On peut le constater depuis des années, surtout depuis l'arrivée de Justin Trudeau au 24 Sussex Drive, la doctrine canadienne du multiculturalisme, pensée par Pierre Elliott Trudeau comme l'ultime façon d'unifier le Canada comme un seul état postnational, est de moins en moins contestable publiquement et politiquement sous peine de procès public et médiatique.
Avec le temps, les apôtres du multiculturalisme en sont venus à s'imposer à leurs adversaires et à la population comme les seuls détenteurs de la vertu, les prêtres de «l'inclusion», de la «diversité» et de la «tolérance». En somme, pour eux, ce n'est pas une position politique comme une autre qu'ils défendent, laquelle prône la fin des cultures nationales et de l'intégration au profit du communautarisme, mais bien la «bonne» manière de penser, tout simplement.
La plupart du temps, ils adoptent une vision bornée et binaire de la politique où les opinions opposées ne sont plus envisageables, où le spectre politique s'est métamorphosé en spectre moral dont ils occupent le «bon» côté.
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Les grands du multiculturalisme n'hésitent plus à traiter leurs adversaires de tous les noms sous le couvert de la vertu.
À leurs yeux, toute opposition idéologique n'est pas seulement illégitime, mais «intolérante», «repliée sur elle-même» et «fermée». C'est pourquoi les grands du multiculturalisme n'hésitent plus à traiter leurs adversaires de tous les noms sous le couvert de la vertu, s'étant radicalisés au point de penser que leur seule idéologie est légitime dans le débat public.
«L'intolérance n'a pas sa place au Canada!»
La fameuse altercation survenue récemment entre le premier ministre canadien et une dame âgée, lors d'un rassemblement libéral en Montérégie, représente parfaitement cette radicalisation du discours trudeauiste, dont il n'est plus possible de déroger sans se faire accoler les pires étiquettes. Même si on a appris plus tard que la femme en question était proche du groupe extrémiste Storm Alliance, impossible de ne pas lui concéder que son interrogation était terriblement légitime, d'autant plus qu'elle a été soulevée de nombreuses fois par bon nombre d'élus à l'Assemblée nationale comme à la Chambre des communes.
Il était simplement question dans cet échange du coût de l'accueil des migrants irréguliers.
Il était simplement question dans cet échange du coût de l'accueil des migrants irréguliers, qui, pour la plupart, entrent au Québec sans que le gouvernement fédéral verse un sou pour leur accueil. La dame soulevait un enjeu de relations fédéral-provincial, demandant au premier ministre de payer pour les coûts encourus par son discours d'ouverture des frontières, qui ne devraient pas être uniquement payés par le Québec, puisque l'immigration relève tout autant du gouvernement canadien.
Le chef du PLC n'a pas accepté qu'on remette en question son discours politique «moral», appuyé à cent milles à l'heure par la rectitude politique.
Pourtant, le chef du Parti libéral du Canada n'a pas accepté qu'on remette en question son discours politique «moral», appuyé à cent milles à l'heure par la rectitude politique, et s'est déchaîné sur la dame, dont la requête était pourtant tout à fait acceptable. Dans une grande envolée aux élans chevaleresques, le premier ministre a affirmé que «l'intolérance n'avait pas sa place au Canada» tout comme le présumé racisme de la citoyenne, dont la préoccupation en présence ne laissait toutefois pas présumer. À moins, bien sûr, que les libéraux du Canada soient devenus dogmatiques à ce point que de remettre en question la moindre peccadille touchant le système d'immigration fasse de quiconque une personne méprisable et condamnable, ce qui semble de plus en plus être le cas.
L'impuissance du PCC
Face à cet assaut sans pareil des trudeauistes sur la liberté de pensée, il serait normal que les conservateurs canadiens soient les premiers à tenir le fort, n'est-ce pas? Bien au contraire, lorsque Maxime Bernier a sévèrement critiqué le «multiculturalisme extrême» du premier ministre sur Twitter, le chef conservateur Andrew Scheer s'est rapidement distancé des propos de son député.
Pire, Scheer en a beurré épais en affirmant «ne pas être d'accord avec les politiciens [...] qui ont recours à la politique pour diviser les Canadiens». Dans cette courte déclaration, le chef du PCC a essentiellement repris l'argumentaire et le vocabulaire multiculturaliste opposant la «division» à «l'unité», prouvant que les conservateurs canadiens ne lèveraient pas le petit doigt pour enrayer le processus mis en place par Pierre Trudeau, sans doute estiment-ils une telle prise de position trop coûteuse en respectabilité politique.
Un tel choix remet aussi sévèrement en doute tous ceux qui croient en un nationalisme québécois au sein même du Canada.
Toutefois, si même le Parti conservateur du Canada ne se dresse pas contre la grande entreprise de dissolution nationale initiée par le rapatriement illégitime de la constitution canadienne, c'est le sérieux de leur supposé «virage nationaliste» amorcé à l'aube de l'élection partielle de Chicoutimi-Le Fjord qui en prend un coup. Un tel choix remet aussi sévèrement en doute tous ceux qui croient en un nationalisme québécois au sein même du Canada, pays qui cherche continuellement à en découdre avec la nation québécoise au point de s'être donné une constitution pour y parvenir en 1982.
Si même les conservateurs du Canada ne descendent pas dans l'arène pour appuyer les nationalistes québécois sur cet enjeu, aucun parti de gouvernement canadien ne le fera. Le PCC devrait cesser de se péter les bretelles avec son prétendu «nationalisme» s'il n'ose même pas contester le multiculturalisme radical de son adversaire politique numéro un.
Et ce n'est pas fini...
Si la dernière semaine était particulièrement évocatrice quant à l'avancée du multiculturalisme au Canada comme un dogme moral incontestable, alors qu'il n'est en réalité rien de plus qu'un programme politique, elle n'avait rien d'un événement isolé. On ne cessera pas de citer «l'inclusion», la «tolérance» et la «diversité» à tout va, et ce pour bien plus que des questions fondamentales des droits de la personne et de lutte contre les discours réellement haineux, car il en existe, ne nous en cachons pas.
Tant que le Canada ne sera pas uniforme dans sa «diversité» et que le Québec continuera à chérir sa différence vitale, les Trudeau de ce monde répèteront qu'il n'est pas assez «ouvert sur le monde».
Malgré tout, trop de politiciens demeureront muets, de peur de tomber du mauvais côté de la politique, devenue un spectre moral où si l'on prêche le maintien d'une culture commune et une intégration conséquente, on souffle «sur les braises de l'intolérance». En notre ère, les seuls sur qui l'on peut réellement compter pour dénoncer la doxa canadienne demeurent les indépendantistes, qui ont le courage et le bon sens de vouloir sortir le Québec de la cocotte-minute canadienne avant qu'il n'en ressorte bouilli à l'ontarienne.