Les 29 et 30 novembre prochains, la Francophonie tiendra son XVe Sommet à Dakar au Sénégal. Le Québec devra y faire la preuve qu’il peut s’adapter à la nouvelle réalité de l’espace francophone et même en tirer parti. Il ne peut plus se satisfaire d’une simple présence à cette table internationale. Il est essentiel pour le Québec de se demander ce que la Francophonie peut lui apporter et de quelle manière il peut, à son tour, y contribuer.
Le temps est venu pour nos dirigeants politiques de faire entrer l’Afrique dans leurs têtes. Celle-ci se transforme sous nos yeux en un pôle majeur de la mondialisation. Elle sera bientôt une puissance politique à part entière. Elle est d’ores et déjà une zone d’influence. Et le centre de gravité du français se déplace peu à peu sur ce continent.
L’engouement sans précédent des grandes puissances, anciennes ou nouvelles, pour le continent africain témoigne d’un changement de perception de ce dernier à l’échelle mondiale et non d’une dévotion subite inspirée par l’air du temps. L’Afrique est devenue un « bright spot », selon les termes du FMI, qu’aucun gouvernement ou entreprise multinationale ne peut désormais ignorer au risque d’être déclassé.
Au fur et à mesure des transformations mondiales, le Québec a fait évoluer les choix de sa politique internationale. Des pays autrefois absents de ses préoccupations (l’Inde, le Brésil, la Chine) figurent désormais en bonne place dans ses priorités. L’Afrique, obstinément, ne fait toujours l’objet d’aucune ambition cohérente et planifiée, alors même qu’elle est devenue l’axe existentiel de la Francophonie.
Promesses
Lors du Sommet de la Francophonie de Ouagadougou, en 2004, Jean Charest déclarait : « Le monde a besoin de l’Afrique. » Cette profession de foi est restée lettre morte au Québec. Le 13 octobre 2012, au Sommet de Kinshasa, Pauline Marois annonçait solennellement que « l’Afrique retrouvera une juste place dans la politique internationale du Québec ». Une autre promesse restée sans lendemain.
Depuis la création du ministère des Affaires intergouvernementales, le 13 avril 1967, le Québec n’a jamais cessé d’observer l’évolution de l’Afrique avec un mélange de désinvolture et d’engagement flageolant. Cette politique en déphasage fut une erreur. Notre présence politique africaine s’est, depuis, résumée à quelques initiatives sans suite et sans éclat.
Les mélodieuses litanies pro-africaines prononcées par nos dirigeants politiques au cours des différents Sommets ne peuvent tenir lieu de politique. L’évolution du continent fixe désormais une obligation au Québec, qui doit à l’Afrique sa présence en Francophonie : africaniser sa politique extérieure.
Or, il est stupéfiant de constater l’incapacité du Québec à envisager l’Afrique dans sa globalité, et à la concevoir autrement qu’à travers le prisme de l’humanitaire et de l’aide internationale. Quant à l’organisation de missions commerciales, même en la présence du premier ministre, elle n’est qu’un pis-aller. Ces opérations par à-coups, sans enracinement politique, sans action politique de terrain inscrite dans la durée, ne peuvent remplacer la mise en place d’une diplomatie active tissant des liens au quotidien avec les autorités politiques du pays d’accueil, comme avec ses réseaux d’affaires.
Occasions manquées
Le Sommet de Dakar fournit au gouvernement du Québec une occasion unique pour cesser de boycotter la réalité africaine en exprimant sa volonté d’accompagner l’Afrique dans son essor. Certes, les moyens actuels de l’État québécois n’incitent pas spontanément à mener des actions ambitieuses. Le budget de dépenses du ministère des Relations internationales s’élevait à 121,4 millions en 2013-2014 et chutera à 94,7 millions en 2014-2015, en recul de 37,4 % en dollars constants par rapport au budget de 2000-2001. Pourtant, invoquer inlassablement l’obligation de contenir l’endettement public pour repousser encore une fois l’adoption d’une politique africaine reste un prétexte puisque, même en période d’embellie budgétaire, aucun gouvernement québécois, depuis quarante ans, n’a démontré de volonté réelle de mener en Afrique une action politique et diplomatique conséquente.
On ne gouverne pas avec sa seule calculette en mains, quel que soit l’état des finances publiques. Les médecins de Molière sont revenus au pouvoir : face au déficit et à la complexité des choses, ils prescrivent la purge et l’amputation, sans comprendre que toute politique est d’abord une conviction au service d’un engagement.
S’ouvrir les yeux sur la nouvelle réalité géopolitique de la planète ne coûte rien et constitue un passage obligé pour tout gouvernement qui aspire à faire mieux avec moins. S’il est une leçon que les pays africains peuvent utilement enseigner au Québec, c’est bien celle de savoir tirer son épingle du jeu lorsque les règles changent sans prévenir. C’est pour l’avoir ignoré que le gouvernement canadien a perdu l’appui des pays africains lors de l’élection de 2010 à un siège non permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.
Enfin l’Afrique
Lors du Sommet de Dakar, le premier ministre du Québec pourrait devenir l’acteur d’une avancée historique : inscrire enfin l’Afrique dans la politique internationale du Québec et, du même coup, sortir le continent du purgatoire où l’indifférence de nos politiques l’a mis.
Adopter une telle politique contribuerait à faire avancer l’idée francophone. La Francophonie franco-centrée s’est volatilisée, l’Afrique en est devenue l’axe politique central où l’espace économique se construit en s’adossant à l’aire linguistique. Choisissant enfin cette voie, après tant de retard, le Québec démontrerait qu’il est en phase avec l’évolution politique du monde, et que la Francophonie économique est une ambition concrète, pas un slogan sans substance.
Si le Québec, après avoir soutenu un candidat non africain pour succéder à Abdou Diouf, n’a rien d’autre à offrir à Dakar que les habituels propos cérémonieux à l’endroit de l’Afrique, sa voix dans les instances francophones deviendra inaudible. Et sa crédibilité, un souvenir du passé.
XVE SOMMET DE LA FRANCOPHONIE À DAKAR
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