Comment s’est passée la période 2001-2006 pour le français au Canada? Que nous annonce ce début du XXIe siècle quant à la place du français dans le Canada de demain?
Pour bien répondre, il faut suivre attentivement le profil linguistique de la population, comme nous l’avons fait pour le Québec dans notre chronique précédente. Cela implique, entre autres, de ne pas tenir compte uniquement des Canadiens recensés, mais aussi des estimations de Statistique Canada portant sur le nombre et la langue maternelle des personnes qui n’ont pas répondu aux deux recensements en cause.
Ces précautions prises, on constate que le poids des francophones, langue maternelle, au Canada a glissé de 22,6 % en 2001 à 21,6 % en 2006. Ce recul d’un point de pourcentage en 5 ans est le plus rapide depuis que l’on recueille l’information sur la langue maternelle.
Recul record, donc, qui accentue une tendance à la baisse solidement engagée depuis la Seconde Guerre mondiale. Tendance qui, au total, a fait perdre à la population francophone 7,5 points de son poids dans le Canada. Les francophones comptaient pour 29 % de la population en 1951.
Par contre, la majorité anglophone maintient son poids. Elle représentait 59 % de la population du Canada en 1951, et 58 % en 2006.
Notre graphique le montre clairement : la dualité canadienne est en train de prendre le bord pour de bon.
La même tendance sévit quant à la langue d’usage à la maison. Depuis que le recensement fournit cette information, le poids de la population de langue d’usage française a perdu près de 5 points, passant de 25,7 à 21 % de la population du Canada entre 1971 et 2006. En revanche, la population de langue d’usage anglaise comptait pour 67 % en 1971 comme en 2006.
L’assimilation linguistique explique pourquoi, au Canada, le poids du français, langue d’usage, demeure toujours inférieur à celui du français, langue maternelle, alors que l’inverse est vrai pour l’anglais. Nous y reviendrons.
En chiffres réels, la population canadienne a augmenté d’un million et demi de personnes entre 2001 et 2006. Au cours de ces 5 années, la population anglophone a augmenté de plus d’un demi-million.
La population francophone, elle, n’a augmenté que de 10 000. Aussi bien dire zéro. Une autre première.
Quant aux allophones, ils ont augmenté de près d’un million. Aujourd’hui, à un an du recensement de 2011, la population allophone du Canada a sans doute dépassé en importance la population francophone. Encore une première.
Comment se fait-il qu’en chiffres réels, l’effectif anglophone pète le feu pendant que l’effectif francophone se trouve au bord du déclin? Comment se fait-il qu’en chiffres relatifs, la majorité anglophone maintient son poids, tandis que le poids de la minorité francophone fond à vue d’œil?
Serait-ce dû à la fécondité? Pas vraiment. Fécondité anglophone et fécondité francophone se collent de près depuis la Seconde Guerre mondiale.
Serait-ce à cause de l’immigration allophone? Encore moins. L’arrivée de forts contingents d’allophones devrait abaisser le poids de la majorité anglophone de plus de points que celui de la minorité francophone. Or, rien de tel ne s’est produit.
Non. C’est plutôt l’assimilation qui fait la différence.
Bon an mal an, le recensement compte au Canada, et notamment au Québec, un certain nombre d’anglophones francisés, c’est-à-dire qui déclarent parler le français comme langue d’usage à la maison. Cependant, le nombre de francophones qui se déclarent anglicisés est plus élevé, même au Québec. En chiffres ronds, cela se soldait en 2006 par un nombre net de 400 000 francophones anglicisés dans l’ensemble du Canada, dont 10 000 au Québec.
Cette anglicisation se répercute doublement sur le rapport de force entre anglophones et francophones au Canada. Les francophones anglicisés font normalement des enfants anglophones. Le remplacement des générations francophones en pâtit alors que celui des générations anglophones en profite.
D’une pierre deux coups, donc. Cette anglicisation mine le poids des francophones et, à la fois, contribue à maintenir celui des anglophones.
