« Le feu le plus couvert est le plus ardent »
- Ovide
« Le vent, qui éteint une lumière, allume un brasier »
- Beaumarchais
Le printemps québécois réchauffe le social depuis trois mois seulement que déjà certaines voix, la plupart soufflant de la droite, se prennent à souhaiter publiquement sa fin, au moins sa banalisation. À tous les jours, dans nos médias, nous entendons les éteignoirs s’exprimer, lesquels insistent, à force d’euphémismes, sur les avantages de la loi, de la police et du statu quo. Ils jouent avec les mots afin de faire entrer le social dans la case « stabilité ». Au fond d’eux-mêmes ils ont peur, jouissent de la vie « normale » et sont fatigués de la crise. Leur parole vise à atténuer le mouvement de grève et à relativiser la remise en question qui le sous-tend. Sinon comment comprendre que des politiciens et des chroniqueurs, au sortir du Victorin, annonçaient déjà la fin de la crise ? Dans ce texte, nous montrerons que c’est bien mal connaître la mobilisation sociale que d’annoncer le retour à la normale quand les forces sont vives. Nous présenterons les raisons pour lesquelles la grève est loin d’être terminée et pourquoi ceux qui refusent le printemps québécois prennent leur désir pour la réalité.
Un gouvernement libéral aux prises avec le « mal de mer »
D’abord, le gouvernement montre depuis plusieurs années déjà, mais surtout depuis trois mois, qu’il est en panne. Son navire est à la dérive. Non seulement l’équipage ne réussit pas ce qu’il entreprend – il revient souvent sur ses orientations et ses décisions – et, bien que sa gouvernance soit improvisation, il est incapable d’inventer une solution créative. Quand il faut garder le cap, il tourne et inversement. Depuis le début de la grève, les étudiants font des vagues et ce gouvernement, qui connaît le mal de mer, vomit sur eux. Et cela s’explique : il manque d’authenticité et de crédibilité, voilà pourquoi il prend des postures paternalistes envers les étudiants, mais aussi envers les juges et les policiers. De leur côté, les indignés voient bien que les libéraux négocient mieux avec les entrepreneurs en construction et les firmes de génie/conseil qu’avec ceux qui veulent changer le monde.
La confusion, l’incohérence et la contradiction des demandes d’injonction
La valorisation des injonctions par le gouvernement illustre sa confusion. Dans le cas de la grève étudiante, ce recours est insensé parce qu’il confond les ordres politique et juridique. Il répond à l’insatisfaction des quelques étudiants qui ont perdu en assemblée générale par des mesures à la pièce qui attaquent une démocratie qui, paradoxalement, sert à fonder et à justifier le Droit. Autrement dit, il tente en vain de solutionner du général au cas par cas. Recommander que des étudiants individualistes passent par-dessus la démocratie de leurs associations afin d’obtenir, de la part de juges, des cours privés, c’est-à-dire des cours et des notes en-dehors de la présence en classe des autres étudiants, voilà qui est paradoxal, voire risible et conflictuel, car ces procédés sont inefficaces et détruisent la paix et le climat social. Il se peut que ces recours ponctuels à la mode donnent quelques points de sondages, mais ils resteront inefficaces parce qu’ils déplacent l’incapacité et l’embarras du gouvernement vers les tribunaux et les classes. Si des chroniqueurs sont assez naïfs pour penser que tout va bien, que des professeurs donnent des cours dans pareilles conditions, qu’ils enseignent à un ou deux étudiants égoïstes au lieu de trente, alors ils peuvent écrire que le conflit est terminé, tout en faisant fi de la réalité.
L’ « entente » signée n’a encore rien réglé…
Dans le même état d’esprit, on ajoutera que l’entente, qui est déjà rejetée par la majorité des associations étudiantes, n’a encore rien réglé. Comment parler de « sortie de crise » quand les étudiants manifestent et marchent contre l’obscure entente qui n’engage personne, pas même ses signataires ? Les étudiants organiseront une grande manifestation le 22 mai et les chroniqueurs nous parlent de la grève, rebaptisée conflit étudiant, au passé ! Des étudiants ont réussi à paralysé le métro pendant trois heures ce jeudi et on nous entretient sur la fin du « boycott » des cours ! Les médias sont visiblement las, fatigués, comme les policiers, de devoir « couvrir » ce qui ne se couvre pas facilement. Alors que le foyer est encore chaud, les journalistes banalisent la grève, rapportent moins les marches nocturnes, ciblent des individus afin de discrédité un mouvement social. On veut nous habituer à l’exception.
Implorer le devoir de réserve des professeurs… Nouveau bâillon, nouvelle censure ?
