s’assurer que les Canadiens offrent une contribution de façon aussi prudente que possible. »