LA DÉMOCRATIE QUÉBÉCOISE MENACÉE…
N’est-il pas paradoxal que les médias québécois, qui se targuent d’être les gardiens de certains droits fondamentaux, passent presque sous silence l’une des pires menaces qui pèsent sur notre démocratie au Québec, à savoir la concentration de la presse ? Une concentration ayant atteint un niveau au Québec et au Canada qui est le plus élevé parmi les pays de l’OCDE. En fait, le niveau de concentration de la presse ici est rendu tel qu’il faut pratiquement se tourner vers les systèmes politiques totalitaires pour trouver l’équivalent ou pire.
Il y a plus de 30 ans, en 1981, la Commission Kent sonnait l’alarme et s’inquiétait de la situation de concentration de la presse au Canada. En 2000, c’était au tour de Robert Picard, directeur du Media Group du Turku School of Economics and Business de Finlande, d’écrire ce qui suit en parlant du Canada : « Je crois que le niveau de concentration, en particulier dans l’industrie des quotidiens au Canada, dépasse certainement tout ce que les normes raisonnables permettent ailleurs ».
Voir la paille pour mieux oublier la poutre
Aujourd’hui, les choses n’ont fait que s’aggraver alors que les empires Quebecor et Power Corporation, par sa filiale Gesca, ont renforcé leur emprise et leur contrôle sur la presse au pays et, plus particulièrement, au Québec. C’en est rendu à un point tel que les Péladeau et Desmarais contrôlent à eux seuls pratiquement la totalité de la presse écrite quotidienne au Québec. Et dire que certains chroniqueurs de leurs journaux osent parfois s’inquiéter du trop grand pouvoir des syndicats !
C’est un peu comme la parabole de la paille que l’on voit dans l’œil du voisin en oubliant de regarder la poutre qui se trouve dans son œil propre. Ces mêmes chroniqueurs, qui aiment bien inquiéter leurs lecteurs avec le supposé pouvoir des syndicats, ne montrent curieusement pas autant de zèle pour dénoncer la concentration de la presse au Québec qui, elle, représente pourtant une menace réelle pour notre démocratie.
Le silence des adorateurs de la liberté individuelle
Et que dire du silence de nos apôtres de la droite libertarienne au Québec et de leurs disciples, notamment la clique de RLQuistes à Éric Duhaime et Joanne Marcotte, si prompts à dénoncer les syndicats comme des menaces pour la liberté, mais complètement aveugles à l’influence disproportionnée exercée par deux empires de presse sur la formation de l’opinion publique au Québec ? Il faut reconnaître que le fait que leurs gourous, Duhaime et Marcotte, sans oublier Nathalie Elgrably-Lévy, bénéficient de leurs propres chroniques dans les quotidiens de Quebecor pour répandre les idées de droite qui leurs sont si chères, doit sans nul doute contribuer à étouffer les sursauts de leur conscience… s’il y a lieu.
Le problème de concentration de la presse au Québec est pourtant bien réel. Non seulement la presse quotidienne est sous le contrôle de deux empires, mais nos gouvernements ont également permis à Quebecor de mettre la main sur le plus important réseau privé de télévision au Québec, TVA, ainsi que sur Videotron. Une situation de propriété croisée qui n’aurait pas été permise dans aucun autre pays de l’OCDE, notamment aux États-Unis où le capitalisme est roi.
Un quatrième pouvoir qui passe au premier rang
Au Québec, tout se passe comme si le quatrième pouvoir avait déclassé les trois autres et trônait maintenant au premier rang. Les empires Quebecor et Power Corporation, notamment avec l’entente de collaboration entre Gesca et Radio-Canada, ont acquis une telle influence sur l’opinion publique qu’ils peuvent presque faire et défaire les gouvernements à leur guise. Ai-je besoin de rappeler la crise des accommodements raisonnables qui a fait rage dans les journaux entre mars 2006 et avril 2007, alors que les journalistes des deux empires se relayaient à qui mieux mieux pour débusquer les « situations scandaleuses » ?
Une étude réalisée par Maryse Potvin, professeure au Département d’éducation et formation spécialisées à l’UQAM et chercheure au Centre d’études ethniques des universités montréalaises et au Centre Métropolis du Québec, a démontré que la crise des accommodements raisonnables avait été créée de toutes pièces par les médias. En effet, plus de 75 % des supposées « affaires d’accommodements raisonnables » rapportées étaient des ententes privées ou des faits anecdotiques montés en épingle par les journalistes.
Quand les médias tirent les ficelles politiques…
Cette propagande médiatique a eu ses effets sur l’opinion publique alors que les Québécois, ayant l’impression que leur identité était menacée, ont failli confier la gestion de l’État à un tiers parti dont le chef avait eu l’habileté de tirer sur les bonnes cordes sensibles pour se rendre populaire. Sans même s’en rendre compte, les Québécois, habituellement de centre gauche pour la plupart, « influencés par la démesure médiatique », avaient soudainement viré à droite.
Le même type de campagne de propagande, menée pendant plus d’un an dans les médias de Quebecor et de Power Corporation, a littéralement propulsé la candidature de François Legault dans les sondages, plusieurs le voyant comme prochain premier ministre du Québec, du moins jusqu’à ce qu’il dévoile ses premières idées… et que la « balloune » se dégonfle.
Une démocratie à la liberté fragile
L’ancien président américain Franklin Delano Roosevelt disait : « La liberté dans une démocratie n’est pas assurée si le peuple tolère que la puissance privée grandisse au point qu’elle devienne plus forte que l’état démocratique lui-même. » Se pourrait-il que nous en soyons rendus là au Québec ?
La démocratie québécoise menacée
le niveau de concentration de la presse ici est rendu tel qu’il faut pratiquement se tourner vers les systèmes politiques totalitaires pour trouver l’équivalent ou pire
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