Et comme ce n’était pas suffisant pour noyer le poisson, un professeur et une chroniqueuse de droite célèbre pour ses positions extrêmes ont eu la brillante idée, en fin de semaine, de souhaiter un devoir de réserve de la part des professeurs ! Pris en otage entre des étudiants qui exercent leur droit de grève et des parents anxieux et dépassés par les événements, entre des juges semi-cultivés et un gouvernement usé, les professeurs devraient se taire, osent dire certains. Ce sont eux qui devront payer de leurs énergies et de leurs vacances les pots cassés d’une grève historique dont ils ne sont pas responsables et l’on espère, sous le prétexte pour le moins fallacieux qu’ils appuient les étudiants, les bâillonner ! Décidément, les éteignoirs médiatiques qui refusent le progrès social n’ont rien compris. Alors que ces chroniqueurs, commentateurs et journalistes jouissent de leur tribune sans limite, peuvent cracher leur fiel au quotidien et en remettent sur leur blogue le soir, sans voir mis les pieds dans une classe depuis l’âge de 21 ans, les professeurs, dont le travail est d’expliquer la réalité, devraient se taire. Quiconque implore le devoir de réserve des professeurs devrait revisiter sa définition de l’enseignement mais aussi et surtout de la démocratie.
Le « carré blanc » de la peur, de l’infantilisation et du statu quo
On trouvera de nouveaux éteignoirs chez les parents irrités de la grève et des manifs, mais aussi de la violence inhérente à un rapport de force exigeant avec un gouvernement autiste. En effet, quelques parents, en manque de lumière dans une grève qui ne les concerne pas d’emblée, lancent le drapeau blanc. Ils signent la reddition et demandent une trêve ! Sans doute bien intentionnés, ces parents apeurés ne parviennent pas à gérer leur anxiété devant un accroissement de la violence depuis l’émeute de Victoriaville. Ils s’inquiètent pour leurs « enfants » qui ont connu les gaz et les balles de caoutchouc lancées par des soldats au service d’un état policier. Or ces parents sensibles ignorent-ils que leurs « enfants », qui sont majeurs, vaccinés et adultes, ont moins peur qu’eux ? Savent-ils que leurs progénitures en apprennent plus sur le Québec moderne dans une activité de désobéissance civile que dans les cours obligatoires donnés dans leurs institutions d’enseignement ? Savent-ils que leurs « bouts de chou » participent actuellement à l’histoire d’un Québec, lequel se bat une nouvelle fois contre sa marginalisation et le mépris politique ? S’il est pacifique d’invoquer un moratoire, il est bien triste en revanche d’infantiliser les étudiants courageux et, sous prétexte d’ecchymoses, de renforcer le gouvernement et le statu quo. Au lieu de dénoncer les abus des policiers et d’exiger plus respect et de démocratie de la part du gouvernement, ces parents demandent la paix ! Ces parents « responsables », sans dire qu’ils capitulent, réalisent-ils que leur combat pour la paix et l’amour est anachronique et donne encore des munitions à un gouvernement qui cherche, par tous les moyens, à imposer le retour en classe accompagné d’une hausse des frais de scolarité ?
Le lent déclin d’une université qui se croyait lumière du monde…
Parmi les éteignoirs les moins subtils à l’heure actuelle, on retrouve certains professeurs d’université – ceux qui se croient en chaire et qui n’aiment pas être dérangés pendant leurs importants travaux – et surtout les recteurs, ces administrateurs qui confondent l’université avec une entreprise privée. Il est triste de devoir le dire encore, mais l’université n’est plus ce qu’elle était. Ce n’est plus une institution vénérable et intouchable, c’est maintenant une succursale bancaire comme n’importe quelle entreprise. Un vent souffle désormais sur elle et son aura d’antan s’éteint. Ce vent assure au moins l’existence d’un brasier. L’université, faut-il le dire, est un lieu qui n’a jamais vraiment échappé à la controverse et à la corruption, à la nomination des amis, voilà pourquoi il faut rire quand les recteurs, qui s’organisent pour que leurs enfants étudient supérieurement à moindre coût, continuent de s’octroyer des primes, des allocations de voyage et se moquent d’une population qui ignore tout de ce qui se passe dans ces écoles prétentieuses, ténébreuses et obscures. Les recteurs redoutent la société du savoir qui remettrait en question leur privilèges, ils souhaitent le retour en classe parce qu’ils perdent leur pouvoir quand les étudiants marchent dans la rue.
Le brasier
On voudra encore mettre le couvercle sur la marmite. Les éteignoirs diront que la grève fait mal et qu’elle doit se terminer, alors que le semestre d’hiver est déjà perdu. Les étudiants entendront de la bouche des politiciens et des chroniqueurs que manifester est dangereux. On mentira toujours plus afin que les livres d’histoire oublient le « printemps québécois ». Au Québec, on a peur de la peur. On a peur du changement social radical et l’on redoute la force, la puissance et le caractère. On préfère imiter les moutons. Mais le vent de droite des éteignoirs, qui assure le vol des oies blanches, n’éteindra pas la braise…
Le brasier
« Le vent, qui éteint une lumière, allume un brasier » - Beaumarchais
Crise sociale - printemps 2012 - comprendre la crise
Dominic Desroches115 articles
Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Eti...
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Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Etik og Ret à Copenhague (Danemark) en 2004. En plus d’avoir collaboré à plusieurs revues, il est l’auteur d’articles consacrés à Hamann, Herder, Kierkegaard, Wittgenstein et Lévinas. Il enseigne présentement au Département de philosophie du Collège Ahuntsic à Montréal.
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