Sur le plan médiatique, l'affaire Wong n'aura sans doute pas l'impact des images d'orangistes piétinant rageusement le fleurdelisé, qu'on a revues des dizaines de fois à la télévision.
La comparaison qu'André Boisclair a faite avec l'incident de Brockville demeure néanmoins très valable. Surtout après la caution que la direction du Globe and Mail a donnée aux élucubrations de sa journaliste-vedette. Même avec le passage du temps, un fond d'amertume subsistera.
Certes, Mme Wong n'est ni la première ni la dernière à écrire des âneries, même si les siennes atteignent un sommet dans le Quebec bashing dont quelques histrions de la presse canadienne-anglaise ont fait leur spécialité. D'ailleurs, nous avons nous aussi nos crackpots. On ne s'attendait cependant pas à voir le plus prestigieux quotidien du ROC se joindre au groupe.
Remarquez, on devrait à peine se surprendre que l'éditorial du Globe qualifie de «petit tumulte» la réaction provoquée par le texte de Mme Wong. Vu de là-bas, tout ce qui vient du Québec semble petit, voire risible. Tiens, pourquoi ne pas en rire ? Après tout, elle nous a simplement accusés de fabriquer en série des tueurs fous !
«Pourquoi devrions-nous présumer que les propos de Wong représentent autre chose que sa propre vision dégradante ?», demandait hier l'ancienne ministre Sheila Copps dans la chronique qu'elle signe dans Le Journal de Montréal. Pourquoi, pensez-vous, chère collègue ?
Oui, je sais, il y a aussi le député conservateur de Charlesbourg-Haute-Saint-Charles, Daniel Petit, qui a tenu des propos rejoignant ceux de Mme Wong. La veille, il avait voté en faveur de la motion de la Chambre des communes blâmant la journaliste, mais depuis quand demande-t-on aux députés de savoir pour quoi ils votent ? Peut-être avait-on sous-estimé les problèmes d'intégration des immigrants à Charlesbourg ?
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Ce qui est peut-être le plus choquant, voire le plus décourageant, c'est de voir le Globe accepter sans la moindre discussion la prémisse de sa journaliste. Il tient lui aussi pour un fait indiscutable que le Québec a des «politiques d'exclusion» (c'est-à-dire la Charte de la langue française). Dès lors, la seule question est donc de savoir si ces politiques peuvent rendre certaines gens dingues au point de les amener à massacrer leurs congénères.
Exclusion de quoi, au juste ? Dans le Québec francophone, tout le monde ou presque s'accorde au contraire à voir dans la loi 101 une politique d'inclusion à la communauté francophone, sans laquelle elle se noierait à coup sûr dans la mer anglophone qui l'entoure.
Depuis des décennies, tout le débat sur la «société distincte» ou la «nation» québécoise porte précisément sur le droit du Québec à affirmer sa différence au sein de la fédération. C'est même cette possibilité qui justifie aux yeux de la plupart des fédéralistes québécois le choix de demeurer canadiens.
À la veille du référendum d'octobre 1995, des dizaines de milliers de Canadiens étaient venus à Montréal dire combien ils nous aimaient. Apparemment, notre différence contribuait à l'enrichissement du Canada. De quelle «exclusion» parle-t-on aujourd'hui ? Affirmer la différence québécoise exclurait-il l'adhésion au Canada et à ses valeurs ?
Dans une entrevue accordée à La Presse en août 2001, Jan Wong avait défendu le principe du libre choix de la langue d'enseignement en faisant valoir que «la préservation de la culture, c'est bon pour les musées». Ce n'est surtout pas l'affaire des gouvernements.
Il est vrai que la valorisation des droits individuels est profondément inscrite dans la pensée libérale anglo-saxonne depuis John Locke. C'est pourtant au nom de la préservation de leur «communauté» que les Anglo-Québécois réclament le retour au libre choix. Faudrait-il une politique d'exclusion des immigrants de la majorité francophone au profit de la minorité anglophone ?
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À la lecture de l'éditorial du Globe, on en arrive à désespérer de voir le ROC comprendre un jour what Quebec wants ou simplement tenter de comprendre. Bien entendu, il faut se garder de généraliser, car il y a bien quelques exceptions. Le collègue Graham Fraser, du Toronto Star, qui succédera bientôt à Dyane Adam au poste de commissaire aux langues officielles, en est une.
L'ancien gardien de but du Canadien, Ken Dryden, en est une autre. Dans le dernier numéro du magazine Maclean's, il fait part des réflexions que lui a inspirées son séjour à Montréal dans les années 70.
«Si j'avais grandi comme francophone au Québec, j'aurais éprouvé du ressentiment en voyant que le contrôle de ma destinée ne m'appartenait pas. J'aurais été très fier de tout ce qu'aurait accompli un Québécois francophone. Quand j'aurais été assez âgé pour faire quelque chose pour mon chez-moi, ma langue, ma vie, j'aurais essayé. Ce que je ne sais pas, c'est si j'aurais essayé en tant que fédéraliste ou en tant que souverainiste», explique-t-il.
À Toronto, où M. Dryden a grandi, «on ne savait pas grand-chose de la vie au Québec, de ce que cela signifiait de vivre en français sur un continent anglophone». Jan Wong, elle, a grandi à Montréal, mais elle semble ne s'être jamais posé la question.
Il est vrai qu'elle étudiait en Chine quand M. Dryden a débarqué dans la métropole, à 23 ans, un mois avant la Crise d'octobre. Il se souvient aussi qu'au moment où il disputait la victoire aux Blues de St. Louis, dans le vieux Forum, le 15 novembre 1976, le PQ célébrait la sienne au Centre Paul-Sauvé.
«Je pense que la question pour les Québécois, pour nous tous, est et sera toujours : sommes-nous mieux de demeurer ensemble ? Avons-nous un avenir ensemble ?» Quand il aura enterré ses ambitions de devenir premier ministre du Canada, M. Dryden pourrait peut-être faire oeuvre utile au Globe and Mail.
mdavid@ledevoir.com
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