Il semble interdit, si on en juge par la toile des commentaires au Canada, d’interroger les tactiques et les stratégies de pouvoir qui sous-tendent son fédéralisme. Ce n’est pas la première fois que le parlement fédéral vote pour la minorisation du Québec. Plus étrange cependant est de voir comment, autant les intellectuels que les élus se refusent à remonter le fil de la stratégie.
On a dit qu’il s’agissait d’appliquer des normes strictement démographiques et de ce fait purement apolitique. Toute la toile du commentaire fédéraliste en a rajouté, spécialement au Québec, en énonçant deux facteurs dont le Québec est responsable: une mauvaise rétention des immigrants, même ceux venant du Maghreb trouvent plus aisément du travail à Toronto et la sous-natalité du Québec. Le député conservateur Steven Blaney nous avait prévenu de faire plus de bébés.
En effet, face à la minorisation, les seules capacités offensives de la nation québécoise tiennent dans l’intégration des immigrants et la revanche des berceaux. Loin de s’en alarmer, on nous présente ceci comme un train de mesures efficaces et une vision d’espoir. On accuse notre politique dite « trop identitaire » qui ferait de notre nation un lieu trop rébarbatif. Ensuite, ceci est un hiatus bizarre, on nous dit de cesser de blâmer le système et de multiplier les fils de la race si on n’est pas content.
Par ailleurs, les mêmes commentateurs ne veulent pas s’apercevoir que ces deux mesures ne feraient que ralentir la dynamique car, comme on sait, le territoire du Canada est beaucoup plus grand. Il compte dans chaque province des foyers de peuplement là où l’anglais règne en maître. Beaucoup d’actes politiques, comme la fermeture des écoles françaises pendant un siècle au Canada, ont contribué au confinement géographique des francophones dans la partie est du Canada. Ceci paraît relever de l’évidence pour le lecteur de Vigile mais vous ne le lirez que très rarement dans les analyses qui ont eu cours dans la presse de large diffusion.
Pour conclure, on a attribué le vote de la semaine dernière, non pas au fait que le pouvoir au Canada soit un gigantesque rapport de force qui favorise la grande nation anglophone mais au fait que les Québécois ont rejeté l’Accord de Charlottetown. Le projet de l’Accord de Charlottetown accordait le quart des sièges de la Chambre des Communes au Québec.
Ce qu’on oublie de dire c’est que l’Accord de Charlottetown fut rejeté par le Canada parce que cet accord brusquait le souci du « comme-il-faut » tel que le sens commun des Canadiens l’entend. On n’aimait pas que le Québec soit caractérisé comme « société distincte » ni comme nation. Plus encore, l’opinion publique canadienne accordait ses faveurs à la vision de Trudeau qui leur disait que le Québec n’avait pas à user de libertés particulières d’un ordre collectif puisque cela risquait d’empêcher le citoyen canadien d’exercer ses libertés individuelles. Et Trudeau répétait sous les applaudissements de tout le Canada que le Québec devait figurer comme un aménagement inclusif pour toute la nation canadienne.
Au Québec, l’accord de Charlottetown fut rejeté parce que le concept d’une représentation minimale ne dépassait pas la logique du collaborationnisme interprovincial. Assez étrangement, aucun des commentateurs fédéralistes n’a voulu remonter le fil, se contentant de rendre responsable le Québec. Étrange de voir combien l’analyse sous la plume de l’école fédéraliste prend la forme d’une fonction de culpabilisation.
Pour un fédéraliste, il est impossible de ne pas endosser le rapport de force tel qu’il se présente. Que l’on regarde Maxime Bernier, Alain Dubuc, André Pratte, tous vous diront qu’au lieu de chercher une alternative au système canadien on devrait faire le travail ailleurs en créant plus d’individus riches. On ne voit pas trop à quoi peut tenir ce raisonnement puisque c’est juste une affirmation.
Si on avait plus de millionnaires, plus de milliardaires, on serait moins dépendants de la péréquation et alors? On parlerait encore moins des alternatives? Perpétuer la formule interprovinciale conduisant à la minorisation du Québec ferait alors moins problème? Pourquoi? Parce que les riches pourraient se payer les services d’une gouvernante? Cela rendrait l’entretien des familles nombreuses moins problématique? Et la revanche des berceaux en serait facilitée?
Voyons, nous avons eu droit à du baratin systématique. À quoi bon réfléchir si c’est pour endosser un rapport de force et se fermer les yeux sur ce qui est au fond de la mécanique canadienne? Il semble que les commentateurs fédéralistes se refusent a priori de savoir ce que cette mécanique peut signifier pour le Québec spécifiquement.
À force de se faire dire que l’on doit adopter le point de vue du Canada tout entier et de ne pas se replier sur les intérêts du Québec, les fédéralistes d’aujourd’hui préparent un nouveau Québec. Ce nouveau Québec serait non seulement une province où l’indépendance serait rendue virtuellement impossible, ce serait aussi un Québec qui refuse de jouer sur un double clavier.
Mais il y aura plus de riches, paraît-il…
André Savard
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3 commentaires
Jean-François-le-Québécois Répondre
30 avril 2010@ André Savard:
Vous savez quoi? Je pense que c'est le Rest of Canada et Jean Charest, qui vont finir par jouer le rôle de nouveaux pères spirituels de l'indépendance!
Parce qu'à tout faire pour littéralement écoeurer les Québécois du cadre canadien et du régime de ce provincial de gouvernement, le statu quo constitutionnel, ne semblera bientôt plus acceptable. Même aux yeux des fédéralistes, pour sans doute pas mal d'entre eux.
Élie Presseault Répondre
28 avril 2010"On accuse notre politique dite « trop identitaire » qui ferait de notre nation un lieu trop rébarbatif."
André Savard, c'est toujours autant un honneur de vous lire de façon régulière. Spontanément, je dirai seulement que le Canada s'est discrédité de par sa manière à s'affirmer de façon péremptoire ces derniers temps et pour une bonne part de son histoire. Il n'a point de leçons à donner à personne. Ces mêmes affirmations sont tout autant risibles qu'elles n'amènent pas la vitalité et l'essor de la nation que nous formons ici même au Québec. La seule nouveauté qu'il y aurait à assumer, selon ce point de vue, c'est le trop-plein mortifère qui accable une élite incapable de concevoir son rapport historique autrement que par une domination. À partir du moment que la notion de légitimité assure nos assises historiques, nous serons à même d'opposer le refus qui saura, à terme, nous libérer de ce vestige colonial.
Archives de Vigile Répondre
28 avril 2010Merci, M.Savard,
Votre texte est très pertinent!
Lawrence Tremblay.