L’hégémonie de la gauche décoloniale, héritée de la pensée anglo-américaine, est en train de s’imposer dans le monde. En s’appropriant le monopole du bien, elle veut créer de nouveaux rapports de force au détriment des « hommes blancs ».
Il n’est rien de plus paradoxal que de voir le mouvement décolonialiste coloniser mentalement la planète. Les réflexes n’ont pas changé : il s’agit de réévangéliser les sociétés en prêchant le multiculturalisme. En effet, la gauche indigéniste veut détrôner «l’homme blanc» pour régner sur le monde de demain. Les décoloniaux sont des conquistadores du progrès : ils ne veulent pas ajuster la mémoire, mais la déconstruire de toutes pièces. Au lieu d’ajouter des nuances au tableau, ils veulent les effacer comme les meilleurs propagandistes de l’URSS.
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Il ne s’agit pas de créer un monde libéré des rapports de pouvoir, mais une société dont le
sommet serait réservé à de nouvelles élites. Les indigénistes ne rêvent pas d’une société
réellement horizontale, mais de reconstruire une pyramide dans laquelle les différents
paliers refléteraient les politiques de discrimination positive. Il ne s’agit pas seulement de
renverser le pouvoir, mais d’inverser le pouvoir. La gauche indigéniste veut abolir ce qu’elle appelle les «privilèges blancs» pour instaurer une sorte de régime de compensation raciale.
Remplacer une hégémonie par une autre
Rien n’illustre mieux le moteur colonisateur du décolonialisme que l’hégémonie de la
gauche universitaire dans le monde intellectuel, à laquelle contribuent beaucoup les démocrates américains, déjà bien radicalisés. Avec des figures comme Alexandria Ocasio-Cortez et Ilham Omar, le Parti démocrate est devenu l’avant-garde mondiale de ce nouveau courant politique. Aux côtés de ces figures de la nouvelle gauche, même Berny Sanders pourrait passer pour le reflet inversé de Trump. Quant à Hilary Clinton, elle passe déjà pour une aristocrate paternaliste. La «blanchitude» ne ment pas : être WASP en 2019, c’est être complètement dépassé dans le pays de l’Oncle Sam.
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Comme les théoriciens de leur propre mouvance, de nombreux démocrates voient maintenant du colonialisme partout. Puisque le racisme serait un système et que ce système serait englobant, rien n’échappe plus aux inquisiteurs : la société entière est visée. «Mais quand on y pense vraiment, quand quelqu’un dit qu’il est trop difficile de créer un espace vert où l’on cultiverait du yucca, par exemple, au lieu du chou-fleur – ou quelque chose du genre – c’est qu’il a une approche coloniale de l’écologisme», déclarait en mai dernier Alexandria Ocasio-Cortez, égérie de la gauche américaine. Refuser de cultiver certains légumes serait aussi devenu la marque du colonialisme. Rien de moins.
Le colonialisme en tout lieu
Depuis déjà plusieurs années, la France subit les assauts de cette gauche américaine qui a complètement court-circuité son universalisme. D’ailleurs, des intellectuels comme
Foucault, auteur rattaché à la French Theory, avaient bien préparé le terrain de cette pensée repentante. À tel point que la laïcité, une politique étant censée favoriser le métissage, incarne maintenant le racisme aux yeux mêmes de certains Français. Il ne s’agit plus seulement d’importer le puritanisme néo-féministe, mais de convertir l’Hexagone à une vision proprement anglo-américaine de la diversité, c’est-à-dire une vision qui amalgame la culture et la nature dans un esprit qui frise le racisme! Nous n’en sommes plus à un paradoxe près…
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La gauche américaine est si puissante qu’elle est parvenue à convertir une partie de la
gauche latino-américaine à son multiculturalisme radical. Il faut notamment lire El País
pour constater à quel point cette réalité est plus que jamais véridique. D’héritage marxiste et surtout réfractaire à tout impérialisme américain, la gauche latina se laisse pourtant conquérir, et il est à déplorer qu’une grande institution comme El País se laisse aussi facilement séduire par ces gringos faisant pénitence.
Par ailleurs, en Amérique latine, l’influence de la gauche américaine se traduit par des séances inédites d’autoflagellation. Récemment, une intellectuelle nous invitait dans les pages d’un journal mexicain à redécouvrir l’héritage africain du Mexique. Les intentions sont bonnes et les faits avérés, mais il n’y a presque plus aucun noir au pays de Benito Juárez, les afro-mexicains s’étant complètement fondus dans la masse. À quelle problématique, donc, vient répondre ce point de vue? Pourquoi dépoussiérer cette histoire? Le Mexique n’a rien d’un Cuba ni d’un Brésil. Serait-ce pour refaire le procès de l’Espagne? Le Mexique doit-il alors se découvrir des origines africaines pour avoir droit à une plus grande part du gâteau décolonial? Enfin, doit-il s’excuser d’être un pays métissé?
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Quand l’impérialisme se veut décolonial
La gauche américaine a fait traduire dans plusieurs langues les concepts qui lui servent
d’armes idéologiques. Les notions de «racisme systémique», de «privilège blanc» et de
«blanchitude» sont devenues monnaie courante dans des régions du monde où elles sont
souvent inapplicables. Quoi de mieux que d’imposer son pouvoir tout en prenant le parti
des faibles? La gauche académique fait fi de la diversité mondiale pour appliquer de
manière uniforme des concepts supposés valoriser les différences. Partout dans le monde, ou presque, cette gauche impose sa vision sans se soucier des réalités locales. Elle applique universellement une grille de lecture américaine qui est parfois défaillante sur son propre terrain. Son succès est si grand qu’elle pourrait réussir à recréer des tensions raciales dans des pays où elles étaient en train de s’atténuer. Un renversement renversant!