La surinterprétation des sondages d'opinion

le problème principal se trouve dans le fait que l'échantillon est autosélectionné, c'est-à-dire que les sondés ont eux-mêmes choisi de faire partie d'une liste d'envoi

Sondages




GUILLAUME MAROIS Doctorant en démographie à l'INRS
Visiblement, les programmes de communication et journalisme des universités québécoises devraient songer à offrir un cours de statistique obligatoire aux étudiants. Avec les interprétations du dernier sondage CROP-Le Soleil-La Presse portant sur le conflit étudiant, nous voyons cette lacune à grand jour.
«Sondage favorable à la loi spéciale», titrait un article du 20 mai. «Les Québécois en faveur de la ligne dure», pouvait-on lire dans un autre du 19 mai. Or, ces titres sont trompeurs, voire mensongers: ce n'est pas ce que le sondage révèle. La chroniqueuse Marie-Claude Lortie, s'étonnant du résultat du sondage, se demandait qui sont ces gens qui «trouvent que cette loi est une bonne idée». À juste titre, il faut se poser des questions.
Il convient de faire une mise au point sur la méthodologie: l'échantillon n'étant pas probabiliste, celui-ci n'est pas représentatif de la population. Certes, les résultats sont pondérés selon l'âge et le sexe, mais le problème principal se trouve dans le fait que l'échantillon est autosélectionné, c'est-à-dire que les sondés ont eux-mêmes choisi de faire partie d'une liste d'envoi.
Est-ce que les gens qui ont fait ces démarches pour répondre à des sondages en ligne ont les mêmes opinions que les autres? Parfois, ça peut être le cas, mais d'autres fois, on peut en douter.
Pour s'en convaincre, peut-être doit-on rappeler que le bureau de Jean Charest s'est déjà fait prendre, en 2011, à inciter ses contacts à répondre à un sondage en ligne pour justement, biaiser les résultats de ce sondage et les rendre favorables au gouvernement. Ce genre de manipulation des résultats par des groupes d'individus à des fins partisanes ne peut se faire avec un échantillon probabiliste.
Pour des raisons techniques et matérielles, nous pouvons néanmoins comprendre les firmes de sondage d'utiliser ce genre de méthode. Cela dit, il faut alors apporter toutes les nuances nécessaires aux résultats obtenus et surtout, ne pas les utiliser de manière à influencer l'opinion publique.
Dans le débat sur les droits de scolarité, plusieurs justifient les actions du gouvernement en disant que la population appuie la hausse des droits de scolarité. Cette idée est tirée des résultats de sondage à échantillon autosélectionné (donc non représentatif de la population).
Or, le seul sondage représentatif de la population sur la question des droits de scolarité, effectué par la firme Harris-Decima, montre des résultats complètement à l'opposé: la majorité des Québécois serait pour le gel ou la diminution des frais. La différence entre les résultats d'un sondage ayant un échantillon probabiliste et un autre ayant un échantillon non probabiliste peut donc parfois être importante.
L'interprétation des résultats des sondages non probabilistes doit être faite avec une très grande prudence et, surtout, sans fin partisane. Ces principes de rigueur intellectuelle semblent avoir été bafoués récemment.
Comment peut-on conclure, comme c'est le cas de plusieurs articles reprenant les résultats du sondage sur la loi spéciale, que la population appuie massivement celle-ci, alors que le contenu de cette fameuse loi spéciale n'était même pas encore connu au moment du sondage?
D'une part, les personnes sondées ne représentent pas «la population» et d'autre part, elles ne pouvaient pas se prononcer objectivement sur cette loi, puisque le contenu de celle-ci n'était alors pas connu!
Une interprétation plus nuancée et objective aurait dit qu'une certaine partie de la population souhaite que le gouvernement réagisse. Mais évidemment, ça serait moins sensationnaliste. Manque de rigueur ou malhonnêteté partisane?
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L'auteur est doctorant en démographie à l'Institut national de la recherche scientifique. Il est coauteur du livre Le remède imaginaire: pourquoi l'immigration ne sauvera pas le Québec.


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