Le BAPE a perdu la crédibilité de ses débuts

Gaz de schiste


Une réunion du BAPE 13 décembre 2006 dans le dossier du projet Rabaska.

Au moment où s'amorce cette semaine l'audience sur le «Développement durable de l'industrie des gaz de schiste au Québec», il est pertinent de se pencher sur l'évolution de la crédibilité du BAPE de 1979 à 2010.
Au tout début de cette institution de veille environnementale, le BAPE s'avérait une mini commission d'enquête, qui ne se gênait pas pour soumettre le promoteur à un questionnement serré afin qu'il apporte des réponses satisfaisantes. Ce fut le cas pour plusieurs projets, tels Trans Canada à Lauzon en 1979 et SOLIGAZ à Varennes en 1990. Dans cette dernière commission, les commissaires n'ont pas hésité à demander des contre-expertises indépendantes, notamment sur les questions de sécurité. Cela permit de produire un rapport convaincant et crédible, tout le contraire de celui du BAPE sur le terminal méthanier Rabaska en 2006-2007. Que s'est-il passé depuis 20 ans, pour que la confiance du public envers le BAPE se soit érodée et atteigne son niveau le plus bas?
Les intervenants du public, notamment les plus actifs dans ce processus d'évaluation des projets, ont appris avec les années qu'il n'arrive à peu près jamais que les projets, même les plus incongrus, soient rejetés suite aux audiences. Au mieux, les commissaires proposent certaines mesures d'atténuation, mais le plus souvent celles-ci sont fort timides.
Les analyses récentes du BAPE sur les projets de terminaux méthaniers à Lévis et à Cacouna ont démontré éloquemment comment les commissaires du BAPE ont été sensibles à la commande politique du gouvernement Charest (plusieurs ministres, dont le ministre de l'Environnement de l'époque, Claude Béchard, se sont prononcés en faveur de ces projets avant même leur étude par le BAPE) et à la manipulation du processus d'audience par les Chambres de commerce, divers groupements économiques et même la FTQ.
À titre d'exemple, dans le projet Rabaska, ces groupes ont déposés plus de 450 mémoires dont la majorité de ceux-ci étaient des copiés-collés (souvent préparés par des firmes de communication), contenant le même argumentaire et les mêmes phrases stéréotypées et creuses. La commission conjointe du BAPE, présidée par M. Qussaï Samak, en a servilement tenu compte, comme elle a retenu la plupart des éléments du discours du promoteur dont faisait partie le distributeur de gaz naturel Gaz Métro. Les opposants, malgré la pertinence de leur argumentation, la solidité de leurs mémoires n'ont pas eu d'influence sur la décision déjà arrêtée avant le début des audiences.
Plusieurs affirment «laissons le BAPE faire son travail», c'est faire fi de l'influence politique dans le processus de cette instance, dont les présidents sont nommés directement par le gouvernement, sans consensus obligatoire de l'assemblée nationale. Pour les gaz de schiste, comme pour Rabaska, le gouvernement et ses ministres se sont prononcés favorablement à leur exploitation avant même que commence l'audience publique. Ce slogan de «laissez le BAPE faire son travail», nous l'avons trop entendu par les partisans économiques des projets dans plusieurs autres dossiers, comme de la poudre aux yeux, comme un moyen de gagner du temps et de faire taire l'opposition.
Malheureusement, ce BAPE, aujourd'hui, ne suscite plus l'espoir de rapports exprimant le gros bon sens et la protection de notre environnement. Dans la plupart des dossiers, les arguments économiques ou politiques ont eu le dessus sur les autres paramètres (environnement, qualité de vie des citoyens). Le livre Rabaska, autopsie d'un projet insensé (Fides, 2009) démontre que le BAPE a perdu son objectivité et sa candeur de naguère. On a accepté le pire projet à implanter dans un environnement humain, culturel et maritime exceptionnel, et pour le justifier, il a suffit de produire un rapport complaisant qui a ouvert la porte à son autorisation gouvernementale (décret du 24 octobre 2007).
En sera-t-il autrement dans le BAPE sur le gaz de schiste? Le seul fait nouveau, c'est que cette fois on prévoit consulter des experts indépendants de l'industrie propagandiste, mais cela sera-t-il suffisant pour obtenir au début de 2011 un rapport crédible et objectif?
Oui, le BAPE suscite peut-être l'envie de plusieurs pays, mais il serait grand temps de dépoussiérer cette institution qui a subi un vieillissement prématuré depuis 15 ans et connaît de plus en plus d'influences indues sur le plan politique, comme malheureusement bien d'autres instances consultatives ou décisionnelles gouvernementales...
***
Gaston Cadrin, géographe, M. Sc de l'environnement et co-auteur de Rabaska, autopsie d'un projet insensé


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé