L'ultimatum imposé par le Conseil de sécurité des Nations unies pour que l'Iran suspende la production d'uranium enrichi est expiré. Le Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, doit rencontrer les dirigeants iraniens. Washington réclame des sanctions de l'ONU contre l'Iran si le pays ne cesse pas ses activités et évoque des frappes aériennes contre les installations nucléaires iraniennes si les sanctions ne sont pas prises ou se révèlent inefficaces. Que la crise commence...
Les médias adorent les crises, mais celle-ci manque cruellement de crédibilité. En juin, le directeur américain du Renseignement National, John Negroponte, avait déclaré à la BBC que l'Iran pourrait disposer d'une bombe nucléaire d'ici à 2010-2015. Mais il a bien utilisé le conditionnel, et non le futur et, qui plus est, a indiqué un délai de cinq à dix ans. Alors pourquoi la crise se déclare-t-elle cet automne ?
La justification du gouvernement américain est que le président Mahmoud Ahmadinejad a menacé, au mois de mai, de « rayer Israël de la carte » et qu'il prévoit d'utiliser à cet effet des armes nucléaires (qui seront ensuite, s'il en reste encore, vraisemblablement mises à disposition des terroristes). Pour prouver les ambitions malveillantes de l'Iran, le gouvernement américain avance le fait, révélé en 2003, que l'Iran a caché pendant dix-huit ans à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) certains aspects de son « programme nucléaire pacifique ».
Des failles
Cette théorie comporte cependant un certain nombre de failles, la première étant qu'Ahmadinejad n'a jamais dit vouloir « rayer Israël de la carte ». Ses propos ont été étrangement, voire délibérément, mal traduits alors qu'il citait littéralement feu l'ayatollah Ruhollah Khomeiny, la source de la sagesse de l'Iran révolutionnaire, qui avait dit il y a une vingtaine d'années que « ce régime qui occupe Jérusalem (c'est-à-dire Israël) doit disparaître de la page du temps ».
Il s'agissait d'une déclaration à propos de l'avenir (potentiellement lointain) tel que Dieu le veut. Il ne s'agissait PAS d'une menace de détruire d'Israël. Attaquer Israël n'a jamais fait partie des projets politiques iraniens. D'ailleurs, quelques jours plus tard, le véritable dirigeant de l'Iran, l'Ayatollah Ali Khamenei, a publiquement déclaré que l'Iran « ne commettra d'agression contre aucune nation ». Si Ahmadinejad continue de dire de vilaines choses au sujet d'Israël, il a lui aussi explicitement rejeté toute accusation selon laquelle l'Iran prévoit d'attaquer Israël.
Bien sûr qu'il ne le fera pas. Israël pointe ses armes nucléaires inavouées sur l'Iran depuis qu'Ahmadinejad était encore un petit garçon. Même si Téhéran parvenait à se doter de quelques armes nucléaires, il ne serait pas réaliste de la part de l'Iran d'imaginer pouvoir concurrencer les centaines d'armes et de vecteurs sophistiqués d'Israël (Israël peut frapper l'Iran à l'aide de bombardiers, de missiles balistiques et peut-être aussi de missiles Harpoon tirés depuis ses sous-marins Dolphin de fabrication allemande, réarmés et équipés d'ogives nucléaires).
Si l'Iran n'a pas de programme d'armement nucléaire sérieux, pourquoi avoir caché à l'AIEA deux de ses installations nucléaires pendant dix-huit ans ? Dix-huit ans jusqu'à 2003... nous étions alors en 1987, au plus fort de la guerre qui opposait Saddam Hussein - soutenu par les États-Unis - à l'Iran, alors que des missiles irakiens s'abattaient chaque jour sur des villes iraniennes. Téhéran disposaient d'ogives explosives conventionnelles mais les Iraniens soupçonnaient Saddam (à juste titre, à l'époque) de construire des armes nucléaires.
Les Iraniens ont donc probablement décidé de ressusciter l'ancien programme d'armement nucléaire du Chah et occulté les plans de leurs nouvelles installations pour éviter d'en faire des cibles pour Saddam et prévenir un conflit prématuré avec l'AIEA. Puis la guerre a pris fin, tout comme les travaux sur les armes nucléaires iraniennes, au plus tard après le démantèlement, par des inspecteurs de l'ONU, du programme d'armement nucléaire de Saddam au début des années 1990. Nous pouvons en être sûrs : l'Iran disposerait depuis longtemps d'armes nucléaires s'il le voulait vraiment : il ne faudrait pas dix-huit ans à un pays avec de telles ressources.
Les installations nucléaires non déclarées sont demeurées secrètes parce qu'il était embarrassant pour l'Iran d'admettre qu'elles avaient été cachées. Mais le pays n'a rien fait de significatif pour accélérer leur construction (en fait, le président Ahmadinejad vient seulement ce mois-ci d'inaugurer l'une d'entre elles, une usine de production d'eau lourde à Arak). Le fait que l'Iran les ait cachées si longtemps est le seul motif qui pourrait pousser quiconque à douter de la légitimité de ses activités actuelles. En effet, il est tout à fait légal pour les signataires du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) de mettre au point les technologies et les équipements destinés à enrichir des combustibles nucléaires, utilisés dans les centrales électriques.
L'Iran n'a probablement pas l'intention maintenant de travailler d'arrache-pied à atteindre le « seuil » de la capacité nucléaire (la capacité de rompre le Traité de non-prolifération nucléaire et de construire des armes nucléaires très vite si nécessaire) car le pays est encerclé par des puissances nucléaires : l'Inde et le Pakistan à l'est, les Russes au nord, Israël à l'ouest, et les forces américaines à l'ouest et à l'est aux frontières avec l'Irak et l'Afghanistan. Le « seuil » nucléaire demeure néanmoins tout à fait légal ; du reste, de nombreux pays signataires du TNP l'ont déjà atteint.
Les activités de l'Iran ne méritent pas de déclencher une véritable crise, d'autant plus que ce n'est pas une urgence. L'Iran a proposé au Conseil de sécurité de poursuivre les négociations sur la question, mais a refusé d'arrêter l'enrichissement d'uranium comme condition préalable aux pourparlers. Dans ces circonstances, ni la Russie, ni la Chine, qui ont toutes deux un droit de veto, ne voteront en faveur de sanctions graves contre l'Iran, de même qu'un certain nombre de membres non permanents du Conseil de sécurité. Par conséquent, si l'administration Bush y voit vraiment un problème important et urgent, elle devra agir seule et en dehors de la légalité.
Après le fiasco en Irak, fera-t-elle vraiment une pareille bêtise ? Hélas, elle en serait bien capable.
Gwynne Dyer
_ L'auteur est un journaliste indépendant canadien basé à Londres. Ses articles sont publiés dans 45 pays.
La « crise » iranienne
17. Actualité archives 2007
Gwynne Dyer21 articles
Journaliste indépendant L'auteur est un Canadien, basé à Londres. Ses articles sont publiés dans 45 pays. Son dernier livre, {Futur Imparfait}, est publié au Canada aux Éditions Lanctôt.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé