Il y a vingt ans, la communauté anglo-montréalaise avait causé toute une surprise en élisant quatre députés du Parti Égalité (PE) dans des circonscriptions de l'ouest de l'île qui avaient toujours accordé des majorités d'une ampleur soviétique au Parti libéral du Québec.
L'adoption de la loi 178, qui consacrait la règle de l'unilinguisme français dans l'affichage commercial, à l'encontre d'un jugement de la Cour suprême, avait été perçue comme une véritable trahison. Quelques mois auparavant, trois ministres anglophones avaient claqué la porte du gouvernement Bourassa au cri de «Rights are rights are rights».
Dans un texte publié la semaine dernière dans The Gazette, l'ancien chef du PE, Robert Liebman, soulignait que la communauté anglophone n'avait jamais manifesté sa colère aussi fortement qu'à l'occasion des élections du 25 septembre 1989.
L'indignation des anglophones était bien réelle, mais ils se sentaient d'autant plus libres de l'exprimer que cela ne portait pas à conséquence. Même si le PQ avait repris un peu de vigueur avec l'arrivée de Jacques Parizeau, la perte de quelques circonscriptions n'empêcherait pas les libéraux d'être réélus avec une confortable majorité.
Vingt ans plus tard, M. Liebman constate avec regret que la communauté anglophone est retournée au bercail libéral et qu'elle n'a plus assez d'énergie pour reprendre le débat sur la langue, si ce n'est des protestations occasionnelles sur les lignes ouvertes.
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La tournure du débat sur les structures municipales depuis une dizaine d'années atteste que le clivage linguistique n'a pas disparu pour autant. Sur l'île de Montréal, les résultats des référendums sur les défusions de 2004 reflétaient largement sa composition démolinguistique. La prochaine élection à la mairie risque d'accentuer cette fracture, mais elle place aussi les anglophones devant un choix beaucoup plus déchirant qu'il y a vingt ans.
Quand Louise Harel a annoncé qu'elle se lançait dans la course, le chroniqueur municipal de The Gazette, Henry Aubin, qui avait mené une lutte incessante contre les fusions forcées, était littéralement horrifié.
Pis encore que la réforme orchestrée par Mme Harel ou son incapacité de parler en anglais, l'élection d'une souverainiste serait tout simplement catastrophique pour l'économie montréalaise, estimait-il. Bien entendu, une fois installée à la mairie, elle se mettrait au service du PQ en vue de la prochaine élection et, qui sait, du prochain référendum. Cela peut toujours se concevoir dans une ville comme Québec, qui tirerait peut-être profit de l'indépendance, mais Montréal?
C'était il y a quatre mois. Déjà, M. Aubin n'était pas très impressionné par le bilan du maire Tremblay, mais il était encore possible de voter pour lui sans devoir se boucher le nez. Aujourd'hui, peu importe les fusions ou la Constitution, un contribuable montréalais ne peut tout simplement plus fermer les yeux sur la multiplication des scandales à l'hôtel de ville sous son administration.
Pour mon estimé collègue de The Gazette, le rapport du vérificateur général sur le contrat des compteurs d'eau semble avoir été la goutte qui a fait déborder le vase. Son verdict a été sans appel. Comment M. Tremblay ose-t-il encore se représenter? demandait-il la semaine dernière.
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Hier, The Gazette rapportait les propos du conseiller spécial à l'éthique de Mme Harel, Me Julius Grey, qui propose de mettre en ligne certains documents relatifs aux appels d'offres de manière à rendre le processus d'octroi des contrats plus transparent. Cela peut sembler une bonne idée, mais les intentions vertueuses de Mme Harel ne peuvent faire oublier qu'elle demeure une dangereuse séparatiste, qui refuse même de débattre en anglais.
Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que 44 % des électeurs anglophones soient indécis, par rapport à 27 % des francophones, selon le sondage Angus Reid-Strategies-La Presse réalisé au lendemain de la publication du rapport du vérificateur général.
Bien sûr, il y a le chef de Projet Montréal, Richard Bergeron, dont les intentions de vote ont doublé en deux semaines dans l'électorat anglophone, passant de 15 % à 30 %. Même si certaines de ses propositions peuvent être objectivement séduisantes, il est difficile de ne pas voir dans cette soudaine popularité un refus de se laisser enfermer dans un choix impossible.
Le problème est qu'à la différence de 1989, alors qu'un vote pour le Parti Égalité permettait de se défouler sans risque, chaque voix dont le maire Tremblay sera privé, par abstention ou autrement, rapprochera Louise Harel de l'hôtel de ville. On tient généralement pour acquis que la présence de tiers partis a pour effet de diviser l'opposition au profit du parti au pouvoir, mais il peut arriver qu'elle ait l'effet inverse.
Compte tenu de la composition de l'électorat montréalais, les 40 % d'intentions de vote dont Mme Harel est créditée ressemblent dangereusement à un plafond, mais sait-on jamais? Après tout, il n'y a aucun référendum sur la souveraineté à l'horizon. Alors pourquoi faudrait-il absolument choisir entre la peste et le choléra?
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mdavid@ledevoir.com
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