Une femme portant le voile intégral dans une rue de Marseille. À la surprise générale, le dépôt d’un projet de loi visant à interdire la burqa a été annoncé hier. Photo : Mario Fourmy Sipa
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Paris — En plein débat sur l'identité nationale, une loi interdisant le port de la burqa (voile intégral) sera déposée à l'Assemblée nationale française dès le début du mois de janvier. La nouvelle a été annoncée par le leader de la majorité en Chambre, Jean-François Copé, à l'issue d'une réunion houleuse des députés de l'UMP tenue hier. Cette proposition survient alors que la France se déchire depuis quelques semaines à l'occasion du débat sur l'identité nationale lancé récemment par le ministre de l'Immigration Éric Besson.
Invoquant le «respect des femmes» et de «l'ordre public», Jean-François Copé a affirmé que son parti désirait aller plus loin que l'interdiction dans les seuls édifices publics. «Nous sommes pour l'interdiction [de la burqa] dans l'espace public», dit-il. Deux propositions devraient donc être soumises aux élus. Un premier texte ayant force de loi invoquera des raisons d'ordre public pour interdire d'avoir le visage couvert dans la rue et les lieux publics. Afin de ne pas être rejeté par le Conseil constitutionnel ou la Cour européenne des droits de l'homme, le projet ne fera pas nommément référence à la burqa.
Un second texte, essentiellement symbolique, affirmera que la burqa porte atteinte aux droits des femmes. L'application de la loi devrait être précédée de plusieurs mois de «médiation» afin de dialoguer avec les femmes concernées. Ensuite seulement le port de la burqa pourra être sanctionné par des amendes, si ce n'est, évidemment, dans des circonstances particulières comme les carnavals ou les tempêtes de neige.
Par cette annonce, le leader des députés de la majorité a pris tout le monde par surprise, y compris une partie de son gouvernement. Cette précipitation n'est d'ailleurs pas au goût de tous. Le président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer (UMP), a jugé le dépôt d'un projet de loi «prématuré», surtout avant la publication du rapport de la commission qui étudie la question. «Sur une telle question mettant en jeu les principes fondamentaux de notre République, dit-il, la recherche prioritaire d'un large consensus s'impose.»
À gauche, certains attribuent cette précipitation à l'approche des élections régionales, aux mauvais sondages de l'UMP et à la remontée du Front national. La proposition vient court-circuiter le travail de la mission d'information sur le port de la burqa présidée par le député André Gérin. Après avoir parcouru la France, les élus s'apprêtaient à déposer leur rapport à la fin du mois de janvier. «Six mois d'auditions d'experts de tous horizons pour la galerie?», demandait hier le magazine Le Point.
Pendant quatre mois, les commissaires ont entendu un grand nombre d'experts aux opinions souvent divergentes. Plusieurs ont exprimé leur crainte qu'une loi ne stigmatise inutilement les populations musulmanes. Sans se prononcer pour une loi, la philosophe Élisabeth Badinter avait affirmé que «le port du voile intégral piétine littéralement les principes de liberté, d'égalité et de fraternité». Une dernière catégorie d'intervenants réclamait une loi afin de protéger les femmes à qui l'on imposait la burqa.
Il se pourrait aussi que la précipitation des députés de l'UMP s'explique par la crainte de se faire damer le pion par ceux de l'opposition. Lundi, dans une lettre publiée par le quotidien Libération, les socialistes Manuel Valls, Aurélie Filippetti et Philippe Esnol se prononçaient pour le «bannissement» du voile intégral dans «l'espace public». «Le port du voile intégral nuit à la société et à l'ordre public dans la mesure où il soustrait au regard d'autrui les femmes qu'il recouvre», expliquaient-ils. Selon eux, il s'agit d'«une atteinte à la dignité humaine [...] car une femme dont on ne peut lire les expressions du visage perd de son humanité».
Des avis divergents
L'idée d'une loi interdisant la burqa ne fait cependant l'unanimité ni à droite ni à gauche. La semaine dernière, trois ministres ont émis des avis divergents. Le ministre de l'Immigration, Éric Besson, s'est prononcé pour l'interdiction totale du port de la burqa. Celui de l'Intérieur, Brice Hortefeux, n'envisageait cette interdiction que dans les services publics comme la poste, les mairies ou les transports en commun. Enfin, le ministre du Travail, Xavier Darcos, jugeait difficile de «proclamer l'illégitimité» d'une «servitude volontaire».
La gauche est aussi divisée. La première secrétaire du Parti socialiste, Martine Aubry, a dit préférer la prévention à la répression. Plusieurs parlementaires socialistes, comme Jean Glavany, sont cependant en faveur d'une loi.
Cette annonce intervient alors que les élus se déchiraient déjà sur l'opportunité du débat sur l'identité nationale lancé récemment par le ministre Éric Besson. Depuis le vote contre la construction de minarets en Suisse, ce débat qui n'est encadré par aucune commission ni aucun expert s'est concentré sur l'immigration. Selon les sondages, 50 % des Français souhaitent sa suspension, sinon son interruption définitive. À peine 34 % veulent le poursuivre. Deux pétitions, à l'initiative du site Internet Médiapart et de l'organisation SOS Racisme, ont demandé d'y mettre fin après que des élus ont profité des assemblées organisées dans les départements pour faire des déclarations visant directement les musulmans. Quelques-uns des principaux ténors de la droite, comme Dominique de Villepin, François Baroin, Jean-Pierre Raffarin et Alain Juppé, se sont désolidarisés publiquement d'Éric Besson.
Signe que le débat déchire tant la majorité que l'opposition, hier, la secrétaire d'État aux Aînés, Nora Berra, a claqué la porte de la réunion des députés de l'UMP où l'on discutait de la burqa. Elle a ainsi voulu protester contre les propos qu'elle juge «anti-laïques» prononcés par le député (UMP) et ancien ministre de la Justice, Pascal Clément. Celui-ci aurait affirmé que «le jour où il y aura autant de minarets que de cathédrales en France, ça ne sera plus la France». Jean-François Copé a aussitôt répliqué que ces propos n'avaient «rien à voir avec le débat sur la burqa».
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