Caleb IRRI - En Tunisie, le peuple a eu raison de la dictature en quelques semaines, et ce malgré la violence exercée par le pouvoir en place. Si l’on applaudit officiellement le formidable élan de liberté pour la communauté tunisienne, celui-ci fait déjà peur à beaucoup, et il ne faut donc pas crier victoire trop vite ; d’autant que ce qui suivra cette révolution populaire n’est pas encore certain d’être meilleur que ce qui la précédait.
Mais cette révolution n’est pas une victoire pour la démocratie, bien au contraire : car bien qu’elle exprime aujourd’hui l’espoir d’une génération, elle n’est en réalité que le point de référence qui servira demain à contrôler la vague de protestations qui menace nos belles démocraties. Car il ne faut pas croire, la révolte des Tunisiens n’est qu’une dictature parmi d’autres, et n’a pu aboutir que grâce à la “faiblesse” du régime en place, qui par son trop grand appétit n’a pas su revernir à temps les dorures de son illusion démocratique… ce qui n’est pas le cas partout.
Car il faut savoir qu’en arrivant au pouvoir, la plupart des dirigeants se trouvent confrontés à un système capitaliste tout puissant, qui corrompt peu à peu ses élites quelles qu’elles soient, jusqu’à les rendre complices d’actes délictueux susceptibles de les embarrasser : pour obtenir des contrats créateurs d’emplois ou des subsides internationales, ils doivent s’acquitter de commissions occultes, fermer les yeux sur certaines pratiques, abaisser le coût du travail et la protection sociale, tandis qu’au passage ils empochent également ce qu’on appelle les “rétro-commissions”, ou “pots de vin”. Pris dans cet engrenage, ils se doivent de cacher leurs méfaits aux regards du peuple, et au besoin faire voter des lois protégeant leur personne d’hypothétiques poursuites judiciaires.
Ces lois, cumulées avec celles imposées par les différents lobbies de la finance ou du commerce, finissent inévitablement par rendre impopulaire le chef de l’Etat, qui se trouve au bout du compte coincé dans ses propres malversations : ayant appauvri son peuple tout en s’étant enrichi personnellement, englué dans des affaires de corruption illégales et uniquement protégé par son statut, il ne peut décemment plus lâcher le pouvoir sans rien risquer. Perdu pour perdu, il commence à vouloir tricher aux élections, s’arroger les pleins pouvoirs ou augmenter la durée de son mandat.
Dans le cas de la Tunisie, la misère du peuple et le mépris des dirigeants ont fini par se voir, et atteindre un seuil critique au delà duquel un rapport de force est engagé : le gouvernement au pouvoir n’avait alors plus que le choix de partir, ou bien de se résigner au bain de sang. Le pouvoir ayant opté pour la seconde proposition, il ne lui restait plus qu’à gagner la bataille de l’image, et c’est ici qu’il a échoué.
Car c’était sans compter internet, avec lequel les choses ne sont plus aussi simples qu’autrefois : si les médias traditionnels continuent de reproduire les communiqués officiels, les “journalistes-citoyens” (c’est à dire n’importe qui) peuvent mettre ceux-ci en contradiction avec la réalité par la profusion de leurs témoignages. Il suffit d’un téléphone portable et d’une connexion internet, et les informations se transmettent, se répercutent, se développent.
C’est d’ailleurs à ce genre d’occasions qu’on comprend mieux l’intérêt que représente internet pour la contestation sociale, et surtout le danger qu’il fait courir aux dirigeants des autres “démocraties” du genre. Prompts à saluer la victoire du peuple une fois l’opinion publique informée, ils n’ont de cesse que de se prémunir en retour contre les dangers que représentent pour eux internet et les réseaux sociaux. Prompts à proposer l’aide sécuritaire au dirigeant démocrate d’hier, ils refusent aujourd’hui l’asile à un dictateur… nous démontrant ainsi leur volatilité, ainsi que leur volonté de ne pas écorner leur image. Prêts à user de la force pour lutter contre la contestation, ils se préparent aussi à l’empêcher de se diffuser, pour qu’on ne la voit ni grandir ni s’organiser.
Nous sommes donc désormais prévenus : on ne délogera pas les dirigeants corrompus de nos contrées occidentales aussi facilement qu’en Tunisie, et sans doute les mesures “sécuritaires” seront bientôt renforcées. L’appauvrissement généralisé des peuples, face à l’enrichissement scandaleux d’une petite minorité, commence à se voir partout ailleurs, et conduira bientôt à des émeutes violentes susceptibles de déboucher sur des mouvements de plus grande importance. Nos gouvernants le savent, et s’y préparent depuis déjà quelque temps.
Et il se pourrait qu’en ces occasions, et même si les masques tombent, la réponse des gouvernants soit à la mesure de leur corruption : plus elle sera grande, plus ils frapperont forts… mais moins cela se verra.
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Caleb Irri
http://calebirri.unblog.fr
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