RAPPEL
1- L'Histoire, cette coquette
Tout au long d'un ahanement antérieur de mes modestes méninges, j'ai tenté de rendre prospectif un certain rétroviseur découvert dans notre caverne originelle et que ses découvreurs ont baptisé l'australopithecus Sediba. Quand la politique est appelée à se regarder dans le miroir parlant qu'on appelle un fossile, quand un crâne vieux de cent mille générations se révèle un réflecteur dans lequel une vieille coquette, qu'on appelle l'histoire, contemple ses charmes toujours changeants et à jamais mémorables, ce théâtre nous convie à placer notre époque sous les griffes et les crocs des millénaires.
2 - Les verrouillages du crâne simio-humain
Mais, dans le même temps, je suggérais au lecteur supposé bienveillant de se fabriquer une clé exclusivement conçue pour forcer la serrure que les paléo anthropologues ont baptisée une conque osseuse, et j'insinuais que le secret du verrouillage de notre crâne n'est pas aussi difficile à percer qu'on le croit. Car, me disais-je, on fera immanquablement sauter le cadenas si l'on y décèle un défaut de fabrication constant et universellement répété. Or, les ingénieurs de nos cerveaux sont des logiciens distraits. Sans cesse les vices cachés de leurs constructions grippent leurs serrures et les livrent à la rouille. Aussi recommandais-je aux artisans de Clio de ne quitter l'établi qu'après un long examen des pièces, rouages et ressorts de leurs moteurs du temps.
3 - Les ingénieurs des cerveaux et les maladies de l'Histoire
Bien plus: je signalais à leur attention que les diagnostics des maladies de l'histoire renvoient tous à des maladresses dans la conception même des serrures. Comment ne pas remarquer que l'on ne saurait à la fois décoder les significations que revêt l'évolution de notre os frontal et supposer que les aventures de notre squelette courant par monts et par vaux auraient pris fin sous Périclès, ce qui nous interdirait d'observer les modifications de notre cervelle dont notre histoire et notre politique témoignent siècle après siècle. Or, l'espèce de logique bancale dont nous faisons usage aujourd'hui nous rend si branlants et si cahotants que notre cheminement aux côtés de Chronos nous renvoie au fabuliste du pot de terre et du pot de fer.
Aussi le monde entier court-il à toutes jambes, à tombeau ouvert, à bride abattue ou à fond de train en direction d'un abîme dont la profondeur glace d'effroi les cochers. Les contrefaçons de la logique la plus élémentaire auxquelles s'exercent les serruriers de notre histoire nous crèvent à tous les yeux : on ne conduit pas la planète des songes à un train d'enfer, on ne transporte pas un vieux peuples et ses pesantes écritures sur le territoire d'une autre divinité, on n'engage pas les bataillons serrés de la terre et du ciel dans une guerre à mort entre les dieux, les langues et les voix.
4 - Le pot de terre de la démocratie
Et maintenant l'australopithecus Sediba se balance entre deux branches, et maintenant nos ancêtres et nous-mêmes courons tout droit vers un abîme dans lequel nous ne savons à quelle heure nous y tomberons. Et le pot de terre ne cesse de se dire: "Jamais je ne casserai le verdict de fer du tribunal de 1947, qui a fait dévaler sur les labours et les champs des habitants de la Palestine une nation dispersée depuis deux mille ans, et jamais je n'arrêterai l'autre pot de fer, celui dont la logique non moins invincible lève deux armées immenses et invincibles, celle des démocraties porteuses du droit et de la justice et celle de leur nouvel allié, le printemps arabe, qui font franchir à gué le fleuve des siècle au monde musulman tout entier. Comment des centaines de millions de disciples d'Allah laisseraient-ils écraser leurs frères d'armes sans broncher?"
5 - Les paléo-anthropologues prospectifs
C'est le moment de faire débarquer dans la géopolitique et dans la science historique la réflexion des paléo-anthropologues prospectifs, ces peseurs de l'encéphale des évadés actuels de la zoologie. Car l'impasse mondiale dans laquelle la condition simiohumaine se trouve engagée est devenue de nature exclusivement psychobiologique, et cela du seul fait que l'exutoire suicidaire de la guerre s'est changé en goulot d'étranglement ou en garrot : les auto-exterminations partielles d'autrefois ne sont plus de mise quand une espèce animale s'empêtre dans ses foudres. Le combat contre la folie de 1947 exigerait le recours aux armes classiques, mais le jouet de l'apocalypse est tombé entre les mains expertes d'Israël, ce qui exclut toute "solution" du conflit sur un champ de bataille.
6 - Le retour à La Fontaine
La nature a enfanté une bête semi cérébrale et astucieusement volubile. A ce titre, elle a donc appris qu'elle ne triomphera plus de ses congénères à user d'une musculature dérisoire, parce que ses ossatures ne sont plus des outils à la hauteur du véritable squelette qui inspire sa politique Du coup, cette bête se voit conviée à demander à son aurige, l'évolution de son espèce, de lui faire subir une mutation de sa boîte crânienne: il me faut trouver, se dit-elle des moyens de faire sauter la serrure de mes siècles ; et elle se trouve conviée soit à jeter à la poubelle les valeurs communes aux mythologies sacrées et aux démocraties des "droits de l'homme", comme on dit, soit à faire germer des élites d'un type nouveau au sein des classes dirigeantes corrompues et vieillies d'aujourd'hui; car seule une armature cérébrale d'un type nouveau mettra en place un ordre mondial plus équitable que le précédent. Alors le pot de terre se cherche des alliés; sinon, se dit-il, je vole en éclats . "Ne nous associons qu'à nos égaux", nous dit notre éminent conseiller politique du XVIIe siècle, le bon La Fontaine.
7 - Le hiatus
Le vide politique auquel la planète actuelle se trouve livrée illustre cette difficulté à la fois souterraine et visible au grand jour. Exemple : M. Mahmoud Abbas a présenté le peuple palestinien en plaignant dans l'arène du monde. Israël lui a aussitôt répondu par l'implantation à Jérusalem Est de onze centaines de nouveaux domiciles à l'usage exclusif des juifs et par la poursuite insolente de la conquête coloniale de la Cisjordanie.
Du coup M. Barack Obama et Mme Ashton ont exprimé de vagues "regrets"; et , dès le lendemain, la Maison Blanche a demandé aux "humiliés et offensés" comme dit Dostoïevski, d'engager une fois de plus des négociations fictives avec un cambrioleur à nouveau et fort expressément autorisé par une communauté internationale moralement disqualifiée à poursuivre ses effractions d'une main ferme. Un hiatus de cette taille entre, d'un côté, une classe dirigeante définitivement hors jeu dans l'ordre de l'éthique comme dans celui de la politique et, de l'autre, une classe ascendante encore en gésine dans le monde musulman et sur tout le globe terrestre, un tel hiatus, dis-je, illustre une transition psychobiologique entre une humanité semi animale et une humanité un peu plus civilisée.
J'ai exposé les 25 septembre et 2 octobre les obstacles que rencontre ce voyage. Il importe maintenant de préciser les contours psychiques et cérébraux de la classe politique mondiale de demain, ce qui nous reconduira à la pesée anthropologique précédente, qui portait sur la nature et le contenu du mythe de la souveraineté des peuples.
*
8 - Le meurtre originel et la démocratie
Le droit des peuples de renverser leur Etat de leurs propres mains se situe au fondement de la philosophie du bien public que la Révolution française a inaugurée. Pourquoi Saint Just et Robespierre ont-ils jugé que la légitimité politique d'une nation de citoyens instruits et devenus pensants à l'école des philosophes anti-théocratique du siècle précédent passerait inévitablement par la conquête de la cohérence cérébrale propre à tout gouvernement terrestre, donc par l'accession de leurs élites au statut et au rang d'une nation de logiciens rigoureux? Pourquoi ont-ils jugé nécessaire l'anéantissement préalable de la légitimation théologique antérieure du pouvoir, celle qui se fondait sur le ficellement indéfectible de la royauté à une cosmologie mythique?
C'est qu'un droit international consolidé par un créateur onirique et qui donnerait néanmoins à des élites prétendument libérées de la fable sacrée une assise mentale à l'écart du ciel fonderait des Etats dichotomisés et indignes de la dignité intellectuelle nouvelle dont ils se réclameraient du bout des lèvres seulement. Car une politique qui reposerait, le sachant et le voulant, sur la honte de présenter humblement à l'idole de l'endroit le tribut d'un congénère profitablement trucidé sur ses autels, une telle politique saurait qu'une démocratie fondée sur ce genre de profit se donnerait pour assiette et pour modèle un monde divinisé à l'école de son propre déshonneur, tant moral que cérébral - le déshonneur de présenter l'offrande du corps ensanglanté d'un congénère sur l'offertoire des sacrifices rémunérés dont les siècles primitifs nous ont laissé l'héritage.
Puisque jamais une démocratie auto-glorifiée par la sainte médiation d'un assassinat cultuel ne deviendra réellement pensante, et puisque seul un suffrage universel légitimé par une raison à la fois lucide et civilisatrice se donnera le sceptre et l' auréole du respect des droits dont l'esprit critique revendique depuis vingt-cinq siècles la couronne, il en résultera qu'une raison frappée de l'incapacité de peser les neurones du genre simiohumain sur la balance des rescapés de la zoologie demeurera à jamais impuissante à arracher un jour la démocratie des mains des exorcistes et des magiciens.
9 - Un précurseur de l'autopsie des idoles
On me dira que les théoriciens de la Révolution française ne disposaient pas encore d'une connaissance anthropologique, psychanalytique, historique et généalogique des sacrifices et des ressorts politiques des idoles; on me dira que Robespierre était demeuré à la seule école de Voltaire, le premier ridiculisateur des dieux, selon lequel les hommes étaient censés avoir déformé un "vrai Dieu" et l'avaient sottement peint en personnage jaloux, avide, vengeur et cruel, mais toujours exclusivement à leur propre image. Et pourtant les philosophes de 1789 étaient déjà de bien plus profonds peseurs du sacré que les Robespierre et les Saint Just. Ils savaient, eux, qu'au XVIIe siècle déjà, un La Fontaine était allé tout droit à une autre profondeur de l'analyse - à savoir, que les idoles ne sont riches que des trésors dont on les a remplies: " A la fin se fâchant de n'en obtenir rien,
_ Il vous prend un levier, met en pièces l'idole,
_ Le trouve rempli d'or."
_ Le païen et l'idole de bois. (Au XVIIe siècle, le masculin était bien souvent une licence poétique nécessaire pour que l'hémistiche eût six pieds)
De plus, dans la fable L'âne et les reliques, comment se fait-il qu'au siècle de Bossuet, le fabuliste traite d'idole le dieu des chrétiens dont Maître Aliboron porte les saintes reliques? Un baudet chargé de reliques
_ S'imagina qu'on l'adorait (...)
_ Ce n'est pas vous,
_ C'est l'idole à qui cet honneur se rend.
Comment une volonté populaire demeurée bipolaire, mais que mondialiserait une raison d'avant-garde légitimerait-elle l'autorité schizoïde qu'exerçait sur les encéphales de 1789 un suffrage universel demeuré ignorant et dont les prêtres bifides d'un Dieu sacrificateur tenaient les rênes en coulisses?
10 - Une nouvelle fusée mentale
Deux siècles après la prise de la Bastille, la planète des boîtes osseuses de la démocratie a pris un nouvel élan cérébral, parce que notre civilisation est appelée à honorer le rendez-vous philosophique qu'elle a pris à partir du XVIIIe siècle avec la logique interne qui commande un "esprit de raison" nouveau, celui qui sous-tendait encore des principes démocratiques abusivement scolarisés et demeurés superficiels. Mais la vocation cérébrale en germe qui commande désormais nos méninges occupe secrètement le champ entier de la géopolitique. Cette raison-là se demande si le pot de terre de l'intelligence trouvera son moteur nouveau dans une Renaissance arabe demeurée virtuelle, mais qui déplacera rapidement le centre de gravité actuellement régnant entre les trois grands empires mondiaux de notre temps, l'Amérique, l'Europe et l'Asie. Je crois que l'univers musulman, deviendra bien plus tôt qu'on ne pense la fusée mentale dont le troisième étage ne sera autre que l'initiation progressive, donc lente, des peuples semi intellectualisés du monde entier à une connaissance lucide des véritables fondements anthropologiques de la politique et de l'histoire.
11 - Le quintette des souverains du "Bien"
Depuis 1945, elle ne règne qu'en sous-main, la souveraineté de type théo-régalien que les démocraties partiellement laïcisées ont centralisée au profit d'un inconscient religieux seulement grippé, mais non terrassé. A ce titre, ce type d'hégémonie s'exerce au bénéfice de cinq grandes nations tenues pour séraphiques à l'école de leur catéchèse officielle, les Etats-Unis d'Amérique, la Russie, la Chine, la France et l'Angleterre, donc au nom des vainqueurs de la guerre de 1939 à 1945. Mais on n'a jamais vu un quintette de souverains du "Bien" auréolés de l'éthique dominante du monde se partager le trophée d'une suprématie de type angélique. La victoire "spirituelle" de la "Liberté démocratique" a conduit les Etats-Unis à exercer le pouvoir sans partage de rejeter dans les limbes toute initiative politique que l'ensemble des peuples de la terre prétendrait soustraire à l'autorité morale solitaire d'un pédagogue privilégié du rêve d'un "salut" des modernes.
Il a donc fallu attendre que la France osât menacer le monopole de la rédemption démocratique qu'exerçait la nouvelle Rome - notre pays n'a fait usage qu'en 2003 de son droit de veto au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Comment ne pas s'opposer, seule au besoin, à la volonté ruineuse de "l'éducateur du globe terrestre" d'envahir l'Irak et de s'emparer iréniquement, il va sans dire, de ses gigantesques réserves de pétrole sous les prétextes généreux allégués de tous temps par les empires ? La sainteté politique n'est pas une invention chrétienne: la démocratie athénienne brandissait déjà son messianisme de la Liberté face à Lacédémone la guerrière et, dans la bouche de Périclès, la ville de Pallas était la "pédagogue de toutes les cités".
Naturellement, c'est sur le modèle le plus expéditif de la religion démocratique moderne que Washington a rejeté avec colère l' hérésie française; il lui a suffi de passer outre aux visées doctrinales d'un comparse gaulois ambitieux de se montrer quelquefois incommode, mais d'un poids politique qui ne méritait pas d'égards particuliers. Tout cela demeurait conforme à un exercice orthodoxe de la souveraineté de type régalien et chrétien établie par le traité de 1648. Puis la Russie et la Chine ont tenté à leur tour, mais timidement et seulement dans les marges de la dogmatique démocratique, d'user, eux aussi, du droit de veto attaché à titre tout formel aux souverains négligeables des quatre Versailles subordonnés depuis six décennies à celui du Louis XIV des damnations d'aujourd'hui.
12 - Le naufrage du mythe atomique et le nucléaire biblique d'Israël
D'un côté, la guerre atomique a nécessairement perdu toute crédibilité militaire, puisque, d'un côté, elle pulvérise sur la terre et volatilise dans les airs le vocabulaire dont usaient les conflits armés depuis Homère, notamment la notion antédiluvienne de "champ de bataille"; de l'autre, on voit une démocratie fière de s'appuyer sur l'opinion mondiale, mais demeurée embryonnaire, se dresser non point face aux cinq membres du Conseil de Sécurité, mais du seul trône des Etats-Unis, et cela nullement pour le motif que cet empire domine effectivement le monde depuis 1945, mais parce que l'Amérique a quitté les plus hautes régions de l'atmosphère pour tomber entre les lourdes mains d'Israël, qui use, en fait, de l'omnipotence biblique de ses battoirs pour interdire toute légitimation de sa poussière qu' un Etat palestinien viendrait à ambitionner. Ces prémisses étant posées, voyons s'il devient possible d'observer de près les pesanteurs simio-anthropologico-théologiques du sacré qui pilotent les formes religieuses actuelles de la politique.
13 - Le biblisme démocratique
J'observais plus haut (voir - Il était une fois ... 1789 (1) - La souveraineté des peuples et la Bastille des Etats, 2 octobre 2011 ) qu'en 1654 Louis XIV, alors âgé de seize ans, montait sur un trône garanti par la souveraineté d'un Dieu belliciste par nature, puisque non seulement le roi se trouvait légitimé d'avance de se livrer aux guerres de son choix pour la gloire du royaume du ciel qui dédoublait le sien, mais autorisé, de surcroît, à valider toute guerre au profit d'une monarchie spécularisée par son assise dans le droit divin. Quand une théologie gémellise une pratique politique et reproduit dans le ciel la grandeur des trônes attachés à la glèbe de notre astéroïde, elle dépose sur la tête des rois la couronne sanglante d'une légitimité pieusement liée à une cosmologie biblique. La reduplication du pouvoir dans le sacré renforce encore le tribut des dévotions sacrificielles: on proclame que toute autorité terrestre procède nécessairement des autels du Dieu des immolations - omnis auctoritas a Deo.
