Le rapport de l'Unité anticollusion dirigée par Jacques Duchesneau confirme ce que tout le Québec sait. Existe au sein du ministère des Transports un système de collusion «d'une ampleur insoupçonnée» pour l'attribution des contrats de travaux publics. Un constat, qui même venant d'une personnalité aussi crédible, n'émeut d'aucune façon le gouvernement Charest qui persiste dans un refus injustifiable de mettre sur pied une commission d'enquête.
Ce rapport remis au ministre des Transports voilà déjà deux semaines ne contient pas de noms. Son mérite est néanmoins de nous décrire ce système qui, de nous prévenir l'ancien chef de police de Montréal, menace la démocratie en ce qu'il se substitue à l'État ou à tout le moins le pervertit.
Ce système, les médias l'avaient mis au jour ces trois ou quatre dernières années. Le Devoir avait sonné l'alarme en mettant au jour les circonstances troublantes du contrat de compteurs d'eau à la Ville de Montréal. Des informations que l'équipe de Jacques Duchesneau a pu étayer et documenter. Ce que l'on soupçonnait jusqu'ici n'était que la pointe de l'iceberg puisque, d'affirmer Jacques Duchesneau, le système de collusion existant au ministère des Transports est implanté profondément.
Sont en cause dans ce système de grandes entreprises de construction regroupées en cartel, d'importantes firmes d'ingénieurs, des fonctionnaires, des politiciens et le crime organisé. Le trafic d'influence à la source de ce système entraîne un gonflement des coûts assumé par l'ensemble des contribuables. Ce qui vaut pour le ministère des Transports vaut aussi pour tous les ministères et municipalités qui octroient des contrats de travaux publics et de services professionnels.
Que dire de ces révélations si ce n'est de réitérer une autre fois qu'il s'agit d'un vaste scandale auquel il faut une réaction à la mesure du système en cause? Le scandale est autant dans ce système que dans l'absence d'une réaction vigoureuse de la part du gouvernement Charest, qui se contente d'enquêtes de police.
On est encore bien loin de voir des bandits en prison. Voilà deux ans que la police enquête sans résultats. Certains dossiers sont bouclés, mais restent engorgés chez le directeur des poursuites criminelles. Quant aux policiers, ils seront eux-mêmes prudents lorsqu'apparaissent dans leurs enquêtes des noms liés au monde politique. Car oui, tout ce système de collusion conduit au monde politique, comme le signale on ne peut plus clairement le rapport Duchesneau, qui établit un lien direct entre la surfacturation en cours d'exécution de contrats et le financement des partis politiques.
Il était étrange d'entendre hier le nouveau ministre des Transports, Pierre Moreau, soutenir qu'il prenait au sérieux toutes les constatations faites par l'équipe d'enquêteurs de l'Unité anticollusion... sauf celle ayant trait à cette surfacturation. Cela ne relève que de l'administratif, a-t-il protesté, comme si cela pouvait empêcher le transit de contributions illégales vers les caisses électorales des partis politiques. Rappelons l'exemple du grouper Axor, qui l'an dernier a plaidé coupable à quelque 40 infractions pour avoir versé illégalement plus de 150 000 $ au Parti libéral, au Parti québécois et à l'Action démocratique.
La réalité est que le gouvernement peut exercer un certain contrôle sur le travail policier, ce qu'il ne pourrait faire avec une commission d'enquête, dont le cheminement lui échapperait totalement. Ce ne sont pas trois ou quatre «bandits» qui seraient envoyés en prison, mais tout un système qui serait exposé dans toutes ses ramifications qui plongent loin dans le monde politique, économique et criminel. Ce n'est pas sans raison que Jacques Duchesneau parle d'un système à «l'ampleur insoupçonnée».
Le résultat d'une enquête publique serait, n'en doutons pas, une véritable boîte à surprise. Seraient mis sur la sellette autant des dirigeants d'entreprise que des politiciens de tous horizons et leurs liens avec un monde criminalisé. Le gouvernement Charest a visiblement peur de voir ce noeud de vipère décortiqué et exposé publiquement. Mais c'est à ce prix que peut être démantelé durablement ce système de collusion. Si on se contente d'un simple coup de balai, les quelques bandits qui iront en prison seront vite remplacés par d'autres. C'est l'intégrité même de l'État et la confiance des Québécois envers leurs institutions qui entre-temps se délitent. Il y a urgence de tenir cette grande enquête publique.
Collusion dans la construction
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