«Jamais à Washington n’a-t-on vu un parti au pouvoir si incapable d’accepter l’alternance, si vindicatif, si avide de trouver des boucs émissaires» – la journaliste Diana Johnstone* fait le point sur les derniers jours des démocrates au pouvoir.
En 2016, le Parti de guerre étatsunien était sûr de pouvoir poursuivre sa politique habituelle d’hégémonie mondiale avec l’élection à la Présidence de sa candidate, Hillary Clinton. Face à sa défaite inattendue, déchirante, inacceptable, le Parti de guerre dans son désarroi s’est mis à mimer sa propre caricature de «l’ennemi», la Russie – grande nation qu’Obama qualifie bizarrement de «petite». Son dépit est sans limites.
Pour Hillary Clinton, l’élimination du «dictateur» Khadafi fut son plus grand succès et devait la qualifier pour la présidence grâce au succès de sa «stratégie de changement de régime». Ses emails révélés par le FBI sont la preuve de cette attente. Hillary avait adopté avec enthousiasme la politique des néoconservateurs et des interventionnistes libéraux prônant le renversement de gouvernements qui manquaient de respect pour la seule superpuissance, nation exceptionnelle, indispensable et unique leader du monde. L’impertinence de Vladimir Poutine, ouvertement en faveur d’un «monde multipolaire», l’a hissé à la première place dans la liste des méchants. Il est promu «dictateur» et «menace existentielle» aux yeux de la nation exceptionnelle, cible numéro un du changement de régime.
Mais dans un drôle de renversement, Hillary Clinton et ses partisans politiques et médiatiques s’accordent pour attribuer sa défaite à un complot mené par Vladimir Poutine visant à changer le régime aux Etats-Unis. On dirait un cas classique de projection psychologique, poursuivie au niveau institutionnel. Ce que Hillary rêvait de faire à Poutine, Poutine l’aurait fait à Hillary.
En conformité avec cette projection, l’essentiel de ce qui s’appelle «la gauche» aux Etats-Unis se comporte comme Hillary espérait voir se comporter les Russes, en allant dans les rues pour montrer leur «résistance au dictateur» – sauf que le dictateur est le président élu des Etats-Unis, Donald Trump.
Cette prétendue gauche est trop absorbée à proclamer sa résistance héroïque à la prochaine dictature pour remarquer les mesures dictatoriales en train d’être mises en place par le régime sortant. A commencer par la stigmatisation des opinions contraires, accusées d’être propagande de l’ennemi.
Les multiples efforts, souvent réussis, du gouvernement américain pour renverser les gouvernements d’autres pays sont notoires et bien documentés. Les moyens des Etats-Unis sont connus et visibles, contrairement aux moyens que Poutine aurait employés pour faire élire Trump. Ceux-ci seraient invisibles, flottant quelque part dans le cyberspace. Il s’agirait du piratage de communications électroniques, pratiqué à grande échelle par les agences du gouvernement américain, ainsi que révéla Edward Snowden.
On accuse le perfide Poutine d’avoir fait pirater les conversations internes du comité national du parti démocrate montrant que les dirigeants du parti avaient trompé l’opinion afin de faire perdre la nomination à Bernie Sanders, grand rival de Hillary Clinton. En tant que «secret d’état», ce bavardage politicien n’est pas exactement l’équivalent des plans du prochain supermissile du Pentagone. Et l’on n’a ni les preuves convaincantes de l’implication russe dans ce supposé espionnage, ni les preuves que c’est cela qui aurait causé la défaite de Mme Clinton. Mais le soupçon répété en continu par les grands médias et les autorités de l’Etat suffit pour motiver Obama à imposer de nouvelles sanctions contre la Russie et à expulser une trentaine de diplomates et leurs familles.
Pour divertir l’attention du contenu des emails incriminés, les organes de presse du régime, The Washington Post et The New York Times, ont diffusé avec zèle l’accusation selon laquelle la débâcle électorale fût causée par des «fausses nouvelles» répandues par Internet, le grand rival montant de la presse écrite, en déclin accéléré. Ainsi on annonça la chasse aux «fausses nouvelles», les sorcières de l’âge informatique.
Dans ce but, le 23 décembre, le Président Obama a signé une loi de programmation qui inclut une provision stipulant la création d’un véritable ministère de la Vérité, appelé «Global Engagement Center» — nom légèrement totalitaire par ses connotations. Attribuant ainsi au Pentagone l’autorité de décider entre le «vrai» et le «faux», la loi précise que le but du nouveau Centre serait de «synchroniser les efforts gouvernementaux pour reconnaître, comprendre, exposer et agir contre les efforts de propagande et de désinformation, menés par des Etats étrangers ou des entités non-étatiques, visant à saper les intérêts de la sécurité nationale des Etats-Unis.»
L’origine de cette mesure se trouve dans l’affirmation largement diffusée sans preuve que Vladimir Poutine aurait réussi à détourner le fonctionnement de l’élection présidentielle américaine en employant des «fausses nouvelles» non-identifiées.
Ayant bombardé, envahi et ruiné l’Irak dans le but d’éliminer des «armes de destruction massive» inexistantes, le Pentagone est particulièrement qualifié pour ce rôle de traquer les inexactitudes. La loi autorise des subventions destinées aux «médias locaux indépendants» qui «réfutent la désinformation et la manipulation étrangère». Il s’agit là d’une invitation ouverte à qui veut se faire rémunérer en propageant la ligne officielle de créer un «media local indépendant» suffisamment orthodoxe pour mériter une subvention. Evidemment, avec cette pratique, le mot «indépendant» rejoindra le vocabulaire orwellien des contresens.
C’est un drôle d’aveu d’impuissance que de considérer que la libre circulation de l’information, qui forcément comporte des erreurs et des mensonges, soit une menace pour la «sécurité nationale» du pays le plus armé de toute l’histoire.
C’est étrange aussi d’introduire une telle loi à la veille de la prise du pouvoir par le candidat accusé d’avoir été élu précisément grâce aux «fausses informations» d’origine russe que la loi est censée combattre. C’est donc une loi adoptée par le Président sortant contre son successeur, surtout si celui-ci travaille pour améliorer les relations avec la Russie. Mais le nouveau Président, une fois au pouvoir, qu’en fera-t-il ?
Jamais à Washington n’a-t-on vu un parti au pouvoir si incapable d’accepter l’alternance, si vindicatif, si avide de trouver des boucs émissaires, si prêt à violer toutes les bienséances démocratiques et diplomatiques, si prêt à pratiquer la politique de la terre brûlée, même aux dépens de ces «valeurs» dont il se proclame le défenseur indispensable, à commencer par la liberté d’expression ?
On a toute raison de souhaiter que la folie de l’année 2016 céde la place à un peu de bon sens en 2017.
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