C'est une hypothèse hardie, mais plausible. Au vu des attentats avortés de Londres et de Glasgow, on peut au moins la poser... Voilà: l'organisation Al-Qaïda, la terrible Al-Qaïda, serait-elle -- sur le théâtre occidental -- en voie d'être terrassée? Et plus particulièrement: après New York, Madrid et Londres, les Britanniques auraient-ils trouvé le secret de la victoire?
La «famille» islamique internationale, si elle existe, est unie par une haine de l'Occident, par le mythe du Djihad, par l'image ectoplasmique d'un Oussama Ben Laden... Mais au-delà de cette unité superficielle, qu'en est-il de sa cohésion réelle, de son unité opérationnelle, de sa capacité d'action? Pourquoi, aujourd'hui en Grande-Bretagne, al-Qaïda paraît-elle affaiblie, loin de l'Hydre toute-puissante qu'on se représentait naguère?
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Il y a d'abord le raffinement toujours plus grand des méthodes déployées par Scotland Yard et le MI-5: multiplication des effectifs de prévention et de répression; extension des écoutes téléphoniques (2000 présumés sympathisants d'al-Qaïda seraient sous surveillance); déploiement technologique sans précédent (4 millions de caméras de surveillance sur le territoire national !)...
Il y a aussi la longue expérience britannique du terrorisme (qui fut en quelque sorte «national» -- avec l'Armée républicaine irlandaise -- avant d'être inspiré de l'étranger). Il y a les méthodes policières qui ont causé de terribles bavures (le martyr Jean-Charles de Menezes, pur innocent tué par la police dans le métro de Londres en juillet 2005), tout en augmentant le niveau général de sécurité.
Corollaire de cette approche systématique, de ce déploiement sans précédent: en Grande-Bretagne, les apprentis terroristes... s'avèrent de plus en plus des apprentis, et de moins en moins les terroristes professionnels que semblaient être leurs prédécesseurs. Les arrestations se multiplient, les rangs se raréfient... La «relève» paraît marquée par la jeunesse, l'improvisation, l'amateurisme: témoins, ces bombes artisanales et ces détonateurs qui ne marchent pas...
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Le succès britannique peut paraître encourageant, et il l'est sans doute... Pour autant, le terrorisme n'est pas en reflux à l'échelle globale.
Une explosion ou un attentat avorté à Londres recevra cent fois plus de couverture qu'un événement semblable à Srinagar, à Grozny... ou même à Bagdad. Le malheur des Londoniens attire la lumière et la sympathie du monde. Il attire aussi l'argent qui, depuis quelques années, coule à flots pour contrer le terrorisme. Ce n'est pas forcément le cas ailleurs!
Depuis l'invasion de l'Irak, le nombre d'attentats terroristes n'a cessé d'augmenter: selon le département d'État américain (avril 2007), ce nombre est passé de 11 153 en 2005 à 14 338 en 2006, une hausse de 30 %. L'Irak et l'Afghanistan bien sûr, mais aussi le Yémen, l'Algérie, le Cachemire, le Sri Lanka, sont des endroits où les civils risquent régulièrement d'être fauchés par une bombe aveugle...
En Europe, des pays comme l'Espagne ou la Grande-Bretagne, qui ont longtemps connu le terrorisme «de l'intérieur» (IRA, ETA) avant d'expérimenter les bombes «islamiques» de 2004 et 2005, connaissent le tabac. Ils sont peut-être en train de mettre en place une cuirasse efficace.
Et puis il y a le «cas» américain, presque un mystère... Depuis septembre 2001, en effet, rien, absolument rien à inscrire dans la colonne «attentats terroristes» sur le territoire des États-Unis! Hormis des tueries périodiques à l'arme automatique sur les campus -- événements sans rapport avec les réseaux internationaux -- on ne compte aucune bombe, aucun missile qui tue des innocents, pas de kamikaze sur Times Square, ni d'avion infernal lancé sur une tour de Chicago. Pas davantage d'attentats à l'anthrax ou à l'arme chimique, qu'on nous annonce régulièrement comme probables...
Les Timothy McVeigh et Unabomber -- dérangés solitaires des années 1980-90 -- n'ont pas fait d'émules, tandis que les réseaux étrangers n'ont pas voulu -- ou pu -- rééditer l'horreur de septembre 2001 dans le «sanctuaire» nord-américain...
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Peut-être, contre toute attente, la «forteresse Occident» est-elle en train de déjouer les complots et de répondre efficacement à la question : comment stopper les terroristes à nos portes? Mais sans pour autant régler la question de fond: comment prévenir le terrorisme dans le monde?
Selon cette hypothèse, les polices et services secrets auraient appris de l'expérience. Ils seraient arrivés, au prix de dépenses et d'efforts colossaux, à ériger des barrières efficaces. Ce n'est pas sûr, mais c'est ce que suggèrent les derniers événements...
Mais dans cette hypothèse, il y a au moins deux «perdants», comme prix à payer pour cet exploit. D'abord, les droits et libertés en Occident... car la société «sécuritaire» est une société du soupçon, de l'espionnage et du tout-policier. Danger! Et ensuite, tous les miséreux irakiens, afghans et autres Yéménites ne pourront jamais, eux, se payer les trésors technologiques et logistiques de l'Occident dans leur lutte contre ce fléau... Résultat: les bombes n'exploseront plus à Madrid et à Londres, mais continueront de le faire à Bagdad et à Colombo.
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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada
francobrousso@hotmail.com
La forteresse Occident
Nouvel Ordre mondial
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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
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