La Wallonie manque d'autonomie, pas d'argent

Chronique de José Fontaine

Les difficultés de la Banque Dexia et la fermeture du dernier haut fourneau de Liège devraient être les sujets d'une chronique, mais je manque de recul pour en parler. Notamment parce que j'ai été pris ces dernières semaines par la rédaction d'un article à la fois historique, juridique, politique et économique que j'ai écrit avec un jeune économiste du GRESEA, le Groupe de Recherche pour une Stratégie économique alternative.
La Wallonie doit s'insérer dans une post-Belgique confédérale
La thèse que nous y défendons c'est que la Wallonie peut, à terme, parfaitement s'intégrer dans une Belgique confédérale qui pourrait d'ailleurs perdre le nom de Belgique au bénéfice d'une Confédération Flandre-Wallonie-Bruxelles. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'une proposition utopique puisque comme le dit un spécialiste de la politique belge, le directeur du CRISP Vincent de Coorebyter, « Dans l'exercice de leurs compétences, les Communautés et les Régions sont souveraines. Exactement comme un Etat est tout à fait indépendant dans sa sphère de souveraineté, même s'il est par ailleurs membre d'une confédération. » (Vincent de Coorebyter, in La Revue Nouvelle, janvier 2008, p. 40)
La Wallonie dépendante de la Flandre? C'est réciproque
Il y a quelques jours, je regardais une video française présentant la Belgique il y a quelques années, soulignant de manière très dure que la Wallonie vivait aux crochets financiers de la Flandre. Il est assez étonnant que la Flandre ait réussi à imposer cette vision sociale du pays. Et il est assez étonnant aussi que, par contre, elle ne réussisse pas à se dépêtrer d'une image de pays étroitement nationaliste, voire fasciste et intolérant, ultralibéral et égoïste, désireux d'indépendance pour se débarrasser du boulet wallon. Mais, comme on le voit, les deux images - fausses - sont liées.
Elles sont fausses parce que, en dépit de ses difficultés économiques, la Wallonie est encore toujours le pays dans le monde qui achète le plus de produits flamands. Yves Leterme, actuel premier ministre belge à la tête du gouvernement en affaires courantes l'avait solennellement déclaré en janvier 2007. Il est d'autant plus vexant pour les Wallons d'entendre qu'ils vivent aux crochets de la Flandre que la domination économique et politique des Flamands a consisté pendant près d'un siècle à détourner les ressources publiques de l'Etat belge vers la seule Flandre. Et cela même au temps de la grande crise économique des années 80 quand tous les Etats européens ont aidé leurs entreprises en difficultés (et en particulier la sidérurgie). Puisque, comme le Professeur Quévit l'a montré dans son livre, malgré le fait que la plupart des entreprises flamandes à l'époque n'avaient pas besoin d'aides, la Flandre a obtenu de recevoir les trois-quarts des aides de l'Etat belge pendant de nombreuses années. Après quoi, ses principaux leaders ont affirmé que la Flandre riche ne voulait plus payer un seul franc «flamand» pour la sidérurgie wallonne! Et cela alors que les charbonnages du Limbourg, maintenus malgré leur manque de rentabilité recevaient eux des centaines de milliards de francs belge, le franc flamand n'étant qu'une invention de propagande, on s'en doute. La prospérité flamande n'est d'ailleurs pas si ancienne. Jusqu'au début des années 1970, en termes de PIB par habitant c'était la Wallonie qui était la plus riche. Mais il a suffi que l'on connaisse les chiffres (arrivés en retard), du dépassement de la Wallonie par la Flandre (déjà opéré à la fin des années 60, mais que l'on n'a connu que dans les années 70), pour que d'emblée ou presque la Flandre déclare que la Wallonie dépendait d'elle, ce que la Wallonie n'avait jamais prétendu, en tout cas pas instrumentalisé en vue d'une politique.
Comme le fédéralisme voulu par les Wallons dès le début des années 60 pour faire face à la crise qu'ils sentaient venir, n'a pu se réaliser que dans le milieu des années 90, la Flandre a continué à s'attribuer la majeure partie des ressources de l'Etat pour son propre développement et à mener des politiques qui la favorisaient.
La Wallonie n'est pas si pauvre que cela

