La zone payante (1 et 2)

Québec - prochaines élections 2007

Même avec un taux de satisfaction en hausse, il n'y a pas beaucoup de bonnes nouvelles pour les libéraux de Jean Charest dans le dernier sondage CROP. Ça veut dire qu'il n'y aura pas d'élections à l'automne, mais ça veut aussi dire que le printemps ne s'annonce pas très beau non plus.
Oui, il y a une embellie qui se poursuit en ce qui concerne le taux de satisfaction envers le gouvernement, qui atteint maintenant 40 %. Mais cela est dû pour l'essentiel à un retour à la normale du vote non francophone.
Ainsi, 59 % des non-francophones se disent désormais satisfaits du gouvernement Charest. Mais, chez les francophones, c'est l'insatisfaction qui atteint 59 %.
Comme dans tous les sondages pris au Québec, le chiffre le plus important pour prédire le résultat de la prochaine élection reste le vote chez les francophones, là où le PQ obtient 46 % des intentions de vote, contre seulement 23 % au PLQ.
En fait, avec 37 % des intentions de vote, les péquistes sont très proches de leur "zone payante", le niveau d'appuis requis pour avoir la majorité des sièges. Ainsi, il y a sept mois, le Bloc québécois, avec 42 % des voix, est allé chercher les deux tiers des sièges du Québec à la Chambre des communes.
Le pire ennemi des libéraux, c'est notre système électoral, qui favorise nettement celui qui obtient la majorité des suffrages chez les francophones.
Or, c'est là que les libéraux ne réussissent toujours pas à décoller. On ne peut pas gagner une élection au Québec avec l'appui de moins d'un électeur francophone sur quatre.
Il est vrai que le PQ a perdu une dizaine de points depuis le choix d'André Boisclair comme chef. Mais ce n'est pas aussi significatif qu'on peut le penser. Prenons l'exemple du Bloc québécois. En juin 2004, il obtenait 49 % des voix et 54 sièges sur 75. Dix-huit mois plus tard, avec 42 % des voix, il gardait tout de même 51 sièges.
Comme quoi, ce qui est le plus important pour les souverainistes - et les situations respectives du PQ et du Bloc sont assez comparables - , c'est d'entrer dans la "zone payante". Après ça, les voix donnent de plus grosses majorités, elles ne donnent pas nécessairement plus de sièges.
L'autre avantage que peut avoir le PQ en vue de l'élection générale, c'est qu'il pourrait aller chercher des appuis chez les petits partis, une option que n'ont pas les libéraux.
Le sondage CROP démontre que 16 % des électeurs disent vouloir voter soit pour les verts (9 %), soit pour Québec solidaire (7 %). Sauf qu'on peut légitimement se demander si autant d'électeurs voteront pour un tiers parti lors d'une élection générale. On a vu le phénomène avec le Nouveau Parti démocratique, dont les résultats sont souvent encourageants dans les sondages et pas mal moins reluisants aux urnes.
Dans le contexte actuel, si des électeurs désertent les verts ou QS, ce sera plus probablement au profit du PQ.
On dit souvent des verts qu'ils ne sont ni à droite, ni à gauche, ni souverainistes, ni fédéralistes. C'est vrai. Mais quand on pense à appuyer un parti vert, on n'est pas naturellement attiré vers un premier ministre qui vend des parcs nationaux.
D'autre part, dans l'état actuel de leur organisation, les verts sont plus une marque de commerce qu'un véritable parti politique. On appuie l'idée, mais sans trop savoir ce que le Parti propose. Les verts manquent aussi d'organisation et il n'est pas certain qu'il aient des candidats dans les 125 circonscriptions.
Pour Québec solidaire, ce sondage doit être un peu décourageant. Après un beau résultat en avril dans Sainte-Marie - Saint-Jacques, une couverture médiatique abondante et une porte-parole charismatique, finir derrière les verts, c'est un peu gênant. D'autant que tout le monde connaît Françoise David et qu'à peu près personne ne sait qui est le chef du Parti vert. (Tiens, question quiz : qui est-il ? Vous gagnez le prix d'assiduité à la lecture des pages politiques si vous avez répondu Scott McKay, un ancien conseiller municipal à Montréal du temps de Jean Doré.)
Il se pourrait donc fort bien que bien des gens qui pensent à voter QS aujourd'hui décident de voter utile et de défaire la droite en votant PQ. C'est, en tout cas, ce que vont suggérer fortement leurs amis des centrales syndicales le temps de l'élection venue.
Mais pour que le PQ profite de cette conjoncture favorable, il faut qu'André Boisclair réussisse son entrée à l'Assemblée nationale et devienne, dans l'esprit des Québécois, la solution de rechange au gouvernement actuel.
Depuis qu'il est chef du PQ, Boisclair a surtout déçu. Son élection lui donne une deuxième chance. Il y a fort à parier qu'il n'en obtiendrait pas une troisième.
Pour joindre notre chroniqueur : mcauger@lesoleil.com
----
Samedi 02 Septembre 2006
La «zone payante» (2)
Des lecteurs ont demandé des explications supplémentaires sur le concept de «zone payante» et sur l'interprétation que j'ai donnée du dernier sondage CROP.
Ça fait un peu soupe aux chiffres, mais ça va comme suit : depuis 1970 -soit depuis qu'on a aboli les «comtés protégés» qui créaient une distorsion artificielle dans la carte électorale - le Parti libéral n'a jamais gagné une élection avec moins de 45 pour cent des voix. Par contre, le PQ a pris le pouvoir avec aussi peu que 41 ou 42 pour cent des voix - même quand, comme en 1998, le PQ était devancé par les libéraux au vote populaire.
La zone payante - celle où les votes se traduisent en sièges à l'Assemblée nationale - commence donc vers 41 ou 42 pour cent, alors que celle des libéraux est plutôt autour de 45 pour cent des voix.
C'est la conséquence du fait que les voix des libéraux sont concentrées dans un plus petit nombre de comtés, essentiellement dans la région de Montréal et de l'Outaouais, alors que les votes péquistes sont répartis sur un plus grand nombre de comtés, dans le Québec francophone.
Il y a plusieurs facteurs qui peuvent influer, dont la force des petits partis. Mais les «zones payantes» dont je parle n'ont guère bougé depuis 1970.
Le résultat du sondage CROP nous montre donc que le PQ est à cinq point de sa zone payante, alors que les libéraux sont à 13 points de la leur. Pas trop difficile de dire qui a l'avantage dans de telles circonstances.
L'autre facteur à prendre en considération est la capacité de croissance des deux grands partis. Le PQ peut raisonnablement penser aller chercher une partie des 16 pour cent d'électeurs qui se déclarent actuellement pour le Parti vert ou Québec solidaire.
Par contre, le PLQ, qui avait largement profité de la baisse des appuis à l'ADQ pendant les mois qui ont précédé la campagne électorale de 2003 - le parti de Mario Dumont avait perdu presque un point par semaine entre le début de l'année et le jour du scrutin - ne peut compter sur le même phénomène cette année.
Avec un appui autour de 13 pour cent, l'ADQ retrouve à peu près son niveau de 1998. Il s'agit donc d'adéquistes «purs et durs» qui ont beaucoup moins de chances d'être tentés de voter pour quelqu'un d'autre.
Cela dit, un sondage reste un sondage. La plupart des électeurs ne se décident pour vrai que dans les derniers jours d'une campagne. Et bien des choses peuvent se passer d'ici là. »


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé