Quand les grands manitous du design reprennent les mêmes incantations

La tartuferie du Design

Une esquisse afin de rétablir certains faits à propos de la pratiques du design

Chronique de Patrice-Hans Perrier

Telle une incantation, la promotion du design comme pratique à valeur ajoutée est reprise en boucle depuis près d’un quart de siècle. En effet, c’est dans le sillage du Rapport Picard – publié en 1986 – que des Instituts et des Observatoires du Design sont nés à Montréal, avec pour mission d’en faire la promotion auprès des décideurs. Le fameux rapport stipulait, entre autres, que le secteur du design représenterait un des sept axes prioritaires pour le développement économique de Montréal.

Les paliers de gouvernance supérieure seront mis à contribution pour aider la métropole du Québec à s’atteler à la tâche d’identifier des créneaux porteurs à l’intérieur de ce secteur et de favoriser des politiques de formation et de promotion susceptibles d’aider au démarrage d’entreprises en design. Mais, qu’est-ce que le design me direz-vous ?

Le site WikipédiA affirme qu’il y a aurait près de 40 000 praticiens en design au Québec. Toutes pratiques confondues. On serait tenté d’ajouter : toutes manipulations des chiffres confondues et … confondantes. Quand on sait qu’il y aurait autour de 3000 architecte membres de l’Ordre des Architectes du Québec (OAQ) et quelques milliers additionnels de décorateurs et de designers d’intérieur … on se demande d’où proviennent ces chiffres mirobolants !

Jean-Claude Poitras, designer d’intérieur reconverti en chroniqueur, affirme dans les pages du quotidien Le Devoir – édition du 26 mars 2011 – que le Québec manque de rayonnement international. Et, il répète les sempiternelles incantations prononcées par nos divas de la promotion du design depuis trois décennies. Poitras dénonce notre attitude de repliement sur nous-mêmes, cette tendance à «faire l’autruche et de se gratifier mutuellement en tentant d’ignorer l’évolution qui se manifeste partout ailleurs sur la planète».

Ici, on passe de l’incantation des bienfaits du design à l’exhortation à s’ouvrir aux marchés internationaux, à transcender notre culture et nos marchés locaux, perçus comme les causes de notre aliénation. Le principal intéressé en rajoute en affirmant que l’on ne peut plus se comparer à ce qui fait à l’international, puisque notre pratique du design baigne dans le marasme.

De quoi parle-t-on ?

Les habiles idéologues qui jonglent avec le concept fumeux de design affirment qu’il s’agirait de la pratique culturelle la plus importante au Québec. Ce secteur aurait un impact économique de l’ordre de 1,2 G $ par année. Encore une fois qu’il nous soit permis de questionner ces chiffres qui semblent tout droit sortis d’un chapeau de magicien.

Évidemment, les activités d’Ubi Soft (une entreprise française de recherche et production de jeux multimédia qui a un bureau de création à Montréal) ou l’impact de l’industrie de l’impression commerciale (pancartes électorales, dépliants d’annonces de fast-food, affiches publicitaires dans les pissotières, menus cartonnés dans les restaurants et j’en passe) pèsent gros dans la balance. On ne parle même pas des activités de firmes d’architectes qui ne font que de la surveillance de chantier, ou qui procèdent à la «normalisation» de devis et cahiers de charge de projets de développement immobilier en série.

Monsieur Poitras aura pris le soin de fournir la page couverture d’une édition de VOGUE qui met en scène un mannequin à l’accoutrement affreusement bariolé (on a l’habitude) qui exhibe les créations de deux designers d’origine danoise. Et, d’en profiter pour nous bassiner avec le «miracle du design danois», un petit pays qui aura compris – et on a bien assimilé l’incantation – l’importance de la «valeur ajoutée du design».

Notre directeur de conscience démarre sa chronique en stipulant que «lorsque nous causons design, que ce soit en mode, en déco, appareils électroniques, caméras, voitures, peu importe, les premiers pays qui s’imposent logiquement comme références incontournables sont bien sûr l’Italie, la France, l’Allemagne, le Japon et les États-Unis». La sémantique de ce discours est éloquente puisqu’il est question de causeries se rapportant au design. Et, c’est ici que le bât blesse.

Causes toujours mon lapin

Qu’est-ce que des pays comme la France, l’Allemagne ou les États-Unis ont en commun ? C’est bien simple, il s’agit invariablement de très grandes puissances industrielles – et d’anciens empires dans certains cas – qui ont profité de l’effort de guerre entre 1914 et 1945 pour se doter d’un complexe militaro-industriel et d’une structure de production basée sur le développement de marchés captifs. Hormis des économies domestiques prospères, ces grandes puissances ont – via les réseaux de marketing et de communication – imposé leur agenda en termes d’habitudes de consommation depuis plus d’un demi-siècle.

