Les élections américaines de mardi ont confirmé les craintes de George W. Bush. Les démocrates ont repris le contrôle de la Chambre des représentants et du Sénat. Ces élections passeront à l'histoire à plusieurs titres: le règne sans partage des républicains au Congrès est terminé, Nancy Pelosi sera la première femme à présider la Chambre des représentants et le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, a quitté son poste au lendemain du scrutin.
On retiendra deux mots pour comprendre ce qui s'est produit mardi: «Bush» et «Irak». En effet, même si les démocrates ont mené une campagne exemplaire, ces élections étaient avant tout un référendum sur le président, les républicains au Congrès et la guerre.
À ce titre, Pelosi et ses collègues finiront peut-être par regretter leur victoire. Ils ont promis des changements aux Américains mais ne savent pas comment améliorer la politique en Irak. De plus, leur capacité d'action au Congrès sera limitée par les divisions au sein du parti et les querelles récurrentes avec les républicains. Ces réalités pourraient réduire les chances des démocrates de remporter la Maison-Blanche en 2008.
La guerre en Irak
Le premier défi des démocrates consistera à trouver une solution de rechange claire et constructive à la politique en Irak. Le soir des élections, Nancy Pelosi a affirmé que les États-Unis ne «peuvent pas continuer sur ce chemin catastrophique». Le chef du Parti démocrate, Howard Dean, a ajouté qu'il «faut trouver un moyen de se sortir d'Irak». Mais les démocrates ne semblent toujours pas savoir de quelle manière. Ils projettent l'image d'un parti qui tergiverse.
Il est vrai que de moins en moins de démocrates affirment, à l'instar du représentant de la Pennsylvanie John Murtha, qu'il faut retirer immédiatement les troupes, car plusieurs pensent qu'un retrait précipité ne ferait que confirmer la situation de guerre civile et ajouterait à l'instabilité de la région. Toutefois, il existe encore de grandes divergences entre les membres influents du Parti démocrate. John Kerry propose un calendrier de retrait graduel des troupes, le sénateur du Delaware Joe Biden suggère de diviser le pouvoir entre les chiites, les sunnites et les Kurdes tandis que Hillary Clinton, de son côté, s'est jusqu'à présent contentée de demander la démission de Donald Rumsfeld.
Les démocrates n'ont pas été en mesure de profiter de la campagne de 2006 pour affiner leur position à propos de l'Irak. Leur stratégie électorale a consisté à critiquer Bush sans proposer de plan précis en échange. Cela leur a souri parce que la majorité des électeurs modérés (qui représentaient 61 % de l'électorat en 2006) et des indépendants (26 % de l'électorat total) étaient fortement mécontents de la guerre, ce qui a notamment permis à des candidats comme Jim Webb et Claire McCaskill de remporter des sièges cruciaux au Sénat.
Au cours des prochains mois, toutefois, les démocrates devront faire preuve de plus de leadership. Ils partagent désormais avec Bush la responsabilité du dossier, et les gagnants de 2008 seront selon toute vraisemblance ceux qui seront crédités d'avoir trouvé la meilleure piste pour résoudre le problème irakien.
À ce titre, les démocrates ont perdu une première bataille aux mains des républicains mercredi. En annonçant le départ de Donald Rumsfeld, Bush coupe l'herbe sous le pied à ses adversaires, qui ne pourront plus l'accuser de ne pas entendre raison à propos de la guerre.
En outre, le nouveau secrétaire à la Défense, Bob Gates, a été membre de la commission indépendante d'études sur l'Irak, présidée par l'ancien secrétaire d'État James Baker et par le démocrate Lee Hamilton. Cette commission publiera sous peu un rapport très attendu qui servira aux deux partis à améliorer la politique en Irak. Il sera toutefois beaucoup plus facile pour Bush que pour les démocrates de se voir accorder le crédit des solutions proposées par la commission maintenant que Gates fait partie de l'équipe à la Maison-Blanche.
Des blocages politiques à prévoir
Les démocrates auront également beaucoup de difficulté à gouverner au Congrès. En effet, les divisions entre les libéraux et les modérés au sein du parti feront vite surface.
D'une part, les libéraux, qu'on retrouvera notamment aux présidences de plusieurs commissions permanentes de la Chambre des représentants, seront tentés de satisfaire les partisans les plus à gauche du parti en s'opposant aux projets de Bush et en organisant des audiences et des enquêtes sur des questions comme la torture à Guantánamo et le programme autorisant les agences de renseignement à faire de l'écoute électronique sans mandat de justice.
Les modérés, qui oeuvreront surtout au Sénat, éviteront pour leur part les positions trop extrémistes et tenteront de coopérer avec Bush pour conserver l'appui des indépendants et des modérés en 2008. Dans son discours après les élections de mardi, Hillary Clinton a notamment mentionné que le centre était en excellente santé au pays. Elle veillera donc, comme plusieurs collègues du Sénat, à se distancer des libéraux de la Chambre, ce qui pourrait créer des frictions entre les démocrates et enrayer la coopération entre les deux ailes du parti.
Bush et les minorités républicaines au Congrès disposeront également de plusieurs outils pour contrecarrer les plans des démocrates. Le président a annoncé, dans son discours suivant les élections de mardi, qu'il entendait coopérer avec les leaders démocrates. Mais rien ne l'empêchera d'user de son droit de veto pour bloquer les projets de loi qui iront à l'encontre de ses positions.
De plus, au Sénat, une règle cruciale stipule que le temps des débats en assemblée plénière est d'une durée illimitée et qu'il est obligatoire d'obtenir l'accord de 60 sénateurs sur 100 pour clore ces mêmes débats. Le problème pour les démocrates est qu'ils compteront seulement 51 membres contre 49 sénateurs républicains. Ceux-ci pourront donc faire front commun et refuser de terminer les discussions et de passer au vote sur les projets chers aux démocrates. Il sera ainsi difficile pour Pelosi de tenir les promesses faites pendant la campagne, comme la hausse du salaire minimum, la mise en oeuvre des recommandations de la Commission d'enquête sur les attentats du 11 septembre 2001 ou encore l'adoption d'une loi visant à étendre la recherche sur les cellules souches embryonnaires.
En 2008, les républicains pourront alors marteler l'idée que le nouveau Congrès n'a pas été plus efficace que le Congrès républicain et que les démocrates ne méritent pas d'êtres réélus.
Ne pas répéter l'erreur de Newt Gingrich
Les démocrates se retrouveront donc dans une position très délicate au cours des deux prochaines années. Ils viennent de répéter l'exploit des républicains de 1994, c'est-à-dire soutirer au parti du président les deux chambres du Congrès lors d'élections de mi-mandat. Ils devraient toutefois éviter de tomber dans le même piège que ceux-ci, qui, menés par Newt Gingrich, s'étaient évertués à contrecarrer les plans de Clinton et avaient tenté de le destituer. Les Américains n'avaient pas apprécié ce manque de retenue et les républicains en avaient payé le prix lors des élections de 1998.
En 2006, alors que le nombre d'électeurs modérés et indépendants est en hausse, la meilleure stratégie de l'équipe de Nancy Pelosi consiste sans doute à faire preuve de prudence et à valoriser les positions centristes. Car les États-Unis semblent être prêts à élire un Reagan démocrate ou un John McCain à la Maison-Blanche en 2008.
***
Frédérick Gagnon, Chercheur à l'Observatoire sur les États-Unis de la chaire Raoul-Dandurand à l'Université du Québec à Montréal et auteur de l'ouvrage Le Congrès des États-Unis (PUQ, 2006)
La victoire des démocrates, mauvais présage pour 2008?
17. Actualité archives 2007
Frédérick Gagnon3 articles
Chercheur à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’Université du Québec à Montréal
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé