La gauche radicale et la nation

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Une capacité de nuisance démesurée par rapport à son importance relative





Dans les années 1970, une certaine frange de la gauche radicale refusait l'indépendance au nom de l'internationalisme prolétarien. C’était la gauche m-l, ou pour le dire avec la formule complète, marxiste-léniniste. Aujourd'hui, cette gauche radicale, la refuse au nom de la diversité sacralisée et du cosmopolitisme rédempteur. Évidemment, la doctrine de référence n’est plus la même, mais la passion du déracinement demeure la même: l’internationalisme radical s’est simplement mué en multiculturalisme radical. La nation est rangée dans le camp du conservatisme obtus : c’est une trace du monde ancien qui doit disparaître. La préoccupation pour l'identité historique de sa nation serait la marque distinctive d'une psychologie réactionnaire.


Car chaque fois que la gauche radicale refuse la nation, elle la présente comme un cadre périmé coupable par ailleurs d'opprimer les minorités. Dans les années 1970, la nation était présentée comme un artifice au service des bourgeois empêchant la classe ouvrière de réaliser son unité : elle est aujourd'hui présentée comme un mythe au service d'une majorité tyrannique qui confisquerait le collectif pour mieux opprimer les marginaux. La nation, chose certaine, n’aurait aucune légitimité. La souveraineté, au mieux sera considérée positivement si et seulement si elle est mise au service de la révolution. Et encore : c’est davantage une concession théorique qu’autre chose.


Ce mépris de la nation est au cœur de l’imaginaire politique de la gauche radicale. Elle n’y voit rien d’autre qu’un hasard de naissance auquel il ne faudrait pas accorder une importance politique exagérée. C’est qu’elle refuse, on le saut, à la fois le principe de la filiation et celui de l’héritage. Il faudrait reprendre le monde à zéro et d’abord, faire tomber l’ancien monde grâce au souffle révolutionnaire. Son obsession, c’est la table rase, la reprise à neuf du monde, et la destruction de l’héritage, dans lequel elle ne veut voir qu’un formatage. Son fantasme, c’est celui de l’autoengendrement révolutionnaire. Il est au cœur de bien des théories aujourd’hui à la mode dans les sciences sociales.


Dans mes bons jours, je me dis que le fait national, inévitablement, est appelé à resurgir. C’est qu’il est inscrit dans les profondeurs de l’histoire. Inversement, les militants radicaux qui se réclament d’un antinationalisme sophistiqué verront leurs réflexions condamnées par la réalité. Je pense de temps en temps à ces marxistes à la retraite qui relisent leurs textes des années 1970, quand Althusser et les autres étaient à la mode et qu’il fallait obligatoirement les citer pour avoir l’air d’un universitaire convenable. Je me dis alors qu’ils doivent, d’une manière ou d’une autre, se dire qu’ils ont gâché de belles années à s’égarer dans un système idéologique absolument stérile, qui poussait à l’autisme théorique. Je les plains.


Probablement qu’un jour, la gauche radicale qui n’en finit plus de se vautrer dans le paradigme de la déconstruction et qui réduit le monde à la «lutte contre les discriminations» aura le même sentiment: celui d’avoir voué sa vie à une chimère destructrice. Ce qu’il y a d’embêtant, par ailleurs, dans le monde des réseaux sociaux, c’est que cette gauche radicale qui cultive à la fois la phraséologie révolutionnariste et le culte de la radicalité en se faisant une fierté de son agressivité avec le moindre contradicteur peut s’étaler sur la place publique sans gêne. On voit même, souvent, des intellectuels se comporter sur Facebook avec une brutalité barbare. Étrangement, ce sont souvent ceux qui prêchent pour la tolérance et l’inclusion.


Il n'en demeure pas moins que cette mouvance radicale, par l'influence qu'elle exerce sur l'université et les médias, a une vraie capacité de nuisance. Elle dispose d’une position privilégiée dans l’espace public. Elle détourne de bons esprits de recherches sérieuses pour les perdre dans le culte de la radicalité idéologique : c’est que lorsqu’on prétend tout déconstruire, on a l’impression d’être tout puissant et que rien ne nous résiste. Il faudrait parvenir à s'affranchir de cette hégémonie idéologique: il faudrait surtout apprendre à se ficher des injures qu'elle lance à tous ceux qui ne se rallient pas à sa vision. Car ne l'oublions, son pouvoir médiatique et académique est inversement proportionnel à son poids électoral et politique.


Nous sommes devant un phénomène sectaire. Le vrai pouvoir de la gauche radicale tient à sa maîtrise du langage et des codes de la respectabilité idéologique. Elle dispose d’une grande puissance d’intimidation et croit en plus conjuguer la maîtrise de la science et la possession de la vertu. Mais dès lors qu’on se fiche de plaire à ces bons esprits idéologiquement intoxiqués, on regagne sa liberté et on peut s’occuper du réel, sans toujours se demander si on risque de mal paraître devant tel ou tel représentant de la rectitude politique. Alors, on pense mieux, et on respire mieux et on peut se consacrer à des problèmes sérieux.




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