Quand vous allez faire un tour chez Ogilvy – la Mecque des vêtements consommés par la bourgeoisie indigène du Québec – il ne s’y trouve guère de créations québécoises, ou si peu. Idem dans les grandes surfaces où l’on vend des meubles et appareils domestiques de prestige. Où sont les créations québécoises ?

Un potentiel économique détourné

Il y a des institutions d’enseignement performantes au Québec, une structure de production réelle et des marchés à l’exportation qui nous auront permis de surnager depuis quelques décennies, évitant que notre économie domestique ne s’effondre. Mais, justement, qu’est-ce que l’on exporte hormis le bois d’œuvre, de l’eau embouteillée, des lingots d’aluminium, de l’électricité en vrac vendu à perte (voir MCN 21), des infirmières vers la Suisse, quelques chansonniers et des réclames pour attirer les touristes et les étudiants étrangers à Montréal ?

Telle une république bananière, notre «Belle Province» (qualificatif qui sied bien au discours sur le design) met ses routes, son électricité à prix modique, sa main-d’œuvre docile et son génie d’entremetteur au service des grandes multinationales qui lorgnent – comme à l’accoutumée – en direction de nos richesses naturelles.

D’ailleurs, on constate avec effroi que tout le réseau routier mis en place dans le cadre du «Plan Nord» ne visait pas à accommoder de nouveaux projets hydroélectriques, mais bien à préparer le terrain pour la prospection anticipée de nos gisements de minerais de fer et de pétrole …bien entendu on prendra – sans doute en considération – le «design» des panneaux signalétiques le long des routes en question pour nous hypnotiser toujours un peu plus.

Et, malgré la crise économique structurelle qui étrangle l’occident, on nous dit que le Québec réussit à tirer son épingle du jeu. Bien sûr qu’avec les investissements massifs d’argent frais dans la réfection des nos infrastructures routières, aqueuses, hospitalières et autres nous réussirons peut-être à dynamiser, à court termes, un marché économique éclopé. Et, avec toute une panoplie d’accords de libre échange, les multinationales se bousculent au portillon pour venir profiter de ce pactole inespéré.

En bref, tout en resserrant l’étau des contraintes budgétaires autour de la gorge des gagnes-petits, l’actuel gouvernement offre sur un plateau d’argent des appels d’offres qui permettront au Veolia et Suez-Environnement de ce monde de venir mettre à niveau nos usines d’épuration des eaux usées, de nous installer des compteurs d’eau et de gérer le tout en mode PPP le temps d’engranger la plus-value escomptée. Nous revenons à la case de départ (avant la Révolution tranquille) au lieu de profiter de la mise à niveau de nos infrastructures, du potentiel de nos hydrocarbures et des nouvelles sources d’énergie en voie de développement pour restructurer notre appareil de production.

Un appareil de production déficient

L’Allemagne des BMW ou Porche de ce monde dispose d’un imposant complexe industriel qui fut hérité de la gouvernance de Bismarck au XIXe siècle. L’Italie et la France pouvaient, depuis des lustres, compter sur les sédiments de l’époque préindustrielle. À l’instar du verre soufflé de l’île de Murano, à côté de Venise, ou des faïences de l’entreprise Haviland, à Limoges. Toutes pratiques d’un design – à mi-chemin entre l’artisanat et l’industrialisation naissante de la Renaissance – qui fut encadré et promu par l’état depuis des lustres.

Prenons la France, par exemple. Outre la parfumerie, le prêt-à-porter ou la création de mobilier, il s’agit d’une puissance intermédiaire qui aura profité – depuis le règne du Président Mitterrand – de ses grands chantiers de dessertes en transport en commun et de refonte de l’urbanisme pour coordonner des politiques de promotion du design.

Et, même en France, la partie est loin d’être gagnée face à d’autres pays plus pragmatiques et cohérents en termes d’arrimage du design à l’appareil de production. Nous avions rencontrée une pionnière de la diffusion et de la promotion du design en 2006. Anne-Marie Boutin, présidente de l’Agence pour la Promotion de la Création Induatrielle (APCI) nous confiait alors que le design ne parvenait toujours PAS à sortir de la férule des ingénieurs et des boîtes de marketing de l’Hexagone. Un constat qui n’a certainement pas changé depuis nos entretiens.

Comme au Québec – on se pince pour ne pas rêver – la principale intéressée admettait que, même si les écoles de design françaises formaient des cohortes de jeunes créateurs, les industriels et autres capitaines de l’entreprise privée auraient ENCORE et TOUJOURS de la difficulté à percevoir la valeur ajoutée à cette profession.

Alors, on serait tenté de poser la question qui tue : et si le design ne servait que de MAQUILLAGE pour faire vendre des produits fabriqués ailleurs ou des concepts de marketing ?

