Grandes ambitions, volontarisme énergique et peu d’appui populaire. C’est la base sur laquelle le nouveau président de la France veut appliquer, avec une nouvelle image, tout ce qui a échoué durant les dernières décennies. Pour arriver à sa trompeuse victoire électorale, le jeune Macron a du abolir l’alternance et le quasi pluralisme institutionnel en France. Pour faire son omelette, il a mis le feu à la cuisine. Cette victoire, qui va se défendre avec des méthodes autoritaires, sera, sûrement, son plus grand facteur d’échec à moyen et à long terme.
Kremlinologie à l’Élysée
Les gouvernements français ont l’habitude d’être remplis de ministres qui veulent être présidents. Des personnages qui conspirent et manœuvrent pour cela depuis leur fonction. Avec François Hollande, il y en avait plusieurs dont les ambitions étaient manifestes ; Arnaud Montebourg, Manuel Valls et Emmanuel Macron, lui-même, le plus malin et discret de tous qui a fini par s’emparer du trône. Au sein du gouvernement de Macron, il n’y a pas trace de ces « conspirateurs ambitieux ». Le Président a été vacciné contre le rôle que lui même a joué comme ministre de Hollande. Si on excepte Bruno Le Maire, un poids léger de la droite qui est à la tête de l’économie (au cas où, Macron a mis comme second son plus fidèle collaborateur Benjamin Griveaux), dans le nouveau gouvernement français il n’y a pas d’hommes politiques. Seulement des technocrates obéissants.
Sur la photo de groupe que Macron a faite mercredi avec ses ministres dans le jardin de l’Élysée, le Président a cassé la tradition et ne s’est pas placé devant, mais au milieu de ceux-ci. Cela semble plus démocratique, mais ce n’est qu’une question d’image : tout le monde sait bien qui est « le chef », comme on l’appelle dans son entourage. Macron veut être un président « total ». Commander beaucoup et parler peu (« La parole présidentielle sera rare », a-t-il dit). Ses ministres seront disciplinés, les fuites ne seront pas admises et si elles existent elles seront sanctionnées. « Ce gouvernement à vocation à durer », a-t-il dit après la photo.
Les médias, à 80 % aux mains de magnats qui l’appuient, n’ont pas prêté une grande attention au fait que trente jours ont suffi pour que le nouveau gouvernement « irréprochable et exemplaire » subisse sa première crise : quatre ministres éclaboussés par des irrégularités économiques ont sauté de leurs postes. Malgré la vice structurel dans lequel ils sont plongés, les médias français adorent démolir les idoles qu’ils ont contribué eux–mêmes à créer. Combien durera dans sa forme actuelle cette indulgence médiatique viciée ?
Programme et objectifs
Présenté comme novateur et original, souvent avec des formules à la « nordique » et des sophistications conceptuelles, pour camoufler de simples et vieilles politiques néolibérales de coupe sociale, le programme de Macron n’a pas grande chose d’original : il s’agit d’appliquer une fois pour toutes en France le catalogue complet de Bruxelles/Berlin.
Le discours habituel affirme que cette régression sociale et dans le monde du travail n’a jamais pu s’appliquer en France, un pays « conservateur » avec un « excès d’État » et de fonctionnaires, et que ces réformes « libéreront les énergies du pays ». En réalité on essaie d’imposer de force une réduction des retraites de 20 %, une baisse des salaires, une réduction de la fonction publique (120 000 fonctionnaires en moins) et une « flexibilité » qui donne des ailes à la précarité.
« Il est le politique anglophone et germanophile dont l’Europe a besoin », a-t-il dit de lui la revue Foreign Affairs. « Son ascension peint bien pour les actionnaires et les entrepreneurs qui demandent une refonte d’urgence nécessaire du marché du travail français », remarque un commentateur de l’agence Bloomberg. « Le sauveur de l’Europe » délire sur une couverture The Economist avec un point d’interrogation. Et derrière ceux-ci, la cacophonie habituelle de toute une armée de perroquets.
L’objectif est d’imiter le « modèle allemand », en augmentant la frange de bas salaires qui en Allemagne affecte 22,5 % des salariés (7,1 millions de personnes) et en France seulement 8,8 % (2,1 millions). Avec ces recettes, on pourra arriver aux niveaux « satisfaisants » allemands de chômage. Le chômage en Allemagne est à 3,9 % selon Eurostat, et à 5,8 % selon le Bureau Fédéral de Statistique Allemand, qui utilise comptabilité différente de l’européenne. Mais depuis des années, on sait que, grâce à diverses astuces comptables qu’ils balaient sous le tapis des pans entiers de la population active, le chiffre réel du chômage est bien supérieur, à 7,8 % actuellement. C’est-à-dire seulement deux points de moins qu’en France et avec plus de précarité parmi les salariés et plus de pauvreté parmi les retraités, un problème à peine existant en France. L’Allemagne, qui a une démographie mourante, n’est pas un modèle pour la France avec son taux de natalité dynamique et son plus grand besoin de services publics.
Que la France n’ait pas fait de réformes dans cette direction, fait partie du mythe. La tentative téméraire de Macron est la culmination radicale de trente ans d’hégémonie néolibérale dans la politique et dans les médias de la France, quelque chose qui a commencé avec Valéry Giscard d´Estaing en 1974, a été poursuivi par Mitterrand (en trahissant son programme initial en 1983) et continué depuis ce temps-là par tous les présidents « dit de gauche » et de droite qu’a connu le pays. La mondialisation veut détruire une tradition nationale d’état fort particulièrement appréciée par les français et qui fonctionne économiquement beaucoup mieux que ce qu’on dit.