A force de crier à la pauvreté de la Wallonie, les dirigeants flamands ont réussi leur coup, tellement bien que l'opinion wallonne est persuadée que la Wallonie vit aux dépens de la Flandre. Sans voir que certaines politiques ne seraient pas menées si la Wallonie pouvait mieux défendre ses intérêts comme la politique (fédérale belge!) de réduction des cotisations patronales qui représentent plusieurs points du PIB wallon alors qu'une telle politique ne crée aucun emploi, en tout cas en Wallonie, et n'est qu'une façon d'augmenter les dépenses publiques sans aucune idée de du redressement économique, celui dont la Wallonie a besoin, mais pas la Flandre.
Il est regrettable aussi que, en Wallonie, des groupes partisans de la réunion à la France reprennent avec enthousiasme la propagande flamande sur la question de la pauvreté de la Wallonie. C'est logique évidemment, car devant la peur de ne pas en sortir, proposer le secours d'un grand frère (ou d'une grande soeur), est probablement ce qui convient le mieux à la paresse humaine. Mais ceux qui proposent cela semblent vraiment n'avoir aucune confiance en la Wallonie autonome. Alors que celle-ci est considérée comme une des régions logistiques les mieux équipées du monde. Le 2e aéroport de voyageurs belge est à Charleroi, le 8e aéroport européen pour le fret est à Liège qui est par ailleurs le 3e port fluvial d'Europe, par ailleurs reliée directement au TGV européen. Plus de 40 millions de tonnes de marchandises sont transportées en Wallonie par voie d'eau (ce qui est beaucoup pour une Région de 3,5 millions d'habitants: le Rhin, le fleuve économiquement le plus important au monde en transporte 300 millions).
En outre, contrairement à des pays comme la Grèce, les ménages wallons ont une forte capacité d'épargne qui est équivalent à 160% du POIB régional.
La Wallonie manque d'autonomie pas d'argent
La vérité, c'est que la Wallonie n'a pas disposé en temps voulu d'une capacité d'action politique et économique autonome. C'est seulement depuis peu qu'elle la possède. Elle a lancé un Plan Marshall de redressement qui a l'appui des syndicats, des patrons, des PME et des agriculteurs en même temps que des universités (la Wallonie compte deux universités complètes et il y a une troisième université francophone à Bruxelles), et des partis politiques wallons démocratiques. Ce plan est ambitieux mais il ne représente (et là on voit vraiment à quel point le manque d'autonomie est un handicap), en dépenses annuelles que le quart, par exemple, des réductions de cotisations patronales, décidées à un autre niveau et qui sont des dépenses parfaitement inefficaces. Il arrive souvent que tous ceux qui sont adversaires d'une autonomie plus étendue de la Wallonie affirment que celle-ci ne serait pas capable d'assumer cette autonomie. Mais, en réalité, c'est ce manque d'autonomie qui la ruine et cette ruine l'apeure. On connaît dans la vie (et la maladie mentale entre autres), ce genre de cercles vicieux. Je peux en témoigner dans la mesure où j'en ai toujours beaucoup discuté: je n'ai jamais connu d'époque où la moindre parcelle d'autonomie pour la Wallonie n'ait effrayé la majorité de l'opinion wallonne. Or la Wallonie est autonome depuis 31 ans (certes au départ de manière bien minime), et l'on ne voit pas quelle catastrophe en serait survenue. Il est d 'ailleurs plus que probable que, sans autonomie, la Wallonie logistique, entre autres, n'aurait jamais connu un tel développement.
Enfin, ceux qui comptent encore sur la Belgique (ou dans un avenir qui ne pourrait être que politiquement lointain, sur la France), ne voient pas que le fait même d'attendre le salut de l'extérieur pour une collectivité politique est le plus sûr moyen d'échouer. Il n'y a de développement qu'endogène (on ne dit pas autarcique) , et comme le dit Jean-Marc Ferry en politique« tout ce qui est imposé de l'extérieur est faux». Etant bien entendu que ce qui s'impose de l'extérieur on peut soi-même s'y asservir. Les libéraux et les ultra-libéraux sont sans cesse en train d'exalter la liberté individuelle, mais ils ne font aucune place à la liberté collective, ignorant par là que les êtres humains ne sont pas des monades isolées et coupées les unes des autres et que le salut n'existe jamais que collectivement. Ce qui ne signifie pas de manière collectiviste, le collectivisme n'étant qu'une autre façon de s'asservir à l'extérieur.
La nocivité du FDF
Si la Flandre est si agressive, c'est parce qu'elle craint la francisation complète. Elle est comme le Québec face à l'anglais. Les Wallons payent la réaction de la Flandre contre la bourgeoisie francophone, devenue surtout bruxelloise et qui, encore récemment, ne rêvait que d'étendre Bruxelles à une portion du territoire flamand : tout ou partie du Brabant flamand qui représente le sixième de la population flamande! proposition souvent évoquée par le président du FDF, Olivier Maingain. Or il faut savoir que la menace de francisation de cette énorme partie de la Flandre est bien réelle. Ai-je besoin d'en dire plus à des Québécois pour qu'ils comprennent le point de vue flamand?
Je veux bien admettre qu'en se montrant dur de cette façon, le président du FDF veut aussi défendre Bruxelles contre les prétentions flamandes à diriger cette Région avec la Wallonie.
Mais il y a des gens qui défendent le français comme langue majoritaire et même impérialiste, ignorants du tort qu'ils font à la Wallonie francophone et francophile. C'est eux aussi qui propagent l'image d'une Flandre agressive, égoïste, nationaliste, repliée sur elle-même. Image également fausse. Si rien n'est plus vrai que la nécessité d'une entente entre francophones (wallons et bruxellois), rien n'est plus faux que d'en faire une machine de guerre antiflamande qui exploserait à la figure du pays wallon. Et des Bruxellois.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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3 commentaires

  • José Fontaine Répondre

    23 octobre 2011

    Simplement (si l'on peut dire), à cause de l'histoire. Ce qui est étrange, c'est que les conflits lient. Regardez l'Allemagne et la France. Sans aller trop loin, je sais que Girard a dit un jour qu'il;y avait étrangement de l'amour dans la violence.
    En outre, sans faire de la propagande bêtement pour moi, je dirais que les Flamands cherchent quelque part à nous rester liés. Même si ce n'est pas toujours évident et même si je déteste les opinions tendant à dire qu'on s'entend bien avec les Flamands et que le reste est de la faute du politique. C'est idiot.
    http://www.larevuetoudi.org/nl/story/de-reconstructieve-stap-bij-jean-marc-ferry-vlaanderen-en-wallonië
    [Cela peut paraître bien idéaliste mais, en même temps comment faire autrement?]
    Il y a aussi à cela des arguments plus terre-à-terre, le fait que nous sommes liés par des habitudes, des arrangements (y compris dans le cadre confédéral, c'est une technique qui peut sembler étrange mais dans tout ce qui concerne les intérêts communs, comme les routes, les rivières, les fleuves bi-régionaux, les transports par bus - que sais-je? - il y a beaucoup de coopération).

  • Archives de Vigile Répondre

    23 octobre 2011

    Monsieur Fontaine, P
    Permettez-moi une question fondamentale.
    Tout en reprenant une partie de votre message : "La Wallonie doit s’insérer dans une post-Belgique confédérale,une Belgique confédérale qui pourrait d’ailleurs perdre le nom de Belgique au bénéfice d’une Confédération Flandre-Wallonie-Bruxelles.
    Comme le dit Vincent de Coorebyter: « (...) Exactement comme un Etat est tout à fait indépendant dans sa sphère de souveraineté, même s’il est par ailleurs membre d’une confédération. »
    Pourquoi laisser perdurer une association bancale et contre nature malgré des siècles de voisinage qui n'effaceront jamais la différence germnanité - latinité?
    Pourquoi accrocher des Wallons aux basques de Flamands qui formeraient mieux une confédération avec les Néerlandais?
    Pourquoi vouloir laisser perdurer des dépendances financières entre la Wallonie et la Flandre, même si c'est réciproque?
    Le cadre européen permet permet toutes les combinaisons libératrices possibles. Pourquoi altérer la vie et l'esprit du peuple wallon au nom d'une fiction étatique qui a produit plus de malheurs que de bonheurs (malgré les illusions fabriquées par la propagande d'Etat et, aujourd'hui, les médias "people"?

  • Archives de Vigile Répondre

    22 octobre 2011

    Merci pour ce bel article cher voisin.
    L'opinion majoritaire qui voit en la Wallonie l'antre de la médiocrité et le paradis des paresseux, un pays ou les habitants aiment leur hamac pendant que les braves flamands se lèvent tôt et travaillent dur,...tous cela est bien enfoncé dans l'esprit des gens, tant wallons que flamands.
    Je suis révolté quand des collègues (je travaille à Bruxelles) me regardent avec un sourire en coin lorsque j'affirme que Charleroi ne se résume pas aux affaires Vancau, à la criminalité et au chômage.Quant aux espaces de discussions sur LaLibre ou Lesoir, 90% des commentaires consistent en insultes et clichés...Le chemin vers le changement de mentalité est long mais j'y crois.
    Bien à vous
    Denis Dinsart (Graty)