Mirages mortels

Les caravanes qui traversent le désert peuvent être confrontées à l’apparition de faux oasis, une forme de mirage qui affectera considérablement le moral des troupes. Cette métaphore illustre à merveille la traversée du désert des praticiens du design au Québec, mais tout autant celle des gens d’affaire et petits industriels qui rêvent d’arriver, enfin, à l’OASIS d’un complexe industriel réel irriguant les secteurs de sous-traitance et de services lui servant d’appendice. Et, je ne parle que de design industriel, ici.

Toutefois, le discours sur le design, les politiques de promotion du design, les sempiternels concours où se sont toujours les mêmes firmes et créateurs qui sont récompensés et l’autisme des grands décideurs économiques font en sorte de générer des mirages qui auront contribué à saboter les efforts de plusieurs générations.

Jean-Claude Poitras en rajoute encore une tranche en affirmant que «l’ambitieux projet de faire de Montréal un véritable carrefour international du design en 2017 pourrait s’avérer un catalyseur d’énergie susceptible de renverser l’immobilisme ambiant». Et, d’allonger la sauce en nous prévenant que le design devrait voler au secours du tourisme et du développement des régions, des secteurs prisonniers de notre vision arriérée des grands espaces et de la nature vécus dans leur plus simple appareil.

Tout cela, ça va de soi, pour attirer touristes et investisseurs et nous mettre, enfin, sur la CARTE des grandes destinations «world class».

Il ne servira strictement à RIEN que Montréal soit consacrée «métropole internationale du design», que nos restaurants et autres relais d’un hédonisme destiné à satisfaire l’hyperclasse prennent du galon et que quelques touristes fortunés débarquent au centre-ville de notre métropole afin de réaliser que tout cela est une entreprise en carton pâte. Point à la ligne.

Un carrefour stratégique

Le Québec est devant un carrefour stratégique qu’il ne peut d’aucune façon manquer. Il s’agit de capitaliser sur la décennie qui s’en vient – si les capacités de financement ne viennent pas à se tarir en raison de la crise économique – afin de profiter de la remise à niveau de nos infrastructures de base et de la prospection des gisements anticipés de notre sous-sol et des nouvelles énergies vertes pour relancer l’économie locale. Ceci étant correctement enclenché, les designers pourront tirer parti de cette décennie critique pour répondre à des appels d’offres qui ne seront pas truqués ou pervertis par la dynamique actuelle.

Il faut poser la carte de cette traversée du désert à plat sur la table de la réalité. Et, cesser de prêter l’oreille à l’appel des chantres de la rectitude du design. La reprise économique et le redéploiement de nos régions comporteront leurs lots d’opportunités gagnantes si nous faisons les bons choix stratégiques. La souveraineté sur nos richesses et le développement de notre territoire devraient permettre d’irriguer, par voie de capillarité, la pratique du design. Car, faut-il le rappeler, le design est une pratique et non pas une industrie.

Et, par voie de conséquence, il faudra bien aménager des parcs, des écoles, des chantiers piétonniers et des pistes cyclables, manufacturer des bancs publics et des luminaires, sans oublier tout la dimension de l’immotique par exemple. Et, les entreprises de production de biens et services auront bien besoin des professionnels du design pour leur mise en marché.

Mais, tout cela sera possible quand nous mettrons fin à cette lanterne magique – entre les mains de quelques opérateurs montréalais – qui nous propose un miroir aux alouettes ne faisant que perpétuer notre errance. Et, par voie de conséquence, notre servitude.

Squared

Patrice-Hans Perrier181 articles

  • 202 867

Patrice-Hans Perrier est un journaliste indépendant qui s’est penché sur les Affaires municipales et le développement urbain durant une bonne quinzaine d’années. De fil en aiguille, il a acquis une maîtrise fine de l’analyse critique et un style littéraire qui se bonifie avec le temps. Disciple des penseurs de la lucidité – à l’instar des Guy Debord ou Hannah Arendt – Perrier se passionne pour l’éthique et tout ce qui concerne la culture étudiée de manière non-réductionniste. Dénonçant le marxisme culturel et ses avatars, Patrice-Hans Perrier s’attaque à produire une critique qui ambitionne de stimuler la pensée critique de ses lecteurs. Passant du journalisme à l’analyse critique, l’auteur québécois fourbit ses armes avant de passer au genre littéraire. De nouvelles avenues s’ouvriront bientôt et, d’ici là, vous pouvez le retrouver sur son propre site : patricehansperrier.wordpress.com





Laissez un commentaire



2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    6 décembre 2011

    Je trouve le site internet tres passionnant. Je pense que je vais reexaminer quand j'aurais le temps pour consulter vos revue.


    jouer toute de suite sur le au roulette casino francais

  • L'engagé Répondre

    26 mars 2011

    Un texte dense et fort instructif, à relire!