Il y a un peu plus d'un an, Rona Ambrose, alors ministre fédérale de l'Environnement, a demandé à un organisme consultatif indépendant un avis sur les façons d'atteindre des cibles de réduction des gaz à effet de serre annoncées par le gouvernement conservateur.
La réponse est arrivée cette semaine. Et c'est un boomerang qui est en train de revenir tout droit dans le front du premier ministre Stephen Harper.
Ce que dit en substance la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie, un organisme dont les membres, universitaires, gens d'affaires, environnementalistes ou spécialistes de l'énergie, sont nommés par Ottawa, c'est que le plan conservateur ne permettra tout simplement pas d'atteindre les cibles promises, une réduction des GES de 65% d'ici 2050. Pour y arriver, il faudra faire beaucoup plus, notamment en imposant une taxe sur le carbone.
Cet avis, qui s'ajoute à bien d'autres, peut, au plan politique, être interprété de deux façons. On peut y voir un autre coup d'épée dans l'eau qui n'émouvra pas un gouvernement intraitable sur la question. Ou, au contraire, on peut penser que cet avertissement, appuyé très rapidement par le monde de la grande entreprise, s'inscrit dans une dynamique qui aidera le gouvernement conservateur à compléter son virage à 180 degrés pour passer du négationnisme à l'interventionnisme.
Même si le rapport ne le dit pas de façon explicite, ses projections montrent que la stratégie annoncée par le gouvernement Harper ralentira la progression des émissions de GES mais ne les fera pas baisser. Avec le plan conservateur, les émissions augmenteraient d'environ 45% d'ici 2050, au lieu de baisser de 65%!
Et cela tient à deux facteurs. D'abord, le plan conservateur n'impose pas un plafond absolu aux émissions, il préconise plutôt un système fondé sur l'intensité, qui permet une hausse des émissions pour une entreprise qui augmente sa production. Ensuite, il repose sur un système de quotas en aval, qui s'appliquent à quelque 700 grands émetteurs, ce qui ne touche qu'à environ la moitié des émissions.
Pour la Table ronde nationale sur l'environnement, il faut bien davantage. Il faut «un signal de prix puissant, clair, cohérent et certain». Parce que la seule façon de réduire sérieusement les émissions, c'est que ça fasse mal. Il faut donc mettre en place un mécanisme de marché qui force les émetteurs, les entreprises, mais aussi les consommateurs à en payer le prix, pour les inciter à réduire leurs émissions et à modifier leurs pratiques et à rechercher des technologies moins nocives.
Cela mène à un débat très technique sur l'approche à choisir. Tant les libéraux que les conservateurs s'opposent à une taxe sur le carbone comme le propose cet organisme. Mais que ce soit une taxe, ou des mécanismes contraignants de quotas, cela revient pas mal au même. Il s'agit de faire payer, et de mettre en place un système de punition et de récompense.
Mais dans ce dossier, il n'y a pas que de grands principes. Il y a aussi des contraintes économiques et politiques. Dans le grand débat mondial sur le réchauffement, chaque pays protège ses intérêts nationaux. Les pays les plus militants sont en général ceux pour qui la réduction des GES est la plus facile.
À l'inverse, il est normal que le Canada défende aussi ses intérêts. Il est beaucoup plus difficile pour le Canada de réduire les GES que pour d'autres pays, parce que c'est un pays nordique, étendu, qui connaît une forte croissance économique, ainsi qu'une croissance démographique, et qui est un exportateur de ressources naturelles.
À cela s'ajoute le fait que le Canada est un producteur net de pétrole, et de surcroît un pétrole sale, provenant des sables bitumineux, qui a un impact important sur ses émissions de GES. Les hésitations du gouvernement conservateur ne s'expliquent pas seulement par un désir de ne pas incommoder sa base politique en Alberta. Mais aussi parce que le pétrole est un fondement du succès économique canadien.
Le gouvernement Harper doit faire un virage. Mais il faut comprendre qu'il doit trouver une approche qui ne tue pas la poule aux oeufs d'or, et qui n'est pas punitive pour les provinces productrices, par exemple en soutenant le développement technologique qui permettra de rendre plus propre l'extraction du pétrole des sables bitumineux.
Les Québécois, dans ce dossier, font preuve d'un angélisme suspect. S'ils peuvent se payer le luxe de défendre Kyoto, ce n'est pas parce qu'ils sont exemplaires mais grâce au hasard géographique qui leur a donné de l'eau plutôt que du pétrole. Et ils oublient commodément que ce sont les pétrodollars qui financent les baisses d'impôt et réduisent le déséquilibre fiscal.
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