On le sait, dans les années à venir, le nationalisme québécois se découplera de plus en plus de l’idée d’indépendance. C’est normal: l’échec de l’indépendance a des conséquences politiques et les Québécois cherchent, d’une manière ou d’une autre, à continuer à s’affirmer au moins minimalement sans s’engager à nouveau sur un chemin qu’ils imaginent bloqué. Dans cet esprit, on nous répétera qu’on peut être nationaliste sans être souverainiste et que la défense de l’identité québécoise n’implique pas de rompre le lien fédéral. Apparemment, cela va de soi. Il y a plus d’une manière d’aimer son pays et le nationalisme québécois ne s’épuise pas dans la quête d’un nouveau statut politique pour notre peuple.
Le réalisme politique exige peut-être de prendre un détour historique en espérant qu’un jour, la possibilité de l’indépendance resurgisse.
Mais la proposition politique des nationalistes non-souverainistes est moins évidente qu’il n’y parait. Ils s’imaginent encore que le Canada d’aujourd’hui a quelque chose à voir avec le Canada historique, traversé par un dialogue difficile mais fondamental entre ses deux peuples fondateurs. Ils s'imaginent encore que le Québec est dans une relation à deux avec le Canada anglais et qu'un jour, la réconciliation viendra, même si ce n’est pas pour demain ou après-demain. Nos nationalistes non-souverainistes habitent un Canada imaginaire: ils s'imaginent en dialogue avec un partenaire historique qui a cessé de les entendre, ou alors, qui ne veut entendre dans leurs revendications que des lamentations agaçantes.
Il y a longtemps, le Canada anglais était en dialogue avec le Québec. Il était peut-être même prêt à lui accorder quelques concessions. Mais cette époque est depuis longtemps révolue.
Ces nationalistes de bonne foi ne comprennent pas que du point de vue canadien, le peuple québécois est un résidu historique et une minorité ethnique appelée à se dissoudre dans la diversité canadienne. Ils ne comprennent pas que lorsque les Québécois rappellent qu'ils se voient comme un peuple, le Canada les accuse alors de suprémacisme ethnique. Du point de vue du Canada de 1982, le nationalisme québécois est une forme de racisme. Le Canada d’aujourd’hui est celui du régime de 1982 et plus il déploie sa logique multiculturaliste, moins le peuple québécois a de place.
On me dira peut-être que nous ne sommes plus en 1982, mais je répondrai simplement que la constitution mise en place à ce moment s’applique à nous bien plus radicalement aujourd’hui qu’au moment de sa mise en place. C’est un étrange paradoxe: plus le régime de 1982 s’impose à nous, et moins nous le voyons, comme si la question du régime s’était dissipée par notre simple désir de ne plus parler de constitution. Au Canada anglais, la constitution est un texte sacré: au Québec, on s'imagine qu'il s'agit d'un papier sans importance. C'est étrange. Il se pourrait bien, toutefois, que cet aveuglement rencontre le mur du réel.
Car nos nationalistes non-souverainistes s’imaginent de temps en temps que sans rompre avec le Canada, le Québec pourrait mettre de l’avant les politiques identitaires nécessaires à la défense du français, à l’intégration des immigrés ou à la poursuite de la laïcité. Ils disent : pas besoin de la souveraineté pour défendre notre identité. Mais que feront-ils lorsqu’ils rencontreront l’obstacle du régime canadien, qui invalidera inévitablement toute mesure avec un peu de substance pour affirme l’identité québécoise et assurer sa pérennité? Que feront-ils lorsqu’ils redécouvriront politiquement la constitution canadienne, qui les obligera à choisir entre le maintien du régime fédéral et la défense de l’identité québécoise?
Soit ils accepteront de se coucher devant le régime canadien et ne seront plus nationalistes.
Soit ils redeviendront souverainistes.