Washington aurait tout intérêt à se rappeler rapidement l’importance capitale de la coopération internationale, préviennent les inventeurs du G20, le Canadien Paul Martin et l’Américain Larry Summers. Non seulement parce que c’est ce qui a fait le succès des États-Unis pendant 70 ans, mais aussi parce qu’ils en auront besoin lorsque la prochaine crise surviendra et parce que cela les aidera à compenser l’inévitable déclin de leur influence dans le monde les prochaines années.
Créé, il y a 20 ans, afin d’offrir un lieu de coopération aux principales puissances régionales de la planète, le G20 montre la voie à suivre pour les années à venir, a dit Paul Martin, mercredi, devant le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM). « Le G20 est une répétition générale pour le monde de demain, qui sera radicalement différent et bien plus compliqué que celui que nous avons actuellement », a martelé l’ancien premier ministre canadien.
L’heure de gloire du G20
Paul Martin était ministre des Finances la première fois qu’il a lancé l’idée d’élargir le G7 à un ensemble plus représentatif et plus légitime de pays, a-t-il rappelé. Il lui a fallu quelques années, l’avènement de la terrible crise financière asiatique et la complicité de son homologue américain, le secrétaire au Trésor du président démocrate Bill Clinton, Larry Summers, pour qu’un forum regroupant les ministres des Finances des vingt plus importantes puissances économiques régionales voie le jour en 1999.
Le G20 allait toutefois connaître son heure de gloire presque dix ans plus tard, lorsqu’il s’est transformé en sommet de chefs de gouvernement afin de faire face à l’effondrement de Wall Street et à la menace d’une seconde Grande Dépression, a raconté Larry Summers, qui partageait la scène du CORIM mercredi. « Je ne sais pas ce qui serait advenu sans le G20. »
Le G20 est une répétition générale pour le monde de demain, qui sera radicalement différent et bien plus compliqué que celui que nous avons actuellement
Ses membres y conviendront notamment de ne pas tomber dans le piège du protectionnisme, de coordonner leurs politiques de relance budgétaire, d’accorder plus de ressources financières à l’aide aux pays émergents, au resserrement des règles bancaires et à la réduction des subventions aux énergies fossiles. « Ce rôle crucial durant la crise justifie à lui seul son existence depuis 20 ans », estime l’influent économiste américain, qui a aussi, durant sa carrière, présidé la Banque mondiale et l’Université Harvard.
L’Amérique de Trump
Son jugement est plus sévère envers la politique économique et étrangère du président américain, Donald Trump, qui est faite « d’exigences et de coups de gueule plutôt que de coopération internationale et qui n’a apporté depuis deux ans et demi aucun bénéfice, zéro, nada », déplore-t-il.
L’ex-secrétaire au Trésor dit avoir du mal à comprendre cet acharnement contre les institutions et les mécanismes de coopération internationale mis en place à l’initiative des États-Unis à la fin de la Deuxième Guerre mondiale de la part d’un président qui prétend vouloir restaurer la grandeur passée de son pays. « Il semble penser que cette façon de faire a bien fonctionné pour les États-Unis durant les années 1950, 1960 et 1970, après quoi elle nous aurait soudainement transformés en pigeons les 30 dernières années. »
Le monde à venir
Cette politique est d’autant plus mal avisée que la plupart des grands enjeux de notre époque, comme les crises économiques, les changements climatiques, la pollution des océans et les risques de pandémie, débordent les frontières des pays, fait valoir Paul Martin. « Il nous faut expliquer que nos souverainetés nationales seront totalement dépendantes de notre partage de la souveraineté avec d’autres pays. Pour être efficace, il n’est plus possible pour un pays de prendre une décision seul. »
Pas même pour les États-Unis, insiste Paul Martin, appuyé par Larry Summers. Longtemps hégémonique, non seulement l’économie américaine passera derrière la Chine et l’Inde d’ici 20 ans, mais elle devra probablement composer avec de nouvelles puissances économiques, principalement asiatiques. Ce monde de plus en plus multipolaire ne pourra pas se gouverner autrement que par des mécanismes de coopération.
Mais pour ce faire, il faudra aussi poursuivre des objectifs plus en phase avec les intérêts « des gens ordinaires, plutôt que ceux des élites », observe Larry Summers. Il faudra, par exemple, donner préséance à la réduction de l’évitement fiscal par les multinationales plutôt qu’à la protection de leur propriété intellectuelle, et à la fin de la concurrence fiscale et réglementaire entre les gouvernements plutôt qu’aux droits des investisseurs. « Se recentrer sur les préoccupations des gens ordinaires de Detroit ou de Düsseldorf avant celles de ceux qui vont [au Forum économique mondial de] Davos. »