En même temps, le Canada comptait en 2006, toujours en chiffres ronds, un total net de 2,4 millions d’allophones anglicisés, en regard de seulement 200 000 francisés – qui se trouvaient presque tous au Québec. Par conséquent, l’assimilation des allophones contribue 12 fois plus d’enfants au remplacement des générations anglophones qu’à celui des générations francophones.
Pour le français, ses maigres gains parmi la population allophone, surtout au Québec, comblent à peine la moitié de ses pertes dues à l’anglicisation des francophones, surtout dans le reste du Canada.
Calculons, pour voir. Au total, le gain net de l’anglais au Canada par voie d’assimilation s’élève à 2,8 millions de nouveaux locuteurs usuels (2,4 millions d’allophones anglicisés, plus 400 000 francophones anglicisés). C’est du monde à la messe! Cela suffit pour compenser à peu près entièrement la sous-fécondité anglophone.
Le français, lui, essuie au total une perte nette de 200 000 (200 000 allophones francisés, moins 400 000 francophones anglicisés). Ce qui creuse le déficit entre les générations francophones.
De façon globale, l’assimilation produit un déplacement de 3 millions de locuteurs – gain de 2,8 millions pour l’anglais, perte de 200 000 pour le français – dans le rapport de force entre les deux langues.
Ainsi, c’est l’assimilation qui, pour l’essentiel, explique pourquoi la majorité anglophone se porte si bien au Canada et la minorité francophone, si mal.
La performance du français au Québec en matière d’assimilation demeure, dans cette optique, de la bien petite bière. Au vu de ce qui se passe à l’échelle du Canada, qu’on puisse encore hésiter à renforcer la loi 101 dépasse l’entendement.
L’assimilation a beau jouer le rôle clé dans le déséquilibre croissant entre l’anglais et le français au Canada, le mot même se trouve banni du livre de Statistique Canada et de Patrimoine canadien, Les langues au Canada : recensement de 2001.
Dans la novlangue de cette publication, l’assimilation devient « la tendance des enfants d’immigrants [et] des enfants nés de couples anglais-français à apprendre l’anglais comme langue maternelle ». Comme si l’initiative en revenait à l’enfant, sans assimilation préalable des parents et, sans doute, avec l’intercession du Saint-Esprit.
Que l’assimilation gonfle de 3 millions le rapport de l’anglais au français indiffère également Josée Boileau du Devoir. En éditorial, elle a jugé « déplacées » les préoccupations quant à la langue parlée à la maison. « L’État, pour reprendre l’expression célèbre, n’a pas plus à faire dans la cuisine ou le salon que dans la chambre à coucher », a-t-elle décrété.
Pareilles œillères expliquent peut-être pourquoi Le Devoir ne publie plus rien au sujet de l’assimilation. Boileau sait-elle que si le recensement pose une question sur la langue d’usage à la maison, c’est suite aux recommandations, entre autres, de l’ONU et… d’André Laurendeau?
En rabattant le couvercle sur l’assimilation, au moins les organismes fédéraux ont-ils l’excuse de devoir faire leur part dans la croisade pour l’unité canadienne et, par conséquent, de devoir rassurer quant à l’avenir du français.
Là aussi, cependant, la démarche est vraiment trop grosse. Dans le livre cité ci-dessus, Réjean Lachapelle, grand pontife des données linguistiques à Statistique Canada, glisse sur l’effet de l’anglicisation : « Au cours du XXe siècle, […] la dualité linguistique canadienne a persisté. Les deux groupes ethniques majeurs, le français et le britannique, représentaient près de 90 % de la population du Canada en 1901; en 2001, environ 90 % de la population y parle le plus souvent à la maison le français ou l’anglais. »
Ce qu’il ne dit pas, c’est que les groupes français et britannique comptaient respectivement pour 30 et 60 % de la population du Canada en 1901 alors qu’en 2001, 22 % de la population y parlait le plus souvent à la maison le français mais 67 %, l’anglais. C’est que depuis le milieu du XXe siècle, comme nous l’avons vu, la dualité canadienne fout le camp.
La majorité anglophone du Canada, au moyen de sa constitution, de sa charte des droits, de sa Cour de Pise et de l’assimilation, est en train de pousser la minorité francophone vers l’insignifiance.
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