Du coup, la connaissance rationnelle des sources anthropologiques d'une mythologie des sacrifices héritée du XVIIe siècle et l'analyse des causes de la pérennisation des offrandes au cœur d'une démocratie mondiale désacerdotalisée en apparence, soulèvent de conserve la question de savoir si les progrès dans le déchiffrage et le décryptage de l'inconscient qui pilote les offertoires et qui commande la politique des propitiatoires des peuples et des nations, si ce décodage, dis-je, peut conduire à une démythification argumentée des fruits, religieux et théologiques à leur tour que sécrètent maintenant les autels du mythe de la Liberté. Car celui-ci se trouve en voie d'enfantement de son biblisme verbal.
14 - La démocratie du concept-roi et l'incarnation du mythe de la Liberté
La structure politique des dynasties de droit divin se trouvait dûment flanquée d'un Christ expressément délégué à l'incarnation du ciel dans un temporel livré aux sacrifices de l'autel. L'Etat chrétien se voyait donc dûment légitimé sur la scène internationale par un fidéicommis du corps sacral du roi. Le pédigrée doctrinal des Etats bénéficiaires d'une révélation de ce modèle les faisait bénéficier en retour d'une substantification assurée de la foi, laquelle les chosifiait d'en haut et à coup sûr. Leur concrétisation théologique était nécessairement de nature à rendre le roi physiquement accessible à ses sujets: l'Etat christifié figurait le médiateur à la fois charnel et transcendantal chargé d'y veiller. Mais il se trouve qu'une démocratie terrestre et célestifiée à l'école d'un concept biface à son tour et qui confesse son sacre biphasé à l'école de ses idéalités décharnées, une telle démocratie, dis-je, s'enracine sans seulement s'en douter dans un capital catéchétique discrètement proclamé bipolaire, puisque la liberté en tant que telle n'a pas de corps, que je sache.
Une espèce dichotomisée de la sorte se trouve placée dans un état de dépendance onirique à l'égard du langage bifide que véhiculent les démocraties du concept-roi. Le salut abstrait est arrivé. Le verbe de la Liberté lui sert de médiateur "idéal". Mais qu'en est-il maintenant de la psychobiologie qui inspire le récit eschatologique, celui de la "délivrance" à la fois mythique et charnelle que charrie la nouvelle annonciation évangélique, celle du "rachat" par l'intercession de la nouvelle parole sacrée que profère maintenant la déesse "Liberté"? On voit que le décodage anthropologique des théologies de l'incarnation nous fait débarquer dans la politique mondiale des démocraties.
15 - La sacralisation de la justice laïque et la pourpre sacerdotale des idéalités
Pour comprendre ces intronisations verbales successives et leur emboîtement sur le modèle de l'enchâssement des poupées russes les unes dans les autres, il suffit d'observer l'intensité d'un phénomène religieux de remplacement, celui de la sacralisation collective qui s'est aussitôt et subrepticement focalisée sur les instruments d'une seigneurerie sacerdotale substitutive de celle de l'Eglise: l'appareil judiciaire des démocraties laïques parade dans le cérémonial et sous le sceptre d'un habillage clérical. L'étalage de la majesté de cour de Thémis a simplement succédé à la glorification sur la terre d'un Dieu censé souverainement juste, sage, omniscient et omnipotent, mais dont les châtiments auto-sanctificateurs se voulaient effroyables sous la terre. Si la démocratie d'apparat persévère à habiller ses procureurs et ses juges de la pourpre de ses idéalités, c'est parce qu'il s'agit, en réalité, du clergé schizoïde à son tour d'une Eglise aussi solennellement revêtue que la précédente de ses ailes d'ange dans le ciel et de son or sur la terre. En Angleterre, plus les Bridoison protestants montent en grade, plus ils se présentent auréolés et coiffés des perruques de la monarchie; mais, en France également, chaque automne permet d'assister à la rentrée mitrée de Thémis.
16 - La gangrène de l'appareil judiciaire
C'est sous les yeux d'un peuple censé être devenu le nouveau souverain d'un monde séraphique et terrestre confondus que la presse quotidienne étale maintenant au grand jour la prévarication tenace qui gangrène les organes de l'appareil judiciaire. Celui-ci est tombé entre les mains de plénipotentiaires porteurs de chasubles noires et blanches. La démocratie pseudo-évangélisée se présente sur la scène sous la parure officielle de ses idéalités vaporeuses; mais, en coulisse, cette "victime" aux allures de crucifiée de la démocratie des justes se révèle l' ardente demanderesse du cancer même qui la ronge; et c'est le plus résolument du monde que cette fausse affligée revendique la sainte dépendance de toute sa hiérarchie para-ecclésiale à l'égard d'un pouvoir d'Etat secrètement auréolé de vertus sacerdotales.
Si toute la magistrature se met dévotement au service des chamarrures du faux ciel des démocraties, c'est parce que l'appareil judiciaire est demeuré une Curie de la tête aux pieds. Car les peuples éprouvent le besoin inné de se blottir sous l'aile doublement protectrice d'un pouvoir judiciaire subrepticement copié sur celui de la royauté glorieusement célestifiée d'autrefois et d'un royaume des lois fier de se trouver aussi solidement ancré à la terre que la monarchie l'était au trône du Dieu mort.
Le magistrat des nuages de la justice démocratique jouit du titre envié de propriétaire de l'Eglise qu'il est saintement devenu à lui-même: une justice présupposée idéale dans le ciel de son propre vocabulaire, donc tenue pour transcendante aux affaires triviales de ce bas monde, se proclame non moins immanente à une démocratie auto-spiritualisée à l'école de ses idéaux qu'autrefois une monarchie pieusement calquée sur le sceptre justicier du créateur de l'univers. Aux yeux des simianthropologues, les contrefaçons de la justice céleste qu'illustrent les démocraties faussement séraphiques témoignent de ce que l'humanité appartient à une espèce dont le cerveau dédoublé a besoin de se regarder dans deux miroirs, l'un terrestre, l'autre ascensionnel.
17 - Le nouveau clergé
Aussi la France des Rabelais, des La Fontaine, des Molière, des Racine, des Paul-Louis Courrier, des Gavarni a-t-elle inscrit dans le code pénal du ciel de la Liberté l'interdiction de publier tout écrit qui profanerait un idéal réputé non moins au-dessus de toute contamination terrestre que celui d'une Eglise autrefois auto proclamée une "société parfaite". L'interdit qui frappe les atteintes à la pureté de la justice démocratique n'est tombé en désuétude dans notre pays que depuis quelques années, mais seulement à titre fictif et à la suite d'une déclaration sacrilège et sans conséquences juridique du Président de la cour de cassation de la République de l'époque. C'est dire que le péché de profanation n'a nullement été retiré du code pénal schizoïde de la Ve République par un motu proprio aussi estimable qu'isolé, de sorte qu'en réalité, le délit de démontrer publiquement l'arbitraire, même le plus évident, de telle ou telle décision de justice tombe encore sous le coup de la loi : les magistrats du siège demeurent légitimés à l'appliquer à la lettre et leur bon plaisir demeure inattaquable en droit.
On peut se demander quelle est la portée juridique de la souveraineté d'un peuple dont le civisme se trouve enchaîné aux verdicts de ses tribunaux au point que son appareil de la justice peut le traiter en délinquant et l'incarcérer s'il prend le risque de contester publiquement l'arbitraire de ses Grippeminauds et de ses Raminagrobis. Mais la pithécanthropologie enseigne que tout pouvoir simiohumain est copié sur celui d'un ciel divisé à son tour entre les tortures éternelles des pécheurs sous la terre et l'immortalité au grand air du paradis.
18 - L'asthénie de la souveraineté des peuples
A cet égard, le sort du peuple palestinien sous le soleil de la démocratie mondiale présente à la pesée anthropologique du traité de 1648 un thermomètre des relations fiévreuses que le droit international public entretient avec la géopolitique actuelle. Car, d'un côté, on assiste à la naissance, sur toute la surface du globe, d'une génération indignée, mais encore privée de boussole. Jamais on n'avait vu la jeunesse se soulever à l'échelle planétaire et se rassembler sur les cinq continents pour la défense de ses idéaux démocratiques partout bafoués. Mais, dans le même temps, peut-on soutenir que les peuples jouissent d'une liberté plus grande qu'en 1648 et qu'ils se trouvent désormais en mesure de faire reconnaître leur souveraineté bien davantage que sous la royauté s'ils n'ont pas encore en mains la balance à peser leurs droits? En vérité, ni le peuple palestinien, ni les peuples européens ne disposent encore de la maturité intellectuelle et politique qui seule les porterait à la hauteur des responsabilités anthropologiques que notre astéroïde attend d'eux.
19 - L'avenir politique de la démocratie
Si, des conseillers municipaux aux ministres de la République en passant par le corps législatif des députés et des sénateurs, toute la classe politique s'était levée d'un bond pour crier sa colère au spectacle d'un Nicolas Sarkozy ambitieux de prendre à son seul profit électoral l'image de la France en otage sur la scène internationale, elle lui aurait crié : "Clowneries et pitreries ne sont pas les mamelles de la politique étrangères de la nation." Mais si nos gouvernants n'ont pas la carte du monde sous les yeux, comment voulez-vous que les simples citoyens, eux, coiffent l'ignorance de leurs élus de toute la hauteur de leur science du pilotage de la planète?
C'est dire que la Révolution française ne découvre qu'aujourd'hui sa vocation politique mondiale. Ou bien un suffrage universel instruit donnera son sens véritable au fondement même de la démocratie depuis Périclès, qui n'est autre que de meubler la souveraineté des peuples de son véritable contenu, ou bien on verra les pantalonnades et les simagrées d'Erevan et de Tbilissi rédiger la tragédie de l'épaisse léthargie que les élites d'aujourd'hui et les masses se partagent.
La semaine prochaine, j'en viendrai à la question de Lénine: "Que faire?"
***
Courrier des lecteurs
Un lecteur m'approuve de soutenir qu'une "anthropologie évolutionniste" comme celle à laquelle s'applique l'Institut Max Planck de Leipzig devra se soumettre de surcroît à une réflexion sans cesse en devenir à son tour sur l'évolution des méthodes mêmes d'interprétation de l'évolutionnisme; mais il me reproche de n'en rien faire: "Vous n'étudiez pas l'évolution des méthodes d'interprétation de l'évolutionnisme, m'écrit-il, vous vous contentez d'étendre progressivement le champ d'application de la grille de lecture de type évolutionniste actuellement en usage."
Cette remarque démasque un malentendu intéressant à décrypter, parce que, dans les sciences expérimentales, l'extension continue du champ d'un savoir rationnel se révèle parallèle à l'évolution permanente des méthodes d'exploration d'un terrain en voie d'élargissement. Exemple: au XVIe siècle, l'audace de soumettre les textes dits révélés à un examen philologique sacrilège par définition s'est aussitôt heurtée à une violente résistance identitaire de l'interprétation fondée sur le sacré dont usait nécessairement l'orthodoxie religieuse de l'époque. Un Dieu installé dans le surnaturel avait dicté mot à mot à ses prophètes les écrits dont il entendait faire connaître la teneur à sa créature. Comment ce personnage ferait-il des fautes de grammaire et de syntaxe à la pelle? Et comment renverrait-on cet illettré sur les bancs de l'école? Erasme répondait à ses pieux contradicteurs que Dieu nourrissait le dessein de mettre sous une crue lumière l'ignorance des sténographes de la grâce.
Mais ensuite, l'Occident dévot n'a pas osé se demander ce qu'il en est du génie, de la tournure d'esprit et de la grandeur littéraire des écrivains et des poètes de taille à faire passer un créateur mythique du cosmos par leur voix et leur calame, alors qu'une telle extension de la grille de lecture de la science philologique classique rendrait abyssale une politologie post-darwinienne et post-freudienne, puisqu'on découvrirait alors que le prophète est un esprit politique, un moraliste et un législateur d'une profondeur vertigineuse - il vous décode les ultimes ressorts de l'obéissance, de la soumission et de la vénération.
Ici encore, les progrès dans l'analyse heuristique, donc sacrilège, du territoire à déchiffrer nous éclaire en retour sur l'évolution des méthodes de décodage, et cela à l'école des profanations: l'étude anthropologique de l'australopithecus Sediba conduit à l'interprétation de la naissance et de l'évolution du blasphème littéraire. .
Suite la semaine prochaine
Le 9 octobre 2011
Il était une fois ... 1789 - 2
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