Quelques jours à peine depuis l’élection fatidique du 2 mai, et la poussière n’arrive pas à retomber. Une poussière orange. Espérons pour le Québec qu’elle se cristallisera en quelque chose de plus consistant, de plus cohérent que l’introuvable candidate élue dans Berthier-Maskinongé, Mme Ruth Ellen Brosseau, qui n’a finalement de francophone que le nom. Fatidique, l’élection l’a été à coup sûr pour les deux frères ennemis du débat constitutionnel des deux dernières décennies. L’avenir dira s’il s’agit d’un KO ou d’un trépas. Ce qui est certain, c’est que le PLC et le Bloc Québécois ont respectivement enregistré la pire performance de leur histoire et que, si pente à remonter il y a, celle-ci s’annonce abrupte et escarpée. Pire encore, les deux leaders ont été désavoués dans leurs propres comtés et auront contribué à la réalisation de leur plus atroce cauchemar : l’élection d’un gouvernement conservateur majoritaire. Un désastre historique !
Les perdants
MM Duceppe et Ignatieff pourront bénéficier désormais de tout le temps libre nécessaire à mesurer la cohérence de déclencher des élections à mi-mandat après avoir vertement dénoncé leur adversaire numéro un d’avoir fait de même deux ans plus tôt. Écrivant à nouveau l’histoire, les deux solitudes canadiennes ont chacune à leur façon manifesté une désapprobation nette et implacable du procédé, à moins qu’il ne s’agisse également d’une lassitude accumulée devant un débat constitutionnel qui n’a toujours pas trouvé d’aboutissement satisfaisant pour les deux clans. Le choix des appuis, dans un camp comme dans l’autre, de Jacques Parizeau et de Gérard Larose, résolument maladroits, pour le Bloc, et de Jean Chrétien et Paul Martin, si fortement identifiés au scandale des commandites, pour le PLC, n’avait rien pour se mériter un premier prix de stratégie politique. Pas besoin de marcher avec une canne pour se tirer dans le pied…
Excédé de l’instabilité parlementaire, le ROC, qui ne se reconnaîtra jamais dans le NPD, encore moins dans le parti vert, et qui en avait marre du PLC au point que même l’Ontario l’a largué, n’avait d’autre choix que d’élire majoritaires les conservateurs de Stephen Harper, par pragmatisme, sinon par enthousiasme. Résultat : la paix pendant les quatre prochaines années de règne tory. Du côté du Québec, d’abord vraisemblablement irrité par l’excès d’assurance du leader bloquiste, l’électeur s’est senti gagné par le doute de ce dernier, par son énervement, au point où le confiant et sympathique Jack Layton a représenté illico le champ des sirènes, avec une équipe nouvelle, pour une bonne part inexpérimentée, mais par le fait même digne de confiance, aux yeux des Québécois, pour qui expérience et compromission vont apparemment de pair. Espérons que jeunesse et rapidité d’assimilation iront de pair également…
Le bon et l’abrupte
Brûlé au Québec par son image de premier ministre inflexible, identifié à la droite religieuse, aux durcissement des lois, à la négligence climatique et aux investissements militaires records, Stephen Harper vient de démontrer qu’il n’avait pas besoin de cet allié improbable pour devenir majoritaire. Même si les six sièges québécois lui avaient fait défaut, il aurait obtenu sa majorité de toute façon, ce qui vient infliger un cruel démenti à la pertinence du « vote stratégique pour bloquer Harper ». Comme ce dernier, allergique au travail d’équipe et préférant une gestion d’État en garde rapprochée, gouvernait déjà comme s’il était à la tête d’un gouvernement majoritaire, sa vision des affaires gouvernementales ne devrait pas subir tellement de changements. Il aura tout simplement les coudées plus franches pour imposer ses points de vue.
Ironiquement, le seul parti à bénéficier d’un gouvernement conservateur majoritaire demeure le NPD, qui formera l’opposition officielle, s’il n’égare pas trop d’autres candidats en cours de route, ou de mandat. Il suffit de se rappeler le triste sort réservé à l’ADQ, passée de héros, en 2007, à zéro, un an après, parce que Jean Charest, insatisfait de la volonté populaire qui l’avait rétrogradé minoritaire, avait décidé qu’il aurait à nouveau les mains sur le volant. On se souviendra de la suite : lassé par les bourdes répétées des adéquistes, l’électorat devait les faire passer des 41 sièges qui leur garantissait le statut d’opposition officielle à seulement sept, redonnant au PLQ sa majorité. Une performance aussi dure à digérer alors que celles de MM Duceppe et Ignatieff, qui pourraient profiter de l’occasion pour consulter Mario Dumont afin de réorienter leur carrière. Déjà majoritaire, Harper restera tranquille.
Jack Layton, plus charismatique que jamais, demeure le grand vainqueur de cette élection, lui qui a fait accéder son parti au statut d’opposition officielle pour la première fois de son histoire avec notamment 58 sièges au Québec, devançant même la performance de 48 sièges réalisée en 1988 par Ed Broadbent, avant que le NPD ne sombre dans un coma prolongé sous les règnes successifs de l’anonyme Audrey McLaughlin, puis de la translucide Alexa McDonough.
Une polarisation nouvelle, mais toujours deux solitudes
Le 2 mai vient de signer le dernier épisode d’une polarisation fédérale du débat constitutionnel. Pour toujours ? En politique, on ne peut jurer de rien. Demandez aux ex leaders du Bloc et du PLC. L’élection de lundi vient cependant de confirmer le déplacement idéologique de la dualité canadienne, opposant jadis souveraineté à fédéralisme, vers un autre débat, entre la gauche québécoise et la droite du ROC, ce qui promet des échanges intéressants, pour peu qu’il y ait des interlocuteurs valables autant chez les membres du parti au pouvoir que chez ceux qui constituent désormais l’opposition officielle, les derniers survivants du BQ et Elisabeth May, qui représente le parti vert à elle seule.
Reste à savoir quel impact aura sur la politique québécoise, notamment sur le PQ, la disparition du Bloc. Si certains croient qu’elle contraindra le parti de Pauline Marois à réaliser la souveraineté, plusieurs anticipent le dernier soubresaut de toute volonté d’indépendance, avant la fin inéluctable. Malgré un appui fort, mais toujours minoritaire, à cette option, une majorité de Québécois semble se désintéresser de l’exercice de cette réflexion.
La crise de 2008 a durement frappé les esprits en plus de montrer la fragilité de notre économie face à un dollar rendu fort par le développement pétrolier de l’Alberta. D’un excédant de 4 G $, en 2002, notre balance commerciale est devenue déficitaire de 21 G $ ! Ajoutez à cela la pagaille de nos finances publiques, plus que jamais inflationnistes, malgré les vœux pieux du gouvernement Charest, et il devient évident que, avant de songer à la souveraineté, vaudrait mieux consolider notre autonomie, ceci dit dans un sens non adéquiste. Dans cette optique, envisager la souveraineté dans l’immédiat devient aussi pertinent que d’offrir une robe de bal à une femme qui a de la difficulté à payer son loyer et à garnir son frigo.
Qu’il s’agisse de la scène fédérale ou québécoise, une nouvelle ère débute donc. Les résultats du 2 mai ont déjoué tous les pronostics. Bien malin celui qui pourra anticiper, même à court ou moyen terme, l’avenir politique du Canada et du Québec.
Le bon, l'abrupte et les perdants...
Une polarisation nouvelle, mais toujours deux solitudes
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