En termes généraux, le modèle politique de Macron est la « marktkonforme Demokratie » (la démocratie adaptée au marché) de Madame Merkel, y compris la marginalisation de l’opposition parlementaire. L’entreprise et la méritocratie n’avaient jamais été si présentes dans le gouvernement. Les secteurs privilégiés n’avaient jamais pesé autant (au-dessus de 70 %) dans le corps de députés.
Idéologiquement Macron est, selon la définition du fondateur d’Attac Peter Wahl, « un mélange programmatique du récit libéral de gauche - vert-alternatif (questions de genre, de minorités sexuelles, d’environnement, d’européisme et de cosmopolitisme), de modernisme start-upiste numérique dans la ligne « uber pour tous », une bouffée d’euphorie make France great again, et un néolibéralisme presque à la Margaret Thatcher avec un visage humain ».
Sa feuille de route est « gaidariste » (pour Yegor Gaidar, auteur de la « thérapie de choc » russe) : introduire rapidement et par décret une régression dans l’univers social et du monde du travail à partir de cet été, et contenir la réponse sociale qui suivra grâce à l’introduction dans le droit commun, à partir de l’automne, des préceptes liberticides des mesures d’exception contenues depuis un novembre 2015 dans « l’état d’urgence » encore en vigueur.
En Russie, la « thérapie de choc » de Gaidar (1991) a eu besoin d’un coup de l’état (1993). La France n’est pas la Russie, mais Macron a beaucoup de possibilités, et toutes les positions pour être le Président autoritaire de la France.
Il a aussi beaucoup de possibilités d’échouer, par sa politique en matière sociale et professionnelle erronée et imposée, et parce que sa base sociale et électorale (la France de ceux d’en haut et le vote de 16 % des inscrits) est réduite. La somme des deux choses jette une faible légitimité (qui contraste beaucoup avec sa majorité écrasante absolue dans les institutions et les médias de communication) et transforme en quelque chose de téméraire son ambition autoritaire de redresser la France en finissant de la casser.
Les ambitions et les risques
Seul un jeune homme de 39 ans, convaincu de son propre génie et qu’il ne doit rien à personne, et qui ignore l’échec, peut unir une relation si explosive entre ambitions et risques. La dévaluation salariale et des retraites de 20 % recherchée, échouera parce que la demande intérieure va couler et que le chômage augmentera en France. Macron devrait augmenter les salaires, mais même s’il le voulait, il ne le pourrait pas, parce qu’il est emprisonné dans le schéma allemand qui domine l’Europe. Sa consigne européenne, « L’Europe qui protège », est en contradiction directe avec le programme néolibéral, c’est-à-dire avec le projet européen. La situation des comptes publics français pour respecter le dogme allemand de 3 % de déficit et les autres conditions requises, s’annonce compliquée. Dans l’improbable supposition que le macronisme tente une politique alternative en Europe, il devrait renier de l’actuel projet européen. S’il ne fait rien, il continuera de nourrir tout ce qui rend aujourd’hui plus de la moitié des français souverainistes. Le ministre de l’Économie français, le poids léger Bruno Le Maire, est totalement incapable d’affronter le poids lourd allemand Wolfgang Schäuble.
Macron a de grandes ambitions. Il dit que sa présidence supposera, « une renaissance de la France et j’espère de l’Europe ». La simple réalité est que son échec sèmera le chaos en France, où l’indignation prendra la relève de l’actuelle indifférence et de la sourde déception, et par extension il aggravera la situation dans cette Union Européenne qui cherche des sorties à son imbroglio compliqué dans la militarisation et le bellicisme, de « l’Europe de la défense ».
Le premier adversaire de Macron sera, une répétition, augmentée, de ce qu’on a vu au printemps dernier : une alliance de la jeunesse et du syndicalisme radicalisé qui pourrait pousser vers une grande révolte. Pour évaluer si cela peut donner lieu à des convulsions sérieuses, il suffit de comprendre une chose : que la situation actuelle n’a pas d’alternative institutionnelle.
Pour arriver où il est arrivé, Macron et les forces oligarchiques qui l’ont porté dans le dernier cycle électoral ont eu à dynamiter l’alternance et presque le pluralisme institutionnel dans le pays (l’incendie de la cuisine). Dans les institutions françaises, il n’y a déjà plus qu’un seul parti. Le conglomérat macroniste, étendu à ses satellites (socialistes et conservateurs « constructifs » envers le Président), il a 80 % des députés alorsqu’il a obtenu le vote réel de 16 % des français.
Cette victoire, sera à moyen et long terme son plus grand facteur d’échec, parce que cette abolition condamne l’opposition à un statut « antisystème » : toute force sociale qui s’oppose au macronisme aura à changer le régime. Un scénario très russe, qu’il rappelle le drame de l’autocratie mais en France.
L’autoritarisme macroniste qui s’annonce est la dernière cartouche de l’establishment pour dissoudre/changer la France. Son échec n’aura pas d’alternative dans l’actuel cadre institutionnel, la Veme République, et probablement, pas non plus dans l’actuel système. À partir de ce pronostic, tous les paris sont permis …
Rafael Poch*
La Vanguardia. Barcelona, le 23 Juin 2017.
Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi
El Correo de la Diaspora. Paris, le 24 juin 2017
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