Le gouvernement libéral ne va nulle part. Et c’est là où il veut aller. Dix démissions, des scandales nauséabonds, des reculs, des reports et… toujours la même arrogance. Jouant de tous les trucs et astuces que la politique politicienne lui octroie d’office grâce au soutien blindé d’une minorité de blocage et de l’impuissance caricaturale des partis d’opposition, il survit à sa propre maladresse. Il est à l’aise dans la médiocrité prétentieuse. Et cela le laisse bien en phase avec celle que distille chaque jour un complexe médiatique qui n’en finit plus de décrocher du réel pour traiter le Québec comme une grossière farce.
Le climat politique actuel n’est pas seulement morose, c’est celui d’une violence symbolique et culturelle sourde et efficace. Une certaine élite réunie autour des auges n’en finit plus de conforter une politique du renoncement à soi. À les entendre et à décoder le sous-texte de leurs sentencieux lieux communs sur l’ouverture, la mondialisation et toutes les vertus proclamées à Davos, le Québec progressera d’autant plus et mieux qu’ils l’auront délesté de lui-même.
Ce gouvernement n’est pas seulement celui de la normalisation de la province. C’est celui de l’imposition d’une politique antinationale. Il ne s’agit pas seulement de ramener le Québec à la moyenne canadienne, mais bien de le canadianiser en détruisant systématiquement tous les ressorts de la cohésion nationale. Parfaitement en phase avec la guerre psychologique et la constante campagne de propagande conduite par Ottawa et financée à même nos impôts, la politique libérale n’a de cesse de discréditer les grandes institutions nationales, de rendre ridicule l’État du Québec jeté dans l’indigence et de plus en plus dysfonctionnel. Le cynisme entretenu et pratiqué allègrement ne fait pas qu’empoisonner l’air du temps, il cache un désamour qui courtise dangereusement l’autodestruction.
C’est un gouvernement qui pratique une politique radicale dirigée contre son propre peuple. Le ton sermonneur et le mépris hautain que manifeste un Philippe Couillard à l’égard de tout ce qui peut laisser entendre que le Québec pourrait être la Norme au fondement de sa propre vie nationale ne relèvent pas seulement de son multiculturalisme acharné. Il vise explicitement à nier le droit de notre peuple à faire nation. La hargne qu’il manifeste à l’endroit de ses adversaires n’est pas d’abord inspirée par la politique politicienne dans ce qu’elle a de plus médiocre, elle prend sa source dans un rejet profond de cette prétention au fondement de toute notre histoire, celle que notre peuple s’entête à maintenir en prétendant se faire sujet de son aventure, référence de son destin. Philippe Couillard, à cet égard, rêve de réaliser le fantasme de Pierre Elliot Trudeau : nous enfermer dans l’enclos ethnique. Ce qu’il cache derrière sa rhétorique d’ouverture et de tolérance, c’est le refus catégorique, ontologique, de placer la culture et l’identité québécoises au fondement de l’État et des institutions.
Ses outrances langagières, sa rhétorique démagogique dès lors qu’il s’agit de discuter de n’importe quelle facette de l’immigration ou de laïcité, doivent être décodées dans le registre de la politique antinationale. Ce gouvernement ne fait pas que déconstruire morceau par morceau le modèle québécois, il ne fait pas que dévoyer les institutions et saboter les instances de délibération publique, il cherche à réduire toutes les formes d’expression de la majorité légitime à quelque vague représentation communautariste. Pis encore, à un communautarisme suspect en raison même des manifestations d’affirmation de soi, de refus de se laisser dissoudre qui traînent encore dans la vie publique et qui resurgissent à l’occasion des débats sur l’intégration des immigrants ou encore sur la place que devrait tenir la culture et l’histoire québécoise dans le système d’éducation et dans la construction des repères de politiques publiques.
L’entreprise de culpabilisation conduite depuis toujours contre le mouvement indépendantiste a pris nouvelle tournure et vise désormais la culture québécoise tout entière. Elle cherche à dénigrer toutes les formes et les occasions qu’elle peut offrir de placer les Québécois au centre de leur monde. Plus que jamais l’État du Québec lui-même s’acharne à présenter et pousser la nation dans des cadres de dissolution de sa spécificité. Ce gouvernement refuse de plus en plus ouvertement de défendre le territoire de l’âme. Il a démissionné à l’endroit de la langue française, il a renoncé à l’initiative en matière de promotion culturelle au point de laisser tout le champ libre à l’État canadian et à son nation building. Il est à plat ventre devant Ottawa et ne proteste plus que pour la forme. Les sparages du ministre Barette sur la réduction des transferts en santé ont achevé de le consacrer dans le rôle de pitre servile en concurrence de soumission avec le résigné Carlos Leitao, toujours disposé à trouver un espace sous la carpette.
Après avoir saboté et renoncé à tout contrôle des grandes institutions économiques qu’il a placées sous l’empire d’une loi de « gouvernance » qui a non seulement pavé la voie, mais légitimé les formes les plus sournoises de copinage et de cooptation, ce gouvernement n’en a plus que pour le tout-au-marché pour mieux faire disparaître jusqu’à la référence même à l’intérêt national. Sièges sociaux ou entreprises stratégiques, plus rien ne tient sinon que l’éternel discours de la minimisation des pertes et les fanfaronnades sur les succès à l’étranger. L’arrogante taloche et le mépris asséné à Bombardier par Ottawa laissent notre gouvernement et toutes les engeances qui sévissent dans les chambres de commerce et autre conseil du patronat dans une affligeante résignation. Il y a pire que le consentement à l’impuissance, et c’est le renoncement à la puissance.
Le Parti libéral du Québec a toujours été un parti d’affairistes, mais sous Philippe Couillard il est en passe de muter. Il n’a plus la moindre préoccupation de gérer la dépendance, comme l’ont toujours fait ses élites qui instrumentalisaient le nationalisme pour mieux se négocier des prébendes et des niches confortables. En pratiquant une politique résolument antinationale, le Parti libéral n’a plus qu’un seul projet : plonger le Québec dans le non-être. Le Canada pourra d’autant plus facilement s’y incruster que le gouvernement de la province aura lui-même contribué à saper sa propre légitimité. Sa population, ses réalisations, son territoire ne sont plus pour lui que de la pâte à usurper. Pipeline Énergie Est, Port de Québec, saccageurs d’Anticosti et de tous les autres endroits où la cupidité des autres aura préséance sur l’intérêt national, les occasions se multiplient pour les voir seriner que le Québec lui-même est l’obstacle à sa propre prospérité. Cela lui brûle les lèvres à Philippe Couillard de nous traiter de peuple d’attardés qu’il faut délivrer de lui-même.
Une telle entreprise idéologique repose sur la certitude que la honte de soi finira par engourdir la morosité. Et que lentement le ressentiment s’imposera comme une attitude ethnique. Et tous les adversaires et les détracteurs de notre différence n’y verront plus qu’une raison de plus d’avoir bien fait de suivre les libéraux dans le « combat pour la civilisation » canadian, parangon de vertu et quintessence de l’humanité.
La minorisation est déjà acceptée et accueillie comme un bienfait dans la politique libérale. Le grand œuvre de Philippe Couillard vise désormais l’oblitération de tous les signes de ce que nous avons tenté d’être. Il ne se contente plus de dénationaliser les institutions. Il se fera fort d’affirmer qu’elles ont désormais pour rôle de nous le reprocher. Une telle idéologie est d’ores et déjà en passe de devenir dominante. C’est à mots à peine couverts que se font les affirmations voulant que notre développement sera toujours mieux servi par les autres.
Les indépendantistes devront ruser pour ne pas se laisser enfermer dans une posture défensive. Cela ne sera pas facile étant donné le renoncement au combat et la rhétorique velléitaire des partis d’opposition qui rivalisent d’imagination pour inventer des motifs de division. Le consentement à se définir des programmes dans les moyens que le Canada nous laisse, leur tient lieu d’horizon. Il est loin d’être acquis qu’ils parviendront à déloger les libéraux. Leurs renoncements, petits et grands, sont bien davantage susceptibles de provoquer une abstention de protestation qui laissera triompher la minorité de blocage, indifférente au sort du Québec et prête à toutes les compromissions pour continuer d’élire les gardiens du Canada.
Ce n’est pourtant qu’en passant à l’offensive que pourra se faire l’union des forces. Aux indépendantistes d’ouvrir la voie en intervenant pour faire valoir l’intérêt national dans tous les domaines de la vie nationale et des débats publics. Ils pourront compter – et c’est une arme au potentiel de déstabilisation considérable – sur une députation du Bloc déterminée comme jamais à faire la critique du régime et à mettre en évidence les coûts de la résignation. En s’affichant sans complexe et en refusant de s’excuser d’exister les indépendantistes n’ont pas à se soumettre aux critères de respectabilité imposés par le régime et aux convenances provinciales qui rendent déplacé dans notre Assemblée nationale tout effort pour unifier ce que le régime sépare. À cet égard, l’accueil réservé aux premières interventions de Martine Ouellet est tout à fait révélateur du malaise que provoque chez tous les partis la mise à nu des omissions provinciales. Le respect des compétences est un faux argument, pis un alibi pour masquer le contentement à un ordre qui appauvrit le Québec et entrave sa liberté.
Le temps de la complaisance et du laxisme intellectuel est terminé. Pour venir à bout de la politique du non-être, il faudra pratiquer une intransigeance politique seule capable de bien décrire le réel de notre condition. Le bonententisme fait toujours le lit de la compromission. Pour faire l’indépendance, il faut une culture politique forte, une culture politique saine, capable d’appeler un chat un chat. Aucune avenue politique porteuse ne peut reposer sur la restriction mentale et le refus de s’assumer. Battre les libéraux pour aspirer contrôler les mêmes moyens inadéquats ne mènera nulle part : ce n’est pas un projet d’émancipation. Et ce n’est pas même un projet pragmatique. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les nouveaux élus seront condamnés à enfoncer le Québec dans l’indigence. Les illusions provinciales sont tenaces. La plus sournoise d’entre elles consiste à croire que la gestion provinciale puisse constituer une base solide pour la construction d’un mouvement d’émancipation. Aux indépendantistes de montrer que la politique provinciale ne peut mener ailleurs que dans le marécage